A 23 ans, la Belge Elise Crombez a déjà atteint le firmament des tops internationaux. La belle n’a pas non plus sa langue en poche.

EN exclusivité pour Weekend, elle s’est glissée dans l’univers russe, la tendance de l’hiver. Confession entre deux coups de flash.

Rayonnante, Elise Crombez est la nouvelle ambassadrice de l’Air du temps, la fragrance mythique de Nina Ricci. Au kilomètre, ses ailes d’ange tapissent désormais murs et pages de magazines. Une enveloppe vaporeuse qui lui sied à merveille. Belle, intelligente et accessible, la Belge pilote brillamment une barque où s’empilent les contrats. Pourtant, Elise n’est pas issue du sérail. Née à Mouscron en 1982, elle n’est encore qu’une brindille complexée lorsqu’elle participe distraitement à un concours de mannequin. Perchée à 1 mètre 80, elle est la première surprise à l’annonce des résultats qui la propulsent à la première place. Sous l’impulsion dynamique de l’agence Dominique, la Belge met donc son cursus marketing entre parenthèses et entre dans  » le milieu  » pour voir.  » Je n’avais pas l’impression d’être le genre de beauté sur laquelle on se retourne dans la rue, se souvient-elle. Ou alors juste pour ma grande taille. Même au milieu de filles qui me ressemblaient, je ne comprenais pas trop ce que je faisais là. J’étais une enfant .  »

Steven Meisel, un des photographes de mode les plus cotés au monde, est séduit par sa personnalité. Pourtant peu fidèle aux physiques qu’il sublime, Meisel fait d’Elise sa muse. En lui offrant une campagne Prada, il lui ouvre des horizons infinis. Givenchy, Gucci, Versace, Burberry, Chanel, Dior, Jean Paul Gaultier, Louis Vuitton… ses passages sur les podiums se multiplient. Dix couvertures de Vogue plus loin, ses interminables gambettes sautent d’un catwalk à l’autre.

Avec une pointe d’accent flamand, cette timide bavarde rejette en bloc les clichés qui ternissent l’image des tops.  » Les préjugés sur les mannequins ne me touchent pas, confie-t-elle. Je sais que je suis capable de parler et d’être plus qu’un simple physique et si j’ai l’occasion de le montrer, je n’hésite pas. Je n’ai rien à prouver.  » A tout juste 23 ans, Elise Crombez a la tête solidement vissée sur les épaules, une tête au moins aussi bien faite que bien pleine. En exclusivité pour Weekend Le Vif/L’Express, la belle s’est donc arrêtée à Bruxelles pour prendre la pose. Sous le regard de quelques illustrés à la gloire de Nicolas II, la poupée russe s’est glissée dans les parures qui donneront le ton de cet automne-hiver 05-06 (lire page 26).

Weekend Le Vif/L’Express : Songez-vous parfois au fossé qui vous sépare aujourd’hui de vos parents ?

Elise Crombez : J’y pense surtout en termes de sécurité. Quand mes parents ont débuté leur vie commune, ils avaient cette idée-là en tête. Or, mon boulot est tout sauf sûr. Il peut s’arrêter du jour au lendemain. Au début, ils ont plutôt eu peur pour moi. Et puis, ils ont vu ça comme une opportunité. Il est vrai que cette instabilité me travaille de temps en temps, mais je ne dois pas me laisser distraire par ce genre de sentiment. De toute façon, au plus profond de moi, j’ai toujours su que le mannequinat n’était qu’une étape.

Y a-t-il une idée de sacrifice derrière ce métier ?

Disons que je vois ça comme une école dure, pour être à l’aise plus tard. Chaque profession implique des sacrifices. Pour le moment, les avantages sont plus nombreux que les inconvénients. Le jour où, mentalement et physiquement, ça devient une torture, j’arrête. Pour moi, ce boulot n’est pas vital. Donc, je refuse de m’y accrocher coûte que coûte.

Considérez-vous votre existence comme étant la réalité ?

Pas vraiment. Je m’en rends d’autant plus compte que j’habite à New York. Dans cette ville, tout se traduit en argent. Les gens vivent pour travailler. D’un autre côté, en trois ans, j’ai vu une quantité incroyable de choses. Dans la vie réelle, il aurait fallu quatre fois plus de temps. De ce point de vue, c’est une chance. Donc pour résumer : à New York, les côtés positifs sont très positifs. Et inversement. Dans la vie normale, je crois que c’est un peu moins extrême.

Dans ces conditions, le risque de perdre les pédales n’est-il pas immense ?

Je n’ai jamais laissé le business m’emporter. Je me suis toujours tenue à l’écart. A cause de cette distance, les gens ont vite vu que je n’étais pas une fille facilement influençable. Au début, on disait même :  » Elle n’est pas sociable, c’est une bitch !  » En réalité, le fait de rentrer le plus souvent possible en Belgique m’a permis de garder un équilibre.

Avez-vous l’impression de vivre au même rythme que vos proches ?

Lorsque je reviens en Belgique, ma vie professionnelle s’arrête et ma vie personnelle reprend. Je collectionne tous ces moments privilégiés. En les regroupant, je dirais que cela fait trois ans alors qu’il s’en est passé cinq en réalité.

Au contact de vos amis déjà en couple, n’êtes-vous pas tentée par une vie privée ?

Sans doute, mais ma vie professionnelle prend un8887e dessus. C’est difficile. A 23 ans, on commence à avoir envie de se poser et de partager sa vie avec quelqu’un. Parfois ça me travaille et, à d’autres moments, je pense que c’est mieux ainsi. Je préfère d’abord continuer ce boulot et grandir par moi-même. L’amour arrivera dans la vie qui suivra.

Dans ce rush perpétuel, comment tenir quand on n’a personne à qui confier ses sentiments ?

Je note mes impressions dans un journal. Les choses qui courent dans la tête, il vaut mieux les expulser. Certains chantent, d’autres peignent ou font des conneries, moi j’utilise l’écriture. Ce journal sert aussi à me discipliner. Lorsque je vois les événements sur papier, ils prennent plus de sens, ils deviennent plus clairs. Je tiens ce journal depuis l’âge de 12 ans. Il m’arrive de ne rien écrire pendant des mois et puis de rédiger d’un coup quinze pages. Un beau jour, sans doute, je le relirai d’une traite.

Ecrivez-vous d’autres choses ?

De la poésie par moments. Ça fonctionne bien dans les situations extrêmes : quand je suis très heureuse ou, au contraire très mélancolique. Pendant les défilés, on vit un mois et demi à un rythme fou. Je suis souvent seule dans mon coin à réfléchir. Des jeux de mots me viennent en tête et je les note dans un carnet. Parfois, je le lis et ça me fait du bien. Ces textes traduisent mes émotions passées. Ainsi, je peux mesurer le chemin parcouru. Je suis fascinée de voir à quel point on peut évoluer.

Après plusieurs années passées devant les objectifs, comment ne pas céder à la lassitude ?

J’adore jouer avec les personnages dans lesquels on me place. Avant le shooting, je pense déjà au rôle. En fait, sur la photo, ce n’est pas moi. Quand je travaille avec Steven Meisel, je le sens très bien. Je suis complètement quelqu’un d’autre. C’est aussi une sorte de libération, d’échappatoire. Dans la vie quotidienne, à cause de la pression sociale ou de l’éducation, on n’ose pas toujours s’exprimer.

Est-ce toujours facile de se taire devant l’objectif ?

Je ne suis pas une fille naturellement bavarde. Je traduis d’avantage avec les yeux. Dans le fond, les mots se perdent. Avec le regard, par contre, on peut exprimer une émotion de manière définitive. L’objectif est une autre paire d’yeux à qui il faut transmettre quelque chose. Pour un mannequin, la clé de la réussite est de dépasser le fait d’être simplement  » là « . D’un autre côté, je ressens une certaine frustration. J’aimerais pouvoir bouger et vraiment jouer la comédie. Quand je suis vraiment dedans, j’ai envie de m’exprimer et d’entrer en interaction avec d’autres personnages.

Le cinéma est donc un milieu qui vous attire…

Je considère le travail de mannequin comme une introduction au cinéma. Il faut amplifier ce que tu donnes sur les photos. En fait j’ai commencé le théâtre toute petite et je prends encore des cours à New York aujourd’hui. J’ai tellement besoin de donner quelque chose aux autres. Finalement, j’ai l’impression que rester assise là n’est pas très utile…

Est-ce pour cette raison que vous consacrez un peu de votre temps aux enfants en tant que bénévole dans un home près d’Ostende ?

J’ai un nom connu et je pense pouvoir m’en servir pour faire le bien et donner l’exemple. J’avoue que ça m’apporte aussi une satisfaction personnelle. Dans ce business, tout est tellement excessif qu’il faut parfois rechercher son contraire pour trouver un équilibre.

Vous sentez-vous obligée de redistribuer ce que la nature ou vos parents vous ont donné ?

Je crois que c’est important. Ça part d’une bonne intention mais parfois on ne parvient à susciter que de l’envie. Je ne suis pas sûre qu’en posant dans des magazines, on apporte toujours quelque chose de positif aux femmes. Aujourd’hui, les mannequins sont hyperjeunes, avec des tailles de guêpe. Pour celles qui ont des mensurations normales, la frustration est grande. Redistribuer des émotions est primordial.

Et vous, y a-t-il des femmes auxquelles vous êtes sensible, des modèles de féminité ?

Vanessa Paradis, Brigitte Bardot et Jane Birkin sont les trois personnes que j’admire le plus. Je les aime parce qu’elles sont uniques. Elles ont une beauté différente de ce qu’on voit à Hollywood, par exemple. Elle peuvent faire passer quelque chose d’intérieur, de mystérieux. J’ai l’impression que ces femmes ne se sont jamais menties à elles-mêmes. Elles donnent beaucoup de leur personne sans se vendre. La féminité et l’individualité qu’elles expriment sont devenues très rares. Aujourd’hui, les femmes essaient plutôt de correspondre à une image typée.

Ces trois femmes ont en commun leur relation avec Serge Gainsbourg. Est-ce quelqu’un qui vous touche ?

Je ne connais pas toute sa carrière mais j’en sais assez pour comprendre la fascination qu’elles avaient pour lui. Elles étaient sans doute naïves ou innocentes. Je crois qu’il leur a révélé quelque chose. Dans sa vie, tout le monde rencontre quelqu’un qui produit ce déclic. Un jour, une personne te donne assez de confiance pour t’exprimer vraiment. J’ignore si Serge Gainsbourg était comme ça pour elles, mais je crois qu’il existait une attirance réciproque. Il savait aussi qu’il n’était pas beau et ces femmes lui ont donc permis de mettre autre chose en avant. Elles l’ont rendu attirant par d’autres moyens.

Avez-vous déjà croisé une telle personne ?

Au début de ma carrière, oui. Et elle est toujours dans ma vie. Elle m’a permis d’exprimer des choses que je ne croyais pas permises. Si je suis là aujourd’hui, c’est grâce à elle. Je la considère comme une grande s£ur, comme une bouée de sauvetage.

Une bouée au milieu d’une mer hostile ?

Dans ce business, on part de l’artistique pour terminer dans l’argent. Moi, j’adore la photo comme mode d’expression artistique. Mais le mannequinat, c’est une industrie. On y gagne parfois de l’argent sur le dos de l’art. Attention, je ne crache pas dans la soupe ! C’est mon gagne-pain. Chaque jour, mon travail m’enchante. Il m’apporte tellement. Mais d’une certaine manière, il enlève aussi la pureté…

Et la naïveté…

Ce boulot m’a beaucoup enseigné sur les relations humaines. En amitié, par exemple, je donne beaucoup de moi-même et je me suis déjà sentie trahie. Quand un Européen s’ouvre, c’est vraiment parce qu’il apprécie la personne. Les Américains, par contre, s’ouvrent de façon superficielle, pour recevoir quelque chose. On comprend vite que tout est une question d’entraînement. Aujourd’hui, je suis capable d’être sociable et ouverte, mais je ne donne plus tout d’un coup.

Sylvestre Defontaine

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