Burkina Faso et Bénin, deux pays à l’écart des sentiers touristiques. Pauvres mais riches de leur culture et de l’hospitalité de leurs habitants. Deux destinations idéales pour plonger dans l’Afrique authentique.

C’est la fin de la saison des pluies et, dans Ouagadougou, il faut slalomer entre les ornières et les camions embourbés. Vélos, motos et cyclomoteurs bourdonnent comme des essaims. Ici, le deux-roues est roi. De vieilles bécanes venues d’Europe, mais aussi de plus en plus de motos chinoises bon marché. Les trottoirs, eux, croulent sous les échoppes qui vendent un peu de tout et beaucoup de rien. Le Burkina Faso (qui se traduit par  » pays des hommes intègres « ) étant l’une des contrées les plus pauvres de la planète, la débrouille y est une religion : il pleut et le taxi qui nous ramène de notre première soirée burkinabé n’a pas d’essuie-glaces. Aucun problème, le chauffeur sort son petit chiffon pour balayer la vitre tout en roulant… Le ton est donné. Demain, cap sur le Burkina profond.

EN TERRE ANIMISTE

Première étape : le pays lobi, dans le sud-ouest. A peine sorti de la capitale, premier contrôle de police. Tout est vérifié et, pour aller plus vite, on glisse discrètement un billet entre les papiers d’identité. Arrêt insolite au lac des crocodiles de Sabou. Des animaux sacrés – plus d’une centaine – depuis que l’arrière-grand-père du chef actuel aurait été sauvé par l’un d’entre eux. Les  » monstres  » semblent patauds et endormis mais dès qu’une proie potentielle s’approche, leur mâchoire s’ouvre et claque d’un coup sec. La route se fait ensuite plus difficile. Suite à une petite crevaison, on continue à pied dans la brousse en attendant que le véhicule nous rattrape. Les couleurs sont saturées, entre le rouge puissant de la piste en latérite, le bleu azur du ciel et le vert tendre de la végétation. Des enfants surgissent de nulle part pour faire un bout de chemin avec ces promeneurs inhabituels. Après une poignée de kilomètres, nous suivons un sentier dans les hautes herbes, puis à travers champs, de hameau en hameau. L’occasion d’échanger quelques mots avec les habitants, de capturer des scènes de vie. Le chef de la famille lobi que nous visitons est féticheur, comme en témoignent la statue d’argile et les nombreux grigris sur le toit de sa maison, destinés à favoriser les récoltes.

Depuis 2009, le Burkina est fier de compter un site enregistré au patrimoine mondial : Loropéni, une ancienne forteresse de pierre volcanique et de terre. A la croisée des routes commerciales, elle servait de refuge aux marchands. De là, direction Banfora, célèbre pour ses falaises. Les pistes sont défoncées, la progression est lente et sinueuse. Pour rejoindre les chutes de Karfiguéla, il faut marcher sous les mangliers, dans un sol gorgé d’eau et inondé par endroits. Les jambes dans la boue, on débouche au bas des chutes avant de grimper au sommet de la falaise pour une baignade rafraîchissante. La nuit tombe très vite et le retour est salué par une myriade de lucioles scintillant dans l’obscurité des champs de canne à sucre.

JOYEUSES FUNÉRAILLES

Ce matin-là, rendez-vous avec une cathédrale de grès rouge : les pics de Sindou. On y accède en suivant un escalier taillé dans le roc, cerné d’étranges aiguilles rabotées et torturées par les éléments. Elles auréolent de mystère ce plateau où les gens venaient autrefois se réfugier et où se pratiquent encore les rites d’initiation des garçons. Au village de Sindou, en contre-bas, la population célèbre des funérailles animistes. Un événement joyeux dans ce cas-ci car on honore la mémoire d’une personne âgée (qui avait dépassé la… cinquantaine !) et qui souffrait. Au rythme des percussions, un danseur couvert d’un long masque de cuir et de tissu taquine l’assistance.

Changement d’atmosphère à Bobo Dioulasso. Ville réputée pour son artisanat, elle laisse aussi transparaître une extrême pauvreté. Ce qui n’empêche pas d’y faire des rencontres extraordinaires. La découverte de la capitale du pays bobo passe invariablement par sa mosquée. Construite en banco (terre crue et paille), c’est l’une des plus belles d’Afrique de l’Ouest. Juste en face, le quartier animiste, labyrinthe de maisons en terre rouge, est protégé par son fétiche, grande statue primitive en terre. A ses pieds, les habitants viennent déposer des offrandes en remerciement pour un nouveau-né. Un peu plus loin, dans une petite cour, quelques hommes et une femme boivent de la bière de mil, préparée sur place et fermentée grâce à des écorces spécifiques. Gentiment, ils nous invitent à les rejoindre et à goûter le breuvage présenté dans des fonds de calebasse. Amère, cette bière appelée dolo rappelle un peu la gueuze que l’on fabrique à Bruxelles.

