L a rencontre a lieu au Wax, un bar dont la baie vitrée en coin donne sur le centre de Bruxelles comme sur un morceau égaré de New York. Dans la pièce couronnée de sièges échappés du  » Mépris  » (la villa postmoderne de Jack Palance), An Pierlé, un mètre soixante-sept de poids plume et de teint de porcelaine, est à gauche de  » son  » Koen (Gisen), porteur d’une moustache  » Brigades du Tigre « , tout en noir, à la fois comparse musical et conjoint dans une  » vraie vie  » partagée à Gand. Entre eux, des signes persistants de mamours prononcés, surtout lui, qui la jauge d’un £il de velours dès qu’il avance une réponse. On est en pleine YokoOnoJohn-Lennonisation, sauf qu’ici, les rôles mâle/femelle sont inversés. L’enfant, à défaut d’un vrai, est une rondelle synthétique qui dispense des émotions qui ne le sont pas (synthétiques).  » White Velvet « , troisième disque de Pierlé & C°, est aussi leur plus mature. La chanteuse n’y a pas encore complètement tué les parfums d’Amérique – les quelques intonations à la Tori Amos – mais son image d’An au Pays des Merveilles, les yeux écarquillés devant un perpétuel Noël pop, se trouve dissipée par l’excellence de plusieurs titres dont  » Jupiter « , taillée dans la peau qui habille les tubes. A propos de  » customisation « , on ne peut s’empêcher de remarquer la paire de bottes de la belle, deux choses bleues et scintillantes possiblement sorties d’un stock de glam-rock inédit. Cela pourrait être de la récup de Gary Glitter, mais c’est, évidemment, du pur produit de la rue Antoine Dansaert, haut lieu du dress code en vogue à Bruxelles.  » Ce sont des soldes, mais ce sont de très très bonnes bottes qui viennent de chez A.F. Vandevorst. Hautes mais confortables, idéales pour la scène…  »

Weekend Le Vif/L’Express : Comment avez-vous vécu l’expérience de la session de photos de mode organisée par du Weekend ?

Koen ( enthousiaste) : La mode nous a toujours intéressés, les créateurs belges en particulier. Une mode qui n’est même plus un monopole flamand : il y a maintenant des francophones comme Xavier Delcour, Véronique Leroy, Olivier Theyskens…

An : Et Haider Ackerman ? ( NDLR : il est né en Colombie dans une famille d’origine française, mais a étudié en Belgique) Quoi qu’il en soit, on a aimé la session du Weekend, l’imagination du styliste et de la photographe. On aime fréquenter les ventes de stock, on aime la belle confection et la couture soignée. Et le concert est quand même le lieu où l’on doit un peu rêver !

Qui de vous deux a la plus grande garde-robe ?

Koen : Au début, c’était moi, mais maintenant, elle m’a rattrapé ( rires). Ma philosophie est de porter les vêtements jusqu’au moment où ils sont vraiment  » cassés « …

An : J’aime bien les choses un peu bizarres comme les vieux chapeaux. On parle souvent de la mode en termes de designers mais j’aime la combinaison des marques et des vieux brols. Ce n’est pas jouissif de dépenser tout son budget sur une seule pièce. Et puis, il ne faut pas être snob ! Quand les autres ne portent plus un type de fringues, nous on commence ( rires).

Koen, tu portes un impressionnant pantalon de velours très seventies qui a dû comporter des motifs, aujourd’hui évanouis…

Koen : Un exemple de détérioration dans le temps : c’est un vieux pantalon d’Ann Demeulemeester, en batik. Il a eu sa vie comme pantalon d’hiver et va la terminer comme pantalon d’été.

(An soulève les bas de son pantalon et expose les  » dégâts du vélo « . Ils sont, effectivement, impressionnants sur le tissu martyrisé.)

Que signifie faire un disque avec son conjoint dans une relation fusionnelle ? C’est compliqué non ?

An : Cela ne pose pas tellement de problèmes même si chacun défend régulièrement son propre point de vue. C’est aussi un avantage : on sait qu’on peut dire ce que l’on veut à l’autre. Pendant trois mois, on a travaillé chaque jour de 10 heures du matin à 3 heures le lendemain. Sans week-end, sans jour d’arrêt : la maison est devenue un bordel, le matériel débordait de partout. Mais à un moment, il faut pouvoir éteindre l’ordinateur…

Koen : Vivre et travailler ensemble, cela s’apprend. Mais pour moi, c’est moins problématique parce que je fais encore une programmation de pop-music au Vooruit à Gand, ce qui me permet de voir des gens. Sinon, le perfectionnisme n’a plus de limites !

An : Je passe des journées parfois complètement seule. C’est pour cela que j’aime mes voisins : enfin quelqu’un à qui dire bonjour ! Parfois, je vais au Delhaize ( sic) et ma seule distraction, c’est de cuisiner ( rires). Il faut pouvoir conserver le sentiment organique de la musique, refuser de perfectionner à mort…

Depuis combien de temps travaillez-vous ensemble ?

An : On est ensemble, pour de vrai, depuis huit ans et demi… Mais on n’est pas mariés.

 » Pour de vrai  » ?

An : D’abord on a été très amoureux ( rires). Koen était là dès le début mais pas aussi près ( rires). Il a d’abord commencé par faire des photos de moi, bien qu’il ne soit pas photographe !

