Barbara Witkowska Journaliste

Pleins feux sur les cabines d’essayage… Les grandes maisons parisiennes et les boutiques de lingerie haut de gamme font appel aux artistes et designers pour réinventer ces lieux un peu à part et secrets. Avec originalité et raffinement. Le but ? Retrouver une certaine idée de la couture et du luxe.

La palme de l’originalité revient à Christian Dior Homme. Son directeur artistique Hedi Slimane s’adjoint la collaboration d’artistes les plus pointus et installe leurs £uvres dans les cabines d’essayage des nouvelles boutiques, à Paris, à Tokyo, à Kobe et à New York. Certes, l’idée d’exposer des artistes dans des lieux de commerce n’est pas neuve. Citons Gilles Fuchs, ancien directeur de Nina Ricci et passionné d’art moderne qui passait commande à différents artistes et leur offrait les murs de ses salons de couture. Ou encore des initiatives des boutiques haut de gamme, situées Rive Gauche à Paris qui organisent ponctuellement des parcours de jeunes artistes. Ce qui, en revanche, est inédit, c’est la durée. Hedi Slimane ne recherche pas l’événementiel, mais ambitionne d’inscrire les £uvres de manière permanente. L’objectif n’est donc pas purement décoratif. Au contraire, il tend à se fondre dans la structure architecturale et d’épouser les fonctions de l’espace. La symbiose entre les vêtements, le graphisme, la musique, le design et l’art est ainsi parfaite et véhicule une nouvelle image de la couture contemporaine. En faisant appel à toutes les disciplines de la création d’aujourd’hui, on renouvelle, on revivifie l’esprit et la mémoire de la couture et du luxe, sans pour autant tomber dans la nostalgie ou la muséification.

Chaque boutique Christian Dior Homme qui ouvre dans une grande capitale bénéficie d’un projet artistique spécifique. Hedi Slimane aime, en effet, l’idée  » qu’il faille voyager pour voir l’ensemble de ces cabines, qu’on ne puisse jamais les réunir. C’est comme une collection éclatée « . L’aménagement intérieur des boutiques, différent à chaque fois pour respecter les volumes des bâtiments existants, se distingue partout par une rigueur austère, chère au jeune créateur et par les mêmes codes. Le blanc et le noir flirtent inlassablement dans des contrastes vigoureux et graphiques. Parfois, c’est le blanc qui domine. Ailleurs, c’est le noir qui prend le dessus. Des panneaux d’inox poli comme un miroir rythment horizontalement et verticalement rayonnages, portants, présentoirs et banquettes. En revanche, pour aménager les cabines, les artistes ont eu une totale liberté. A Paris, rue Royale, Hedi Slimane a confié leur mise en valeur à Ann Veronica Janssens. Née en Angleterre, cette artiste qui vit et travaille à Bruxelles, a imaginé des cabines telles des cellules-sculptures, comme désolidarisées de l’espace. Les parois intérieures sont couvertes d’un film de papier spécifique et luminescent qui plonge le visiteur dans une ambiance d’une luminosité extrême, presque aveuglante. Les miroirs sont placés dans les portes. Ils renvoient l’image d’une silhouette nette et précise, comme figée pour toujours dans ce cadre solaire. A Tokyo, au Japon, l’artiste Carsten Höller a tracé, au sol de la cage virginale, un cercle rouge. Une fois à l’intérieur, le client découvrira dans le miroir, non son reflet, mais une succession d’images fixes, captées par des caméras. A Kobe, toujours au Japon, Muntean & Rosenblum ont dessiné sur des toiles gigantesques, ces silhouettes masculines et féminines, accompagnées par des textes pleins de poésie qui n’ont aucun rapport avec la mode. A New York, l’artiste suisse Udo Rondinone a tapissé l’entrée de grands miroirs. L’intérieur de la cabine est souligné par des rayures noires et blanches. Leur effet optique modifie de façon étrange la perception de l’espace. Cette expérience singulière est démultipliée par des battements de c£ur provenant de tous les coins de la cabine. Ces concepts insolites suscitent un grand étonnement auprès des clients. Hedi Slimane confirme qu’au début ils sont légèrement perturbés :  » mais en règle générale, cela se passe très bien. Dans l’ensemble, il y a un intérêt très spontané pour l’art contemporain. Certaines personnes ne viennent visiter la boutique que pour voir les cabines.  »