EMMÈNE-MOI VITE !

Le tourisme est quasi inexistant au Bénin voisin, et chaque visite en devient une aventure faite d’imprévus, de belles rencontres, de sourires mais aussi, parfois, de pleurs d’enfants… lorsqu’ils voient des blancs pour la première fois ! Dans l’Atakora, au nord du pays, on rencontre de curieuses constructions de terre dans les campagnes, sortes de petits châteaux rouges. Ce sont les tatas (fermes) somba, des greniers fortifiés et habités. Le chef nous accueille en tenant son bras droit de la main gauche, signe de respect pour ses visiteurs, qu’il considère comme plus importants que lui. Ses deux fils nous font le tour du propriétaire. Les chambres sont construites sur le toit, comme autant de minuscules chapeaux de terre et de paille. Au mur du tata, les fétiches représentent les ancêtres vénérés par la famille. Tout comme au Burkina Faso, les Béninois sont soumis à des rites de passage dont les plus visibles sont les scarifications. Parfois nombreuses, on les pratique dès l’âge de 9 ans. Elles permettent de se reconnaître entre ethnies mais, surtout, de chasser les mauvais esprits.

En dépassant Djougou, les bords de route s’illuminent d’intrigants tapis écarlates : les femmes mettent à sécher au soleil des milliers de petits piments posés côte à côte sur l’asphalte. Le charme d’un voyage en Afrique est aussi fait de moments insolites, comme cet arrêt dans une petite école de brousse. Ici, on improvise les classes avec trois fois rien mais les enfants suivent un programme tout ce qu’il y a de sérieux et… en français. Car au Bénin, de nombreux dialectes sont parlés, et il n’est pas rare que les 3 ou 4 enfants qui partagent le même banc soient tous de langue maternelle différente. En fin d’après-midi, nous enfourchons une moto taxi ou zem (diminutif de  » zémidjou « , qui signifie  » emmène-moi vite ! » en langue fon), pour partir sur des chemins détrempés à la rencontre d’un guérisseur vaudou installé dans le village d’origine de la dynastie d’Abomey. C’est dans cette région que le vaudou puise ses racines. Cette magie blanche axée sur les fétiches et les sacrifices d’animaux est pratiquée par presque toute la population. Même ceux qui n’y croient pas la craignent, et la plupart des chrétiens et des musulmans y ont également recours : d’où leur nom de  » fifty-fifties « . Le Royaume du Dahomey fut l’un des plus puissants d’Afrique de l’Ouest. Beaucoup de régions ont encore leur roi, sans pouvoir réel mais toujours auréolé de prestige. N’importe qui, même un Européen, est en droit de demander une audience au potentat local. Elle se fera en suivant un protocole précis, sans oublier des offrandes destinées à  » honorer les ancêtres du monarque « .

Classés au patrimoine de l’humanité par l’Unesco, les palais d’Abomey ont été construits les uns après les autres par les rois successifs. Si certains ne sont plus que de misérables bâtiments de terre entourés de terrains en friche, d’autres valent vraiment la visite (à commencer par celui où demeure le roi actuel). Ils se visitent pieds nus  » pour capter l’aura du roi et ne pas froisser les ancêtres « .

Le voyage aurait pu se terminer par quelques jours sur les magnifiques plages du Bénin mais il aurait été dommage de ne pas naviguer dans la ville lacustre de Ganvié, sur le lac Nokoué. Une cité fondée au XVIIIe siècle par des réfugiés fuyant les razzias des esclavagistes. La Venise d’Afrique vit depuis à fleur d’eau, sur pilotis, en pirogue ou les pieds mouillés quand il faut relever les acajas, ces jardins aquatiques où poissons et écrevisses sont engraissés durant plusieurs mois. Une vie simple et dure, qui contraste totalement avec l’effervescence que l’on retrouve sur l’autre rive, dans les villes tentaculaires de Cotonou ou de Porto Novo.

PAR ERIC VANCLEYNENBREUGEL

La magie blanche est pratiquée par presque toute la population. Même ceux qui n’y croient pas la craignent.

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