Écrin blanc

Dans la salle à manger, au-dessus de la cheminée, Devil or Angel d'Ed Ruscha (1973). © TEXTE : ROBERT COLONNA D'ISTRIA / PHOTOS : JEAN-FRANÇOIS JAUSSAUD

D’un hôtel particulier londonien du xviiie siècle, le décorateur Frédéric Méchiche a fait une demeure contemporaine, lumineuse et confortable, qui accueille une prestigieuse collection d’art.

Frédéric Méchiche est toujours heureux de travailler pour des clients qu’il connaît bien. La confiance, voire la sympathie ou l’amitié, transforme les relations professionnelles en complicité. C’est dans ce cadre, rassurant et stimulant, qu’il est intervenu sur cette somptueuse bâtisse londonienne.  » J’avais déjà réalisé pour ces personnes plusieurs maisons, raconte-t-il. Nous en sommes arrivés à n’avoir plus besoin de mots ou de grandes phrases pour échanger nos points de vue ; c’est très agréable. Nous nous comprenons, mais, par-dessus tout, je crois que nous aimons nous étonner mutuellement. Ces gens sont très intéressés par l’art contemporain et les choses entre nous se sont nouées ainsi, librement, sans détours compliqués, autour de cette passion.  »

Le grand salon abrite une table, des tabourets et une banquette  de Charlotte Perriand, un lampadaire de Serge Mouille  et un tapis en jonc de mer et lin de Frédéric Méchiche.
Le grand salon abrite une table, des tabourets et une banquette de Charlotte Perriand, un lampadaire de Serge Mouille et un tapis en jonc de mer et lin de Frédéric Méchiche.© TEXTE : ROBERT COLONNA D'ISTRIA / PHOTOS : JEAN-FRANÇOIS JAUSSAUD

La maison en question, située dans l’élégant et huppé quartier de Belgravia, au sud-ouest du palais de Buckingham dans Westminster, est un hôtel particulier du xviiie siècle, à l’architecture géorgienne. Lorsque les propriétaires décident de lifter le bien, ce dernier présente certes de vastes surfaces réparties sur trois niveaux, un grand sous-sol, de beaux volumes et même un joli patio, mais les planchers d’époque ont malheureusement disparu au profit de revêtements modernes sans charme. De même, les cheminées originelles ont été remplacées par d’horribles catafalques du xixe siècle, les peintures sont abominables et de lourdes draperies pendent aux fenêtres. Les futurs habitants et le concepteur sont néanmoins séduits par quelques éléments remarquables, tels que ces briques apparentes, caractéristiques de la période de construction…  » C’est quelque chose de très rare de trouver ainsi une maison datant de si longtemps avec une telle allure et susceptible de retrouver l’éclat de sa jeunesse… « , commente le décorateur.

Dans le grand salon, le meuble bas créé par Frédéric Méchiche est surmonté par Hilton hôtel, une toile de Sarah Morris. A côté, le lustre en cristal de Murano imaginé par Cerith Wyn Evans.
Dans le grand salon, le meuble bas créé par Frédéric Méchiche est surmonté par Hilton hôtel, une toile de Sarah Morris. A côté, le lustre en cristal de Murano imaginé par Cerith Wyn Evans.© TEXTE : ROBERT COLONNA D'ISTRIA / PHOTOS : JEAN-FRANÇOIS JAUSSAUD

De l’art du détail

Compte tenu de la valeur historique de l’édifice, les travaux sont surveillés par les Monuments Historiques anglais, particulièrement vigilants. La première tâche est de remplacer les sols existants par des parquets à larges lattes, comme on en trouvait au xviiie siècle. Il faut ensuite se lancer dans une grande chasse aux cheminées, afin de remplacer les objets massifs qui enlaidissent l’intérieur. Deux grands âtres en marbre clair, pour la salle à manger et la chambre, réchauffent désormais les lieux, l’un et l’autre fidèles à l’esprit et à la rigueur de la façade du logement. Des éléments qui pourraient paraître futiles pour certains mais qui, pour le décorateur, sont cruciaux, lui qui met un point d’honneur à pousser ses projets dans les moindres détails.  » Le bon et le mauvais goût, cela ne veut rien dire, explique-t-il. En revanche, ces éléments  » de base  » peuvent carrément mener à des erreurs s’ils ne sont pas maîtrisés. Il faut veiller à ne pas en commettre, car elles sont révélatrices d’un manque de culture.  »

Au rez-de-chaussée, deux fauteuils de Jean Prouvé encadrent une table basse  de George Nakashima. Sur la table, un crâne de Damien Hirst, et à gauche,  sur un socle, une sculpture de Sarah Lucas.
Au rez-de-chaussée, deux fauteuils de Jean Prouvé encadrent une table basse de George Nakashima. Sur la table, un crâne de Damien Hirst, et à gauche, sur un socle, une sculpture de Sarah Lucas.© TEXTE : ROBERT COLONNA D'ISTRIA / PHOTOS : JEAN-FRANÇOIS JAUSSAUD