Chez Chanel, au département haute couture, les cabines d’essayage affichent un raffinement extrême. Dans les années 1920, Mademoiselle Chanel, déjà au sommet de la gloire, a trouvé son style, caractérisé par l’idéal d’indépendance et de liberté. Cette audace et cette allure, on les retrouve aussi dans les décors. En 1928, quand elle s’installe rue Cambon, elle organise méticuleusement son  » territoire  » : au rez-de-chaussée la boutique, au deuxième ses appartements, sous les combles les ateliers et au premier le Grand Salon. Là, où chaque jour, ses clientes assistaient au défilé et faisaient les essayages. Le célèbre escalier est le  » c£ur  » et le centre nerveux de la maison. Chanel l’avait fait tapisser de lés de miroirs juxtaposés pour épouser les courbes du mur. Et elle a commandé une rampe en fer forgé noir au dessin géométrique Art déco. Dans toute la maison, elle a voulu une ambiance  » minimaliste « . Les cloisons sont pratiquement inexistantes. Les murs sont habillés de miroirs. Le beige est omniprésent, souligné de noir, de blanc et d’or, ses couleurs emblématiques. Aujourd’hui, pratiquement rien n’a changé au 31, rue Cambon. Les clientes montent au premier étage par l’escalier mythique, toujours tapissé de miroirs. Le Grand Salon a été admirablement  » retouché « , en 2002, par Karl Lagerfeld qui a voulu lui redonner, tout en respectant son esprit, une modernité qui caractérise le dynamisme de ses créations. L’espace, réunissant un salon et deux cabines d’essayage, est devenu modulable, grâce à un jeu de portes qui se déplient et se replient comme des paravents. Ces hautes portes en wengé noir cumulent un rôle fonctionnel et décoratif. Leurs montants soulignent les murs blancs de lignes noires, évoquant celles qui cernent la boîte du parfum N° 5. Des tapis beiges, en laine, réchauffent le parquet en bois teinté noir.

Dans le prolongement du Grand Salon, les cabines d’essayage ont été traitées comme des dressings. Dessinées par Karl Lagerfeld, tables basses et consoles ont des silhouettes rigoureuses et cubiques d’une simplicité intemporelle. Noir ou blanc, le cuir des fauteuils et des canapés a la même souplesse que celui utilisé pour la fabrication des gants. L’éclairage a été particulièrement travaillé. A côté des projecteurs à la fois discrets et efficaces, plusieurs sources de lumières cohabitent harmonieusement. Les lustres en cristal de Baccarat voisinent avec des appliques des années 1930 et deux coupoles inspirées des dômes des églises russes. Elles ont été dessinées par Ingo Maurer, célèbre créateur de luminaires allemand. Seul tableau dans cet univers lisse et feutré : l’écran plasma où sont projetés, en boucle, les défilés de la saison. L’intervention de Karl Lagerfeld, menée de main de maître, a sublimé l’élégance originelle du Grand Salon. Les codes de Coco Chanel sont plus vivants et plus actuels que jamais : la rigueur, la géométrie, la simplicité. Visionnaire, Coco Chanel a créé un style qui ne se démodera sans doute jamais.

L’ambiance change radicalement dans les boutiques de lingerie haut de gamme. Poussons la porte de la plus récente, celle de Chantal Thomass. La  » reine de la lingerie  » propose dans ce boudoir du xxie siècle, de nombreuses  » fantaisies  » : des dessous que les audacieuses n’hésiteront pas à porter dessus, de la lingerie de nuit, des maillots et des accessoires de beauté. Conçu et décoré avec la complicité du designer Christian Ghion, l’endroit est chaleureux, féminin et sophistiqué. Au rez-de-chaussée, le rose, le parme et le fuchsia se disputent la vedette. Le premier étage opte pour des nuances saumonées. Les murs capitonnés, ainsi que les colonnes, sont en corian, un matériau contemporain utilisé pour la première fois dans la décoration intérieure. Chantal Thomass a craqué pour son toucher velouté et poudré. Côte à côte, les deux cabines d’essayage sont capitonnées de moire parme. Pour déposer ses affaires, on dispose d’une console en plexi de couleur fuchsia et d’un pouf en satin rose. La nudité est protégée par un long rideau. En face des cabines, un mini-salon où des messieurs patientent sans se parler. La cliente de Chantal Thomass est, en effet, généralement accompagnée. L’intimité n’incitant pas à la conversation. Tout bénéfice pour le commerce. Madame repart avec trois parures : une pour se faire plaisir, une deuxième pour faire plaisir à monsieur et une troisième qu’il lui a offert en prime.

Chez Fifi Chachnil, l’autre reine des froufrous, l’esprit est à la fois le même et complètement différent. Une fois de plus, l’intérieur évoque un boudoir. On baigne dans une ambiance rose. En revanche, le mobilier n’est pas l’£uvre d’un designer pointu. Il est le fruit de nombreuse  » chines  » de Fifi. Armoires, coiffeuses, consoles et fauteuils sont dépareillés, mais reliés par le même charme désuet de la fin du xixe siècle. La boutique de la rue Saint-Honoré, aménagée au fond d’une cour, dans un ancien couvent, était dépourvue de cabine d’essayage. Fifi Chachnil l’a donc improvisée, en délimitant l’espace par un ancien paravent chiné. Lors des essayages, les femmes déposent les soutiens-gorge et les culottes au-dessus du paravent, comme elles le feraient chez elles. Dans la boutique de la rue Cambon, la cabine est fermée par des rideaux roses volantés qui interprètent si bien l’esprit glamour des années 1950. Dans ses deux atmosphères cosy et chaleureuses, les femmes se sentent vraiment chez elles.

Barbara Witkowska

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