Il n’est pas hyperactif à proprement parler mais il a tant de choses à dire qu’il dessine comme il respire. Des collections à son nom et pour Chine Belgian Design, et aussi des lunettes, des chaussures, des costumes pour le cinéma, le théâtre et l’opéra. Tim Van Steenbergen, le prodige.

Il n’a eu droit qu’à quelques heures – la lumière naturelle est chiche en hiver, à Deinze et ailleurs. Sous la grande verrière de la Stone Gallery Brachot Hermant,  » où l’on trouve les plus belles pierres du monde « , il lui fallait shooter les dix silhouettes de sa carte blanche. Une sensation lingerie contrastée avec tout ce marbre, dans une poussière ambiante qui faisait  » comme un halo « . Un petit choc sismique plein de grâce – on ne sait plus, parfois, où s’arrête la pierre, où commence le vêtement. Avec son équipe, Tim Van Steenbergen avait préparé tout, très soigneusement.  » Brain washing « , repérages, stylisme, cadrages, même le froid de canard et subséquemment l’indispensable chaufferette pour revigorer Tine Maertens, mannequin vêtue de printemps. Ils avaient alors pu travailler dans la concentration, la subtilité, la rapidité, ce qui lui ressemble totalement.

Il est né un jour de 1977, avec cette fascination-là, pour la matière, les tissus, leur tombé, Tim en est sûr,  » c’était en moi « . A 4 ans à peine, il est inscrit au cours de dessin à l’Académie, apprend la perspective avec son grand-père architecte, ignore que, plus tard, il esquissera presque mille deux cents pièces par an, qu’il aura alors besoin  » d’une main qui va vite, qui sait traduire les idées efficacement « . En attendant, le grec et le latin forgent son esprit, l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, son talent et l’assurance d’avoir quelque chose à dire, via le vêtement. En 2000, il en sort diplômé,  » Magna cum Laude « , il ne s’en vante même pas.

Très vite, après des débuts aux côtés d’Olivier Theyskens, il lance sa première collection à Paris. On est en 2002, Tim Van Steenbergen veut  » créer des vêtements modernes mais à l’ancienne, avec les valeurs et les richesses de la mode de ces cent dernières années, et plusà  » Chez lui, vous ne trouverez jamais de citations littérales, mais des détournements étudiés, des circonvolutions cérébrales, des décalages ultrapensés, des patronages recherchés. Et c’est toujours léger, car il sait, Tim, qu’il ne faut jamais  » forcer  » la matière, mais  » la laisse aller « ,  » suivre la nature « .  » Je ne veux pas m’appeler haute couturier, dit-il sans vanité aucune, mais je veux travailler de cette façon-là : revenir aux matières riches, pures, organiques et faire des vêtements que l’on donne à sa fille qui les donnera, elle aussi, à sa fille. « 

On ne s’étonnera guère de trouver dans son armoire les robes 1920 de sa grand-mère couturière ou dans son atelier de la Herentalsebaan, à Deurne, un chemisier fin comme une respiration, tout en dentelle et manches bouffantes qui date du début du siècle dernier. Tout ici, les piles de livres sur Madeleine Vionnet, Madame Grès, Cristobal Balenciaga ou Christian Dior, les caisses de chaussures made in Belgium, les tringles avec prototypes souvent cousus main par lui, le panneau avec inspirations diverses et portraits de l’artiste Joseph Beuys, les trois photos en noir et blanc d’une antique machine à coudre, tout, même les néons un peu fatigués et les lambris de plastique imitation bois disent le travail sans esbroufe, l’étude passionnée, l’esprit couture, l’amour viscéral de l’artisanat.

A part ça, Tim est un garçon comme un autre, il se déplace en vélo, pratique le spinning en salle, lit les Russes, Dostoïevski, Tchekhov ou les livres que ses amis lui filent, fait des allers-retours Anvers-Bruxelles en train et en profite pour dessiner dans ses carnets en moleskine qu’il n’hésite pas à ouvrir, quand on le lui demande, ce n’est pas un secret. Tout comme son envie de défroufroutiser Chine Belgian Design où il vient de signer une première collection épatante. Au début, quand on lui avait fait la proposition, il avait pensé  » moi, Chine ?  » Il n’en avait guère besoin, trois projets à l’opéra, avec le metteur en scène Guy Cassiers – Adam in Ballingschap à Amsterdam, House of the Sleeping Beauties à la Monnaie, à Bruxelles, et plus loin dans le temps, Der Ring des Nibelungen à la Scala de Milan. Sans compter ses costumes pour l’actrice argentine Eugenia Ramirez que l’on découvrira bientôt dans le film de Diego Martinez Vignatti, La Chanteuse de tango. Auxquels il faut ajouter sans reprendre haleine des projets davantage mode, sa collaboration avec le chausseur belge Ambiorix et celle avec le lunettier Theo pour des binocles de soleil et de vue, glamour, fifties et drôlement séduisantes. Car Tim est myope. Mais visionnaire.

Anne-Françoise Moyson

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