Pionnier de la nouvelle cuisine espagnole avec trois étoiles Michelin depuis 1989, Juan Mari Arzak est aussi l’un des fers de lance de la révolution culinaire basque. En duo avec sa fille Elena, il fait preuve d’un infatigable esprit inventif.

Guide pratique en page 60.

« J’aime mon métier « , dit-il simplement tout en décochant son magnifique sourire. Il est dix-sept heures passées et Juan Mari Arzak, le visage illuminé de bonheur, salue les derniers clients de la mi-journée. Il est né ici, dans les faubourgs de San Sebastian, le 31 juillet, cela fera bientôt 61 ans, dans la maison où sa mère et sa grand-mère ont tenu une taverne, devenue sous son impulsion une des étapes incontournables sur la carte gourmande du globe.

La cuisine traditionnelle basque est douce en goûts, très subtile, avec une belle maîtrise des textures lors des cuissons. Quatre sauces l’authentifient. La verte est réalisée à base de persil et d’ail. La rouge est colorée par le pimenton (le piment doux séché et réduit en poudre), la noire l’est par l’encre de seiche et la blanche par le pil-pil réalisé en associant de l’huile à la gélatine qui est exprimée lors de la cuisson des poissons…  » Au milieu des années 1970, nous étions une douzaine de cuisiniers à vouloir innover, avec pour point de départ notre terroir, ses produits et ses recettes, explique Juan Mari Arzak. Au Pays basque, nous avons de réelles racines culinaires qui se fondent sur les produits de la mer… En 1975, nous avons organisé une table ronde sur la cuisine basque. A cette occasion Pedro Subijana ( lire aussi pages 48 à 51) a déclaré que nous, les cuisiniers, devions travailler pour la culture basque avec notre culture à nous, c’est-à-dire la table.  »

De cette réunion de chefs naît un programme en trois étapes. Tout d’abord, retrouver les recettes du passé, coutumes et ingrédients. Ensuite, être à même de bien reproduire la cuisine traditionnelle. Et, enfin, rechercher de nouvelles formes de cuisine, en partant de ces bases.  » Nous nous sommes mis à travailler chacun de notre côté, poursuit Juan Mari Arzak. Mais en gardant le contact. Pendant un an, nous avons régulièrement cuisiné ensemble, les uns chez les autres. Chacun de nous invitait à ses frais 4 personnes : des gourmets, des journalistes, des professionnels de la nourriture. On était tous en cuisine. A la fin du repas, nous allions en salle et nous discutions avec ce parterre de convives. Ainsi, nous partagions nos connaissances.  »

Le mouvement s’accélère ensuite. Juan Mari Arzak se souvient des conférences que le groupe de cuisiniers a données dans les écoles, les centres culturels, les universités. Il relève aussi le rôle fondamental des sociétés de gastronomie ( lire aussi pages 56 à 58), conscientes des valeurs du patrimoine alimentaire local.  » Nous sommes un tout petit peuple. De part et d’autre des Pyrénées, il y a tout au plus deux millions de Basques. Et puis, dans toutes les difficultés que nous vivons et avons vécu, ce mouvement apportait un peu d’air frais. C’est positif.  » Triplement étoilé Michelin depuis quatorze ans déjà, Juan Mari Arzak est devenu le porte-drapeau incontesté de cette nouvelle cuisine basque. Il est aussi un des moteurs de la nouvelle cuisine espagnole, même si Ferran Adria l’incarne davantage aujourd’hui, surtout hors des frontières.

De petits maraîchers locaux lui fournissent les légumes ; les poissons viennent des ports voisins.  » Je suis un artisan qui travaille avec des produits artisanaux, en suivant les saisons au plus près « , martèle-t-il. Juan Mari Arzak est aussi très fier de sa caverne d’Ali Baba : une petite pièce dans laquelle sont répertoriés plus de 1 600 produits, soit autant de matières premières venues des quatre coins de la planète, sagement empilées dans de petits boîtiers en plastique transparent.  » Qu’on ne se trompe pas sur leur utilisation, souligne le chef. Ils ne sont pas là pour entrer tels quels dans les nouvelles recettes mais bien pour construire une mémoire des saveurs, transcrite dans le fichier de notre ordinateur. Chaque produit ici a donné lieu à une sorte de fiche de dégustation exprimée en mots clés. Imaginons que je m’intéresse à l’acidité. J’interroge l’ordinateur qui me donne, par exemple, 50 noms de produits, dont certains auxquels je n’aurais pas pensé immédiatement. Je dispose ainsi d’une véritable base de données pour entamer mes recherches, concevoir mes recettes.  »

Dans la pièce attenante, Juan Mari Arzak s’affaire avec deux cuisiniers, qui travaillent indépendamment de la grande brigade du restaurant. Leur tâche ? Affiner les nouveaux con-cepts. C’est ici, notamment, qu’est né un des plats favoris du moment : le cercle du calamar. Un carré de calamar est percé de trous avec un emporte-pièce, de quoi lui donner l’allure d’une tranche d’emmental. Les ronds de chair sont récupérés pour former un tartare, tandis que le morceau principal est cuit à la plancha. Sont ainsi réunies dans une même assiette deux textures et deux saveurs issues d’un même mollusque.

Depuis quelques années déjà, dans le restaurant qui porte son nom, Juan Mari Arzak partage cette passion de créer avec sa seconde fille Elena (33 ans). Son aînée, Marta, est, elle, responsable des départements éducatifs du musée Guggenheim de Bilbao. Au restaurant, Elena et Juan ont pris le parti d’être complémentaires… tout en préservant leurs caractères. Au tempérament bouillonnant de son père, la jeune femme oppose un tempérament très structuré, sans doute acquis lors de ses études secondaires au lycée allemand de San Sebastian et une formation hôtelière à Lucerne, en Suisse.  » C’est souvent le cas, s’enthousiasme Juan Mari Arzak. Elena opère une petite percée quelque part, fait un petit trou et moi, je m’engouffre dedans. Je fais tout exploser.  »

Une de leurs spécialités ? Les mojos, des mélanges de produits qui viennent parfumer les plats, à la manière des mélanges d’épices asiatiques de la famille des currys. Elena et Juan Mari on mis au point quantité de formules valorisant des ingrédients aussi divers que des zestes de fruits, des fruits secs moulus, des épices, des herbes…  » Nous nous sommes aperçus que le même sel relevé d’une pointe de gingembre en poudre prenait une autre ampleur, révèle le chef talentueux. La même chose avec la salsepareille, une épice extraite de l’écorce d’un arbre mexicain.  »

Juan Mari Arzak n’est décidément pas prêt d’arrêter. Ce qu’il fait le rend heureux : l’envie de chercher, de trouver, de surprendre. En duo avec Elena, il poursuit plus que jamais la révolution entreprise voici vingt-cinq ans. Et c’est ainsi que la culture culinaire basque s’enrichit jour après jour…

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