Une fois cette réflexion sur la préservation des traces du passé menée, l’architecte d’intérieur s’attelle aussi à modeler la partie  » arrière  » du logis, comprenant le bureau, la cuisine, une salle d’eau et un dressing. Puis, il prend le parti de tout peindre uniformément en blanc pour contraster avec les planchers sombres et donner de cette manière à l’ensemble un style très moderne. Enfin, pour réchauffer la composition, il distribue aux quatre coins de l’immense demeure des tapis en sea-grass, bordés de lin.  » Cette texture n’est pas une invention récente, commente-t-il. Il en existait déjà, au xviie siècle, dans les châteaux. C’est ici un liant entre l’architecture classique, les meubles du xxe siècle et les oeuvres contemporaines que contiennent ces pièces.  »

Le rocking-chairVoido est signé Ron Arad,  le tableau Butterfly est de Damien Hirst  et la sculpture d'Antony Gormley.
Le rocking-chairVoido est signé Ron Arad, le tableau Butterfly est de Damien Hirst et la sculpture d’Antony Gormley.© TEXTE : ROBERT COLONNA D'ISTRIA / PHOTOS : JEAN-FRANÇOIS JAUSSAUD

Dans ce décor classique rendu actuel par une refonte intelligente des espaces, de somptueux meubles, pour la plupart des plus grands designers du siècle dernier, apportent une note plus personnelle. La large collection privée d’art contemporain venant couronner cet aménagement tout en finesse. Au coeur de Londres, ces oeuvres des plus grands artistes de notre temps pouvaient-elles trouver écrin plus accueillant ?

En bref

Architecte d’intérieur depuis une quarantaine d’années, Frédéric Méchiche est connu pour sa propension à concevoir des espaces qui racontent des histoires uniques. Il aime à mélanger les styles, par exemple en conservant l’élégance formelle d’un lieu classique avec ses moulures et parquet anciens, qu’il associe à de l’art contemporain et du mobilier vintage des années 50-60, créant ainsi des lieux à la fois raffinés et faciles à vivre. Il a un rapport très complice avec ses clients, qui comptent principalement de grands amateurs d’art dans le monde entier, car au-delà d’un simple décor, l’homme s’attelle également à la mise en valeur de leur collection d’art souvent inédite.

Dans la salle à manger, la table et la console de George Nakashima côtoient les chaises d'Arne Jacobsen.  Le grand miroir concave est une oeuvre de Cerith Wyn Evans, Perverse, inverse, reverse (1997).  Sur le mur de droite, l'ensemble des panneaux peints constitue une oeuvre de Francis Alÿs.
Dans la salle à manger, la table et la console de George Nakashima côtoient les chaises d’Arne Jacobsen. Le grand miroir concave est une oeuvre de Cerith Wyn Evans, Perverse, inverse, reverse (1997). Sur le mur de droite, l’ensemble des panneaux peints constitue une oeuvre de Francis Alÿs.© TEXTE : ROBERT COLONNA D'ISTRIA / PHOTOS : JEAN-FRANÇOIS JAUSSAUD
Même la chambre principale abonde  en oeuvres d'art diverses.
Même la chambre principale abonde en oeuvres d’art diverses.© TEXTE : ROBERT COLONNA D'ISTRIA / PHOTOS : JEAN-FRANÇOIS JAUSSAUD
Dans le patio, un arbre en fonte d'aluminium d'Ugo Rondinone repose sur un sol en dalles de marbre anciennes.
Dans le patio, un arbre en fonte d’aluminium d’Ugo Rondinone repose sur un sol en dalles de marbre anciennes.© TEXTE : ROBERT COLONNA D'ISTRIA / PHOTOS : JEAN-FRANÇOIS JAUSSAUD
Original : deux ascenseurs minuscules de Maurizio Cattelan. Les chaussures, en taille réelle, donnent la mesure de l'oeuvre.
Original : deux ascenseurs minuscules de Maurizio Cattelan. Les chaussures, en taille réelle, donnent la mesure de l’oeuvre.© TEXTE : ROBERT COLONNA D'ISTRIA / PHOTOS : JEAN-FRANÇOIS JAUSSAUD
Suspension en verre coloré  de Jorge Pardo.
Suspension en verre coloré de Jorge Pardo.© TEXTE : ROBERT COLONNA D'ISTRIA / PHOTOS : JEAN-FRANÇOIS JAUSSAUD
La piscine, installée au sous-sol, peut être couverte pour que l'espace se transforme  en boîte de nuit. Les célèbres fauteuils de  Pierre Paulin (1963) encadrent une table  d'Isamu Noguchi.
La piscine, installée au sous-sol, peut être couverte pour que l’espace se transforme en boîte de nuit. Les célèbres fauteuils de Pierre Paulin (1963) encadrent une table d’Isamu Noguchi.© TEXTE : ROBERT COLONNA D'ISTRIA / PHOTOS : JEAN-FRANÇOIS JAUSSAUD

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