Barbara Witkowska Journaliste

Une première ! Breguet, la plus grande marque de haute horlogerie, ouvre son propre musée. Une manière éclatante de célébrer son 225e anniversaire.

C’est, sans aucun doute, le plus petit musée au monde. Et pourtant, quelle richesse, quel témoignage exceptionnel du savoir-faire horloger ! Nous sommes dans les sous-sols de la prestigieuse boutique Breguet, inaugurée, en même temps que le musée, le 14 septembre dernier, et située au coeur de la place Vendôme, à Paris. Les bois blonds se marient harmonieusement avec le vert très doux des murs. D’élégants abat-jour en tissu diffusent une lumière intimiste, pleine de chaleur. L’ambiance est très feutrée. On a l’impression de retourner deux siècles en arrière, se glisser dans un élégant salon du XVIIIe siècle, partager l’univers familier d’Abraham-Louis Breguet.

On doit à Breguet deux inventions majeures : le tourbillon, dispositif qui annule les erreurs de fonctionnement dues aux changements de position des montres, ainsi que l’échappement à force constante. Auparavant, ce ressort qui