Koen : On avait décidé que les images d’An réalisées à l’époque ne nous convenaient pas.

An : Elles étaient beaucoup trop féeriques. C’était toujours les mêmes images de fifilles. Koen a commencé par les photos, puis s’est mis aux vidéos… Toujours un pas plus loin. Et puis, en vacances, on s’est mis à faire de la musique ensemble. On a d’abord pensé à sortir ce projet sous un autre nom, mais cela n’avait pas vraiment de sens.

Koen : J’étais un peu gêné parce qu’il s’était déjà passé quelque chose autour d’An et je ne voulais pas donner l’impression de voler une place quelconque. Je ne voulais pas m’imposer.

An : Mais beaucoup de chanteurs et de chanteuses travaillent avec leur conjoint ! Tori Amos, les Rita Mitsouko…

Koen : Jean-Jacques Goldman !

En ce qui concerne ce dernier, je ne pense pas. Avez-vous choisi de faire des disques plutôt que des enfants ?

An (elle hésite) : On ne sait jamais, hein ! On se pose la question, mais ce n’est pas facile. Et puis, faut-il embarquer une nanny en tournée avec l’enfant ? Je veux d’abord travailler ce disque à fond, parce que je ne voudrais pas reprocher quoi que ce soit à un enfant !

Koen : Ce serait peut-être mieux que je reste à la maison ( rires).

Votre musique semble sans métissage, elle est plutôt  » blanche « , dans la prolongation d’un style pop très anglo-saxon : qu’a-t-elle de belge, de gantois ou de flamand ?

An : En fait, on a de multiples influences : c’est terriblement belge de piquer un peu partout !

Koen : En Flandre, on nous dit que notre musique est quand même  » un peu française  » ! Les arrangements de cordes par exemple. Au début surtout, on avait un comportement scénique très théâtral : on n’a jamais joué le  » cool  » comme image.

An : On a lutté contre l’image rock ou celle de  » poètes maudits « . Etre rock star ici, c’est grotesque. On ne veut pas célébrer l’idée qu’il faut être malheureux pour faire de la musique ! Ce n’est pas parce qu’on est extraverti dans la vie qu’on doit le consigner dans les chansons. La réalité est extrêmement difficile à mettre en musique.

Koen : On essaie de respecter notre propre échelle de valeurs, y compris dans la musique, mais c’est une notion assez abstraite. C’est là qu’on tente, An et moi, de trouver notre terrain commun pour exister.

Votre sentiment d’appartenance est-il plutôt belge ou flamand ?

Les deux : Belge !

An : Depuis que je suis toute petite, je vais voir ma famille dans les Ardennes profondes, du côté de Neufchâteau-Florenville. Il n’y a donc pas de frontières pour moi. J’aime justement ce petit pays bizarre qui réunit plein de choses.

Koen : Et malgré le danger du mot qui peut sonner comme un cliché, j’aime l’absurdité de ce pays. C’est très thérapeutique d’y être confronté à d’autres  » cultures « . En France, on est très identifiés comme étant belges, un peu déjantés. Pour les Français, Venus, dEUS ou nous-mêmes, sommes tous mis dans le même panier belge ! On a d’ailleurs fait le choix de la France plutôt que celui de l’Angleterre par exemple, où nous avions eu de bonnes critiques dans des magazines importants comme  » Q  » !

An : On a eu le choix entre faire une tournée dans les  » caves des clubs anglais  » qui sentent le vomi, et un été de festivals en France où l’on est gâté comme tout ! On a vite choisi ( rires) !

Koen : C’est la même chose avec les Pays-Bas où il est possible de faire soixante ou quatre-vingts dates dans des centres culturels, mais où l’accueil n’est jamais très chaleureux et la nourriture atroce ! On fera cela quand on sera vieux !

Vous aviez un contrat précédemment avec la filiale belge de Warner qui a  » nettoyé  » son catalogue des artistes locaux et aujourd’hui, vous êtes chez Pias, grand label indépendant belge !

An : Pias a une très bonne distribution et des bureaux un peu partout en Europe. Le siège est à Bruxelles, donc on peut très vite aller frapper à sa porte ! C’est la plus grande des petites boîtes et je pense que, pour nous, c’est un atout !

Koen : Avant, on était chez Warner-Belgique, mais il n’y avait ni pouvoir ni envie de travailler sur le disque.

Vous avez commencé votre vie comme des  » pop-stars « , qu’est-il prévu pour la fin ?

An : Je pense que l’on va terminer par des croisières (elle part dans un long rire saccadé). Non, je crois qu’ils ne demandent jamais des groupes comme nous. On aimerait de temps en temps faire un mariage pour cinq millions (sic), sauf qu’on ne fait pas vraiment une musique de fête. Ce qui ne nous empêche pas de jouer à des mariages de copains.

Koen : Ou à l’église !

An : On a joué aux funérailles de mon bon-papa, dans les Ardennes. On a chanté  » As Sudden Tears Fall « , c’était très chouette, enfin c’est une façon de parler. Toute l’église pleurait.

CD  » White Velvet « , par An Pierlé & The White Velvet, chez Pias, sortie le 8 mai. En concert, entre autres, au Cirque royal à Bruxelles ce 5 mai et à Rock Werchter le 2 juillet prochain.

Internet : www.anpierle.net

Propos recueillis par Philippe Cornet

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