Lignes fluides, dynamiques et musclées pour les nouvelles BMW de l’ère du designer Chris Bangle. Une politique qui se révèle gagnante pour la marque allemande placée dans le peloton de tête des voitures ayant le plus de succès actuellement. Explications de cette success story avec Jochen Frey, responsable de la communication du design.

E n 2001 apparaissait la nouvelle Série 7, première pierre angulaire d’une nouvelle identité stylistique appelée à se décliner sur toutes les gammes futures. A l’époque, de nombreux fidèles furent déroutés, au même titre que les observateurs les plus avisés du monde automobile. Il y eut même des pétitions sur le Net, réclamant la démission du patron du design Chris Bangle, auteur de cette révolution. Pourtant, cinq ans plus tard, le succès est au rendez-vous et la marque ne s’est jamais aussi bien portée commercialement parlant. Les dirigeants de la firme allemande ont néanmoins pris ce  » risque  » en toute connaissance de cause, conscients que le temps serait leur meilleur allié. Jochen Frey nous expose les raisons de cette stratégie et les fondamentaux de ce design.

Weekend Le Vif/L’Express : Pourquoi BMW a-t-il opéré soudainement une rupture de style si radicale ?

Jochen Frey : Traditionnellement, la gamme BMW s’organisait autour de trois séries : 3, 5 et 7. Or, nous savions que de nombreux modèles allaient apparaître et il était nécessaire que chacun d’entre eux bénéficie d’une personnalité propre. Le style d’alors n’était pas déclinable. A son sujet, Chris Bangle aimait à dire qu’il s’agissait d’une même  » saucisse  » mais en trois tailles différentes ! Il fallait donc repenser un design capable de porter nos valeurs, mais qui puisse s’adapter à la multitude de nouveaux concepts. Dans une même famille, tous les membres sont différents et possèdent pourtant des traits communs identifiables. Telle était notre volonté pour l’avenir.

Face à l’accueil plutôt controversé de la série 7, quelles ont été les premières réactions ?

Nous n’avons pas lancé cette voiture en se disant :  » On essaie et on attend de voir les réactions.  » Il s’agit d’une stratégie sur le long terme et nous savions qu’il était nécessaire de voir la nouvelle gamme dans son ensemble pour mieux appréhender le sens de notre travail. Juger le style sur la seule Série 7 revient à assister au premier acte d’un opéra et partir avant la fin.

Expliquez-nous la genèse de cette nouvelle identité et la façon dont elle s’exprime concrètement sur vos voitures ?

Deux pôles ont guidé nos réflexions. Le premier état d’exprimer les notions de dynamisme et de sportivité, qui font partie intégrante de BMW, mais d’une autre façon que le traditionnel dessin effilé qui évoque plus ou moins la vitesse. La grande innovation a été de travailler le traitement des surfaces, appelé au départ  » flame surfacing « , pour décrire le jeu des reflets sur les surfaces à doubles courbures, mais que nous préférons nommer aujourd’hui convexe/concave. Il s’agit d’une alternance de plis sur la carrosserie, qui crée une tension visuelle dynamique. Cela suggère une musculature. Le roadster Z4 en est la meilleure synthèse. Ce principe n’ayant jamais été vu auparavant, le public a été dérouté, ce qui est compréhensible. Le deuxième pôle était d’accentuer la présence visuelle de nos voitures.

De quelle manière ?

Bien entendu par le traitement des volumes et des proportions qui doivent exprimer la force et  » asseoir  » la voiture sur la route, mais l’idée clé a été de développer l’aspect sculptural de la carrosserie. D’offrir une vision multifacettes, c’est-à-dire qui change suivant l’angle de vue. Cela dit, certains éléments de style ont été conditionnés par les contraintes techniques. Par exemple sur la 7, nous voulions offrir une belle hauteur sous plafond aux passagers arrière, d’où un toit rehaussé, mais qui nous a obligé à relever le coffre pour respecter les lois aérodynamiques. Son dessin a été très critiqué à l’époque…

On en revient donc toujours au fait que la forme doit suivre la fonction ?

C’est la règle de base, mais nous y ajoutons deux niveaux : le design suit le caractère et chez BMW, le caractère est défini par la technologie. C’est elle qui influence le style.

Voyez-vous des références à la culture germanique dans le style actuel de BMW ?

Peut-être par le cliché allemand de la rigueur et de la perfection, que je ne renie pas, mais sincèrement je parlerais plus d’influence européenne, voire d’Europe du Sud. La Bavière, siège social du constructeur, n’est pas si loin de l’Italie, synonyme d’émotion (rire). Il y a maintenant trois régions majeurs en termes d’influences : l’Europe, l’Amérique et l’Asie, chacune d’entre elles étant attirées par les spécificités de l’autre. Mais un bon design n’est pas un mélange global de ces origines différentes, il faut savoir conserver ses racines. En revanche, nous devons coller aux attentes des marchés et pour les comprendre, nous participons activement à leurs évolutions.

Que voulez-vous dire exactement par  » participer activement à leurs évolutions  » ?

Nous venons d’ouvrir un studio de design à Singapour. Il ne s’agit pas d’aller humer la tendance comme je l’entends parfois, ce qui ne veut strictement rien dire. Ce bureau travaille concrètement pour des entreprises locales, dans des domaines aussi variés que les téléphones portables, des postes de pilotage d’avion, du matériel médical de pointe, des équipements sportifs de haut niveau… En inventant les formes de demain, nous participons à l’évolution des choses et, du coup, nous sommes plus à même d’imaginer l’intérieur de nos voitures dans dix ans ! C’est la seule façon d’identifier en temps réel les attentes de nos clients, en construisant demain.

Pour conclure, quelle tendance voyez-vous se dessiner en ce qui concerne le futur en automobile ?

Face à un monde de plus en plus complexe à gérer pour l’individu, le design doit lui simplifier la vie. Cela passe par plus d’authenticité avec des formes qui correspondent à la réalité. En d’autres termes, tout ce que promet le design doit être délivré par le produit, ce qui n’est pas toujours le cas. Un style simple avec une manipulation compliquée est une fausse promesse. Le design doit montrer ce qu’est le produit et le produit doit être ce que dit son design. Au final, on en revient à la base : la forme doit suivre la fonction, la boucle est bouclée.

Renaud Roubaudi

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