Après avoir colonisé nos balcons, la nature prend d’assaut nos maisons. Du sol au plafond ! Designers, architectes et botanistes donnent naissance à une nouvelle typologie d’objets vivants.

Le malheureux ficus, invité vedette de nos salons dans les années 80, doit se retourner dans son pot. Lui qu’on taillait avec acharnement pour qu’il reste  » gérable « , que doit-il penser de ces murs végétaux qui envahissent les appartements, de ces plantes qui sortent des coussins ou squattent les lampes et de ces orchidées qui poussentà la tête en bas ! Bien sûr, c’est dehors que tout a commencé. Aujourd’hui, le moindre mètre carré de balcon urbain se doit de se mettre au vert. Les fabricants de mobilier outdoor ont enfin compris qu’ils avaient tout à gagner à jouer aussi dans la catégorie poids plume. Même les cabanes à outils ressemblent à des maquettes. Quant aux serres – parfaites pour accueillir des plants de légumes miniatures – elles ont adopté la taille Barbie.

Jardiner, oui. Mais avec des râteaux et des pelles presque trop beaux pour voir la terre. Oubliés le bon vieux lattis en bois vert et les poteries en terracotta rétro. On fait désormais grimper son lierre le long d’un treillis arty signé Arik Levy. Et pousser ses hortensias dans des bacs en tissus Bacsac ou de la porcelaine chinoise revisitée par le designer Stefan Schöning. Transformer ses toits en jardins ne suffit pas. La nature, trop longtemps chassée des intérieurs minimalistes, les reprend d’assautà mais avec attitude. Le dernier caprice écolo-chic ? S’offrir un pan de mur végétal tapissé de plantes choisies pour leurs vertus dépolluantes. Amaury Gallon, 28 ans, préfère parler de  » tableaux végétaux  » qu’il installe le plus souvent dans des lieux publics ou des entreprises. Coût de cette tranche d’art vivant ? De 700 à 900 euros le mètre carré, tout de mêmeà Pour faire face à la demande de plus en plus pressante des particuliers rêvant d’avoir le vert et l’argent du vert, le botaniste parisien vient de développer le premier mur végétal en kit, posé sur un réservoir d’eau à roulettes. Un rectangle de 1 m sur 2 que ses équipes montent à domicile pour 1 500 euros, plantes comprises.  » Ce mur nourricier fera non seulement la chasse au monoxyde de carbone ou aux formaldéhydes mais pourra accueillir en prime des aromatiques, bien pratiques pour la cuisine « , détaille Amaury Gallon.

Un thym et un estragon que le designer néo-zélandais Patrick Morris préfère faire pousser du plafond, grâce à des jardinières à double fond !  » Le moyen idéal de mettre plus de verdure dans ma maison sans encombrer l’espace au sol « , assure-t-il. Le principe ? Côté tige, un couvercle en céramique maintient la plante et le terreau. Côté racine – en haut, donc – un réservoir alimente la plante et la nourrit sans débordement d’eau.  » Il suffit de le remplir une ou deux fois par mois pour faire naître chez soi un ciel de sous-bois « , ajoute cet ancien étudiant du Central Saint Martins College of Art and Design de Londres. Dans le même esprit, les minijardins du Néerlandais Fedor van der Valk, poétiquement baptisés String Gardens – parce qu’ils ne tiennent qu’à un fil -, font pousser tout autour d’une boule de terreau du trèfle, des fleurs et de l’herbe en suspension.

Chez Grassland, le carré de pelouse prend même une dimension philosophique. Ce rêve de tout jardinier du dimanche – nul besoin de l’arroser, ni de le tondre puisque la plante que l’on reçoit est déjà séchéeà – va jaunir progressivement sous l’action de la lumière pour passer du vert gazon au beige foin, sorte d’horloge biologique censée symboliser le temps qui passe. La société allemande qui s’autopositionne  » à la frontière de l’art et du design  » propose même des formules d’abonnement pour recevoir tous les six mois pendant deux ans un nouveau tableau – à poser à côté des premiers – et obtenir ainsi un dégradé évolutif.

La nouvelle aventure du vivant consisterait-elle à le faire artificiellement apparaître dans des recoins improbables ? Alors que les trois jeunes créateurs du collectif at-once s’amusent à faire pousser une crête verdoyante sur le dos d’un petit dinosaure de plastique rempli de tourbe et de graines de gazon, les architectes du bureau parisien h2o prêtent aux pousses vertes qui sortent de leur Miroir en Herbe un rôle plus contemplatif. En débordant des creux déformés, la nature se reflète dans le métal poli, brouillant l’image de celui qui s’y mire.

 » Regarder les herbes pousser entre les pierres d’un mur, voir les mousses s’étaler entre les lattes d’un banc, trouver un objet métallique rouillé dans un taillisà  » C’est ainsi que l’architecte Patrick Nadeau aime à décrire sa relation à la nature. Alors, lorsqu’il lui prend l’envie de réinventer le pot de fleurs, ce  » trait d’union entre la plante et l’espace habité  » resté quasi immuable pendant des siècles, il imagine de nouvelles typologies d’objets – des paravents, des tables basses, des étagères aussi – qui intègrent le végétal de manière surprenante. Des recherches expérimentales qui lui ont aussi permis de développer une collection très réussie pour la marque allemande d’accessoires grand public Authentics.

En greffant des feuilles de menthe dans un coussin, Alexis Tricoire, lui, force le naturel à coloniser les territoires de l’homme.  » Il faut lui inventer de nouveaux refuges, assure l’architecte français qui s’est formé auprès du botaniste Patrick Blanc à qui l’on doit notamment le magnifique mur végétal du musée des Arts Premiers, à Paris. Chaque geste compte pour nous rendre les plantes plus présentes. Parce que la nature est précieuse, elle mérite un écrin luxueux qui la mette en valeur.  » A l’image de ces bulles lumineuses créées tout spécialement pour le restaurant Wood, à Bruxelles et qui abritent chacune un minipaysage merveilleux. S’évader rien qu’en allumant la lumièreà Peut-on vraiment rêver mieux ?

Carnet d’adresses en page 104.

Par Isabelle Willot

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