Alors qu’il vient d’ouvrir sa première boutique à Paris, ce créateur belge extrêmement discret se confie à Weekend. En exclusivité, il nous révèle son nouveau credo : changer, évoluer, surprendre.

Enfin ! Vingt ans après les débuts de sa ligne Femme, Dries Van Noten a inauguré sa première boutique à Paris, le 23 janvier dernier, quai Malaquais. Le créateur anversois ne pouvait pas mieux espérer de cette Ville lumière qui lui réserve le plus chaleureux des accueils à chacun de ses défilés. Dries et Paris, Paris et Dries, c’est une longue histoire d’amour, dont il entretient le désir à distance :  » Je m’y sens particulièrement bien : il y existe encore un respect à l’égard de la création, mais il est vital pour moi de rester quelque peu éloigné de tout son petit cirque.  » D’ailleurs, c’est un autre homme, plus prolixe et affairé à diriger sa société, qui se dévoile dans sa ville natale et nous reçoit dans sa maison et son jardin secret. Ce havre de paix et de fleurs doit être comme son c£ur. Les rares fois où il en ouvre la porte, on découvre un talent mille fois plus grand.

Weekend Le Vif/L’Express : Pourquoi cette boutique parisienne vous tient-elle à c£ur ?

Dries Van Noten : Je veux qu’elle soit unique, ne ressemble à aucune autre et constitue une nouvelle expérience pour le visiteur. J’ai donc participé à toutes les réunions de chantier, plusieurs fois par semaine, et j’ai chiné un peu partout des meubles anciens pour la décorer.

Son emplacement est déjà exceptionnel !

Sur les quais de la Seine, face aux bouquinistes, avec une vue sur le musée du Louvre et l’île de la Cité : c’est effectivement un endroit idéal, chargé d’histoire, comme je les aime.

En quoi est-elle unique ?

Il s’agit de l’ancienne librairie Slatkine, et sa vitrine a conservé les petites bibliothèques qui s’y trouvaient. J’ai toujours veillé à respecter les lieux dans lesquels je me pose et, avant d’installer quoi que ce soit, nous avons restauré cet espace pour lui redonner sa facture d’origine. Il est constitué d’une succession de pièces qui ont toutes un décor particulier, avec des meubles que j’ai pris soin de sélectionner un à un chez des antiquaires.

On y trouve aussi toutes vos collections ?

Ses 280 m2 ne permettaient pas de tout montrer. J’ai donc décidé de n’y rassembler que les collections Femme. Une seconde boutique, pour Homme ouvrira dans quelques mois.

En 2007 s’annoncent bien des changements. Une nouvelle boutique, mais aussi une collection Femme pour l’été prochain, très différente…

Il n’y a effectivement pas les broderies et les imprimés habituels. Alors que je suis un grand adepte des tissus naturels, j’ai été subitement attiré par les fibres synthétiques. J’avais envie de sportswear avec un esprit couture, du tombé du taffetas dans des fibres de polyester, de parkas qui ressemblent à des vêtements du soir… Maintenant, j’aime changer et évoluer, surprendre.

Votre style est moins ethnique que par le passé…

Au début, je voyageais beaucoup pour m’inspirer. Je rentrais avec plein de souvenirs en tête et j’ai fini par être trop littéral dans mes réinterprétations. Aujourd’hui, la vue d’une petite photo me suffit pour m’évader, rêver et ajouter plein d’autres idées autour. Souvent, mon point de départ est quelque chose que je n’aime pas. Dans la vie, il n’y a rien de plus ennuyeux que les choses jolies. Patrick, mon ami, n’arrête d’ailleurs pas de se moquer, car les plants que j’achète pour notre jardin sont ceux que tout le monde déteste. C’est vrai que les glaïeuls ne sont pas jolis, mais je me force à trouver le moyen de les présenter pour que nous les aimions… Partout, mon but est de surprendre, de comprendre et de faire évoluer les règles autour de l’esthétisme.

Pourriez-vous un jour arrêter de travailler dans la mode ?

Sûrement pas du jour au lendemain, car j’ai une responsabilité envers 95 employés et quelque 500 clients. Mais savoir que j’en ai la possibilité suffit à me stimuler.

Vous êtes vraiment libre à 100 % ?

Les business plans à cinq ans n’existent pas dans cette maison. Mais, à la différence de celui de nombre d’autres designers, mon travail ne se cantonne pas à la création. Il y a aussi la gestion de l’entreprise, la vente et la production qui m’occupent et me passionnent. C’est ce tout qui m’intéresse. J’aime être à l’origine d’un projet et le suivre jusqu’au bout. Je ne suis vraiment pas de ceux qui lancent des idées à leurs assistants et reviennent quinze jours plus tard voir ce que ça donne. Cette haute implication m’est essentielle sur le plan personnel.

Vous parlez à la première personne du singulier, mais aussi du pluriel…

Si je suis à l’origine de cette griffe, je ne me suis pas fait tout seul. Des personnes comme Patrick Van Gheluwe, Christine Mathys et Anne De Lalun m’ont aidé à bâtir cette maison. Nous avons parcouru ce chemin ensemble. Il y a aussi les clients. Le tout premier était le grand magasin Barney’s à New York. Nous venons de fêter nos 20 ans de collaboration…

Vous faites preuve également d’une fidélité sans faille à Paris…

Cette ville a encore un grand respect pour le côté artistique, à la différence de cités comme Milan ou New York, où le chiffre d’affaires prime. Paris est une capitale d’émotions, ouverte et diversifiée, où je me sens particulièrement bien, croisant les professionnels de la mode qui me correspondent le mieux.

Veillez-vous néanmoins à entretenir vos distances ?

Survivre dans une telle ville mange une énergie folle. Pour imposer son style, il faut y parler à voix haute, alors qu’il me suffit de chuchoter à Anvers et de descendre ensuite à Paris présenter la collection sans me conformer à ce que l’on attend de moi. De plus, il n’y a pas que la mode dans mon existence, il y a aussi ma vie privée.

Votre jardin secret ?

Ce sont ma maison et mon jardin, justement. Voilà dix ans, mon compagnon et moi avons fait le point : nous avions créé cette affaire ensemble et nous avions besoin d’un autre projet plus personnel. Ça a été ce lieu, qui nous permet de regarder le monde de la mode avec un certain recul… Entre une soirée à Paris et une dans mon jardin, je ne vous cache d’ailleurs pas que je choisis toujours celle parmi mes roses.

Carnet d’adresses en page 62.

Propos recueillis par Frédéric Martin-Bernard

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