L’actrice révélée par L’Apollonide : souvenirs de la maison close illumine cette fin d’année avec trois films, dont le très attendu Geronimo de Tony Gatlif. La spontanéité à l’état pur.

C’est une nature volubile, joyeuse et animée par le plaisir de jouer. Et dans Geronimo, de Tony Gatlif, en salles le 24 décembre prochain, elle court, rit, tacle, donne des coups de boule… Céline Sallette est de tous les plans, déterminée, cash et toujours juste. L’actrice française incarne une éducatrice des cités du Sud témoin d’un Roméo et Juliette contemporain qui déchire les communautés turque et gitane. Ce rôle costaud dans lequel elle excelle en brindille virile la propulse en haut de l’affiche. Deux autres films braquent également la lumière sur elle en cette fin 2014 : Vie sauvage de Cédric Kahn, inspiré par l’affaire Fortin et sorti la semaine dernière, et La French de Cédric Jimenez, annoncé pour le 3 décembre prochain et qui raconte la lutte du juge Michel contre le grand banditisme marseillais, dans les années 70. C’est la consécration pour la jeune fille d’Arcachon gagnée très tôt par le goût du théâtre. La comédienne de 34 ans, qui a longtemps été une promesse du cinéma français, a gravi à son rythme les échelons, jouant ici la demoiselle de compagnie discrète de Marie-Antoinette (Sofia Coppola), là une prostituée mélancolique dans L’Apollonide : souvenirs de la maison close (Bertrand Bonello), qui lui a valu une nomination pour le César du Meilleur espoir. Ou encore l’amie de l’ombre de Marion Cotillard, dans de De rouille et d’os (Jacques Audiard). Lauréate du prix Romy-Schneider l’an passé, Céline entre enfin dans la cour des grandes.

Parlez-nous de Geronimo…

Les films de Tony Gatlif sont souvent des autobiographies déguisées. Geronimo part de sa vie, d’un éducateur de rue qui a beaucoup compté pour lui, de la violence dans laquelle il a grandi, de son histoire familiale : son frère a vécu un mariage arrangé et lui-même a fugué des bidonvilles d’Alger à l’âge de 13 ans, pour ne pas subir le même sort. Au départ, le personnage de Geronimo était un garçon, Tony l’a transformé en fille pour le rendre plus moderne et il m’a donné des pistes, notamment le parcours d’une chanteuse andalouse, La Caita, qu’il avait rencontrée durant le tournage de Latcho Drom (1993), une femme libre, respectée de tous. Il m’a dit :  » Prends cette source d’inspiration et fais-la tienne.  »

Geronimo est donc une femme libre qui défend la liberté. Elle cache une adolescente d’origine turque fuyant une union arrangée ?

Oui, et Tony était persuadé que protéger cette jeune fille ne réglait pas tout. Geronimo devait s’adresser aux frères qui la pourchassaient pour laver ce crime d’honneur et les désarmer avec ses mots. Il a évoqué ce fait divers, à Londres, où une femme avait convaincu le meurtrier d’un soldat prêt à faire un massacre de s’arrêter. Geronimo combat, elle aussi, la violence par la parole. C’est une héroïne tournée vers les autres. Je me suis reconnue dans son côté sacrificiel. J’ai comme elle du mal à vivre pour moi.

On vous retrouve ce mois-ci dans Vie sauvage, qui raconte une histoire vraie, la cavale de Xavier Fortin et de ses deux fils, enlevés à leur mère qui en avait la garde.

J’incarne cette maman qui a été séparée pendant onze années de ses enfants. C’était un défi de faire passer l’impossible. Pour ce film, je suis allée au bout de mes limites. J’ai entretenu volontairement une tristesse noire, je m’enfermais dans ma chambre d’hôtel et baignais dans des idées sombres. C’est la première fois que j’ai eu l’impression d’être très en dessous du réel. J’espère que ce Vie sauvage fera oeuvre de réconciliation. Le cinéma sert à poser des questions et à les éclaircir.

Le rôle de la femme dans un scénario est-il déterminant pour vous ?

Je n’opère pas vraiment un choix féministe. Cela m’intéresse autant d’être un personnage en appui, comme dans La French, où j’interprète l’épouse du juge Michel. Elle ne fait pas la révolution, c’est vrai, mais elle tient un foyer qui est le réceptacle des émotions, de l’espoir ou du désespoir, du quotidien. Ce genre d’héroïne raconte l’invention d’une vie, la difficulté d’être un couple, d’être un père, une mère. Comment l’on traverse des feux, des doutes, combien l’on se sent souvent dépassé. Etre acteur, c’est aussi faire la peinture des failles, des faiblesses, des fragilités. Pour moi, il n’y a que cela de passionnant.

On vous a vue également incarner la malade alcoolique de Mon âme par toi guérie, ou la religieuse à l’âme blessée d’Ici-bas. Ce ne sont pas des rôles banals…

Mais j’aime bien cela ! Je n’ai pas peur de m’en approcher, cela m’excite même un peu de jouer des caractères troubles, perdus, défaits, d’aller là où personne ne veut aller. Jusqu’à ce que je décide d’être l’inverse, blonde, sublime, de porter de jolies robes, d’avoir l’impression d’évoluer dans une pub de moi-même. J’ai interprété récemment la prof de théâtre du village de Casteljaloux, pour Les rois du monde, réalisé par Laurent Laffargue. Je me suis sentie jolie, capable de tout, je chante, je danse en sous-vêtements dans une cuisine sur du Arctic Monkeys. C’était fou ! Laurent a un amour immense des comédiens. Là, en plus, c’est mon compagnon, le père de ma fille, Alice.

Du coup, le rapport de séduction avec le metteur en scène était réglé ?

De toute façon, ce qui se noue sur un plateau est toujours plus profond qu’un rapport de séduction. On n’est pas là pour se plaire. Le lien entre l’acteur et le réalisateur relève de la communion de pensée. C’est une connexion télépathique. Le comédien devient le fantôme du metteur en scène, son double, son fantasme. Le lien reste, complexe car accompagné d’un engagement contractuel.

Il y a presque dix ans, en 2005, vous tourniez votre premier film, Meurtrières. Quelles sont selon vous les grandes étapes de votre parcours ?

La prostituée de L’Apollonide, Belle Cuisse. Le tournage a été intense, il nous a soudées entre actrices, on est d’ailleurs restées liées. Ce long-métrage m’a apporté une petite notoriété, puisque, avant, personne ne me connaissait. Le succès de la série fantastique Les Revenants, où je suis Julie, a eu un impact immédiat. Et puis il y a eu Molly Bloom, au théâtre.

En quoi cette pièce a-t-elle représenté un palier ?

C’était déjà une expérience physique, un grand parcours initiatique. Cela me rappelait un voyage scolaire en Chine. J’avais escaladé les 4 000 marches de la montagne Jaune toute une journée avec l’impression que je n’atteindrais jamais le sommet. Pour Molly Bloom, je n’arrivais pas à apprendre le monologue, qui contient seulement huit phrases, c’était laborieux, nébuleux. J’allais jouer seule sur scène, les répétitions approchaient, c’est devenu une question de vie ou de mort. J’y suis arrivée.

Le thème de Molly Bloom. La chair qui dit oui, écrit en 1922, est toujours d’actualité ?

C’est un cri, un cri d’homme parce que l’auteur est James Joyce, mais qui est également celui de toutes les femmes – il avait une relation très forte avec son épouse. Molly vient d’avoir 30 ans. Bloom signifie éclore. La pièce parle de la place assignée à la femme dans le foyer, et dans la société de l’époque. C’est un déshabillage des apparences. Molly Bloom transgresse les tabous, c’est une célébration du désir féminin, de sa vitalité, de ses colères, qui résonne effectivement encore aujourd’hui.

Vous avez commencé le théâtre à l’âge de 14 ans. Qu’est-ce qui vous pousse à continuer ce métier ?

Rien ne me fait sentir plus vivante. Jouer, c’est se trouver en état de conscience modifiée. C’est entrer dans une transe éphémère. Quelque chose m’échappe et j’adore ça. Je me surprends moi-même, je prends mon élan et je saute. La pellicule capte un moment de grâce, c’est comme attraper un lièvre, c’est une joyeuse bataille. Jouer, c’est génial, c’est un gros shoot d’adrénaline.

PAR GILLES MÉDIONI

 » Cela m’excite d’interpréter des caractères troubles, perdus, défaits. « 

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