Une hirondelle ne fait pas le printemps, dit-on. Les fleurs, si. La preuve par 1001 combinaisons stylées qui muent la mode en jardin anglais ou en forêt tropicale.

 » Le Pouvoir des fleurs  » n’est pas qu’une (belle) mélodie signée Laurent Voulzy. Il s’agit aussi d’un thème de mode très ancien – les Chinois et les Babyloniens, entre autres les brodaient déjà sur leurs tenues d’apparat -, et parfois si classique qu’il aurait pu devenir poussiéreux et miteux plutôt que mythique. Il n’en est rien et les fleurs, à l’image d’une saison sans cesse renaissante, à l’image d’un printemps qui distille déjà, entre deux rideaux de pluie, une aimable odeur de muguet, de lilas et d’iris, ont décidé de ne pas se laisser couper l’herbe sous le pied. Mieux encore: les fleurs éclosent et, même, explosent dans l’imagination jamais infertile des créateurs. Comme Pierre de Ronsard à la Renaissance, les stylistes contemporains nous sussurent des  » mignonne, allons voir si la rose… « , histoire d’imprimer sur les tissus et la trame de nos mémoires une formule destinée à faire germer, tour à tour, passions et pulsions d’élégance.

Le décor buccolique de l’année 2001, composé et taillé au plus juste par les  » Le Nôtre  » du fil et de l’aiguille, sème donc sur la mode une foison d’images végétales et de motifs floraux, tous arrosés par une pluie de couleurs si vives et si vivantes qu’elles risquent de rendre jalouse Dame nature en personne. Et, pièces maîtresses de ce bouquet baroque, les matières – coton, lin et soie en tête -, cultivent une authenticité  » très nature  » qui plaira certainement à tous les émules de Jean-Jacques Rousseau et de José Bové.

Plutôt généreuses, les compositions florales imaginées par la mode plantent leurs décors tantôt dans des serres qui abritent les espèces les plus fragiles et tantôt au milieu de jungles peuplées de dangereuses beautés tropicales. Sauvages ou trop civilisées, épanouies jusqu’à outrance ou en boutons délicats, en parterres impeccables ou décidées à pousser n’importe où, mises en nature morte ou peintes d’une manière frémissante de vérité, façon tapisserie XVIIIe ou stylisées jusqu’à la naïveté, les fleurs saisissent les vêtements et les accessoires à pleins pétales, conférant dès lors un panache particulier aux robes corolle, aux jupes tulipe, aux petits manteaux-capes qui singent à ravir les clochettes du muguet ainsi qu’aux autres habits couleur bois de rose, géranium ou violette.

La haute couture griffée Saint Laurent, Gaultier, Chanel, Valentino, etc. aime depuis longtemps cultiver les espèces rares dans la soie, le brocart, l’organdi, les paillettes et l’exquise dentelle… à tel point que le prêt-à-porter printanier, motivé par la résurgence des imprimés chatoyants et des textiles polychromes, en a pris de la graine. Jeunes pousses encore vertes ou beautés dans la fleur de l’âge n’auront donc qu’à se pencher pour cueillir, au jardin des modes, ces mille et une déclinaisons botanico-chics.

Le jardin des modes

Sur Cacharel, qui connut le succès en 1962 via un chemisier  » Liberty  » constellé de mini-fleurs, le duo britannique Clements Ribeiro jette à présent une bonne poignée d’engrais créatif. A côté de leur ligne éponyme, qu’ils continuent à faire défiler à Londres, Suzanne Clements et Inacio Ribeiro ont conçu, pour Cacharel, des tenues en coton léger à la fois années 1950 et pré-eighties, tenues  » motivées  » par des impressions papier-peint façon toile de Jouy ou de fraîches fleurettes dans la tradition dudit Liberty que l’on retrouve aussi sur divers accessoires (mules fines, bérets, foulards…).

En parlant de Liberty, sachez que la vénérable maison londonienne – qui, en plus de l’invention du motif susnommé, produit ses propres tissus -, lance elle aussi sa collection perso, haute en couleurs et pas vraiment uniforme, ni en ton ni en allure.

Ce ne serait pas vous faire une fleur que d’omettre de vous parler de Marni, un label italien né en 1994 et qui, en ce moment,  » casse la baraque « . Orchestrées par Consuelo Castiglioni, dont la beauté délicate rappelle celle du lys, les créations signées Marni ont été plébiscitées à l’unanimité par les gens de mode. A raison d’ailleurs, car l’élégance naturelle, la pureté et la fraîcheur qui s’en dégagent livrent un exercice de style tout simplement superbe, effleurant au passage les années 1950 et l’allure  » bécébège  » d’il y a 15 ans. Féminines sans virer au  » neuneu  » et aux noeuds-noeuds, les tenues de Marni, en coton ou soie, mélangent rayures et motifs fleuris à l’ancienne, roses en bouton et ruchés racés, imprimés tachistes et coquelicots coquins… A épingler particulièrement, les grosses fleurs-broches à rayures tricolores, très 1789, et que les fashionistas s’arrachent à qui mieux mieux.

Une miss pas fleur bleue mais sachant cueillir l’élégance comme personne, c’est Mademoiselle Lucien, label et muse du tandem bruxellois Laurent Uyttersprot et Pascal Di Pietro. Exposées en version miniature sur des poupées-mannequins et en grandeur nature dans leur nouvelle boutique (1) qui fleure bon le printemps, leurs créations font la part belle à ce tissu fleuri chargé d’histoire qu’est la toile de Jouy ( ndlr: cette toile de coton imprimé servait à l’origine de tissu mural).  » Les gens ont commencé, aux XVIe et XVIIe siècles, à utiliser de façon récurrente des motifs référant à la nature pour enjoliver leur mobilier mais aussi leurs vêtements d’apparat ou d’intérieur, souligne Laurent Uyttersprot. A l’époque, point de TGV, d’avion et de voyages au bout du monde. En revanche, les longues promenades buccoliques et la mode des textes antiques (Virgile, les philosophes grecs…) servaient d’évasion physique et mentale, et de source d’inspiration pour enjoliver son quotidien. Sans oublier ce vieux désir humain de maîtriser la nature et ses charmes afin de la transformer en aimable « compagne de salon ». »

Au nom de la rose et du ton idoine, la rousse Sonia Rykiel mélange, dans sa collection de l’été 2001, le jardins de Monet à Giverny et l’esprit mutin de Saint-Germain des Prés. De leur côté, Emanuel Ungaro et la maison Léonard (dés)habillent les belles plantes à coups de voiles vaporeux et d’immenses imprimés floraux qui évoquent ici les photos de Sarah Moon et là les tenues des geishas de jadis, tandis que chez Chanel, Karl Lagerfeld réinterprète le camélia, fleur-fétiche de la grande Mademoiselle, en détail délicieusement néo-bourgeois, en applications ton sur ton, voire en larges jupes à la généreuse amplitude.

L’âme italienne, prompte entre toutes à tourner des compliments très fleuris, s’enivre de pétales pétulants et de pistils presque pervers, chez Donatella Versace, par exemple, qui pose des fleurs géantes et flashy sur des robes-fourreaux ou des maillots de bain starissimes, alors que le tandem sicilien Dolce & Gabbana imagine de virevoltantes jupettes où s’écrasent quelques spécimens floraux qui appellent illico au péché de chair. Quant à Giorgio Armani, tant dans sa première ligne que pour Emporio, il mise sur des fleurs rebrodées de paillettes qui jouent au blanc et noir sur l’épaule ou une bretelle plutôt qu’à la sempiternelle boutonnière, alors que Trend Les Copains choisit les étoffes précieuses (soie ottoman, tulle, organza, coton damassé) pour y cultiver des fleurs en semis, en bouquet ou que l’on dirait peintes à la main.

Une mode à fleur de peau

Davantage trendy que bucolique, la fleur-bijou, digne héritière du camélia de Chanel, ne demande qu’à parader à nos cous ou nos poignets, ajoutant ainsi à la touche romantique une allure de  » mauvaise fille  » chicissime. Dans  » A la recherche du temps perdu « , de Marcel Proust, la courtisane Odette n’utilise-t-elle pas le nom d’une orchidée plantureuse, le cattleya, quand elle veut signifier aux gentilshommes qui l’accompagnent qu’elle est d’accord de se laisser déshabiller et… butiner? L’incontournable orchidée  » Paphie Pedilum « , dite aussi  » Sabot de Vénus  » en version collier ras-de-cou en cuir noir, conçue par Tom Ford pour Yves Saint Laurent, en est un bon exemple. Vraiment classe mais un brin vénéneuse.

Plus sage, l’Américain Ralph Lauren, partisan d’une allure à la fois féminine et forte, joue la carte du chic spontané lorsqu’il fait pleuvoir des fleurs blanches sur le fond noir et sobre d’une robe légère en crêpe de Chine pendant que les Anglais Alexander McQueen et Matthew Williamson travaillent les fleurs d’une façon étonnante, tantôt en relief et tantôt façon imprimés tachistes, voire camouflage militaire!

Dans le champ illimité de l’inspiration florale, les accessoires occupent un terrain privilégié. Côté parfum, les  » bijoux végétaux  » de la nature sont devenus un classique sans cesse revisité, à l’instar de l’Artisan Parfumeur qui baptise  » Je t’ai cueilli une fleur  » son nouveau trio de parfums – même les flacons imitent les vases soliflores -, qui sentent bon le bouquet printanier et les sous-bois sylvestres. Dans la forêt magique d’Hermès, qui a choisi comme thème,  » La découverte de la beauté du monde « , les carrés de soie croulent littéralement sous la végétation et le légendaire sac Kelly se mue en poème virgilien.

Quant aux chausseurs, plutôt que de semer des pétales de rose sous nos pieds comme c’est la coutume en Asie, ils choisissent de piquer ou broder des fleurs sur l’empeigne des sandales à multi-brides et hauts talons, des tongs, clapettes et autres mules pas toujours faites pour gambader dans l’herbe tendre et le gravier des parcs centenaires. Des pied à la tête, les fleurs foisonnent et fusionnent, jusqu’à s’enraciner sur les couvre-chefs les plus divers. Mais si vous voulez conserver vos fleurs en pleine forme durant au moins tout l’été, choisissez-les en feutre ou en paille: le modiste Elvis Pompilio, qui joue d’ailleurs à merveille les fleuristes, propose des chapeaux cloche, des stestons à la Madonna et des capelines légères ornées de fleurs peintes ou teintes à la main. De quoi tenir joliment tête aux prochaines canicules. A moins que l’on ne continue à essuyer des  » draches  » nationales. Dès lors, c’est chez soi que l’on effeuillera la marguerite…

(1) Rens.: 02-343 38 24.

Marianne Hublet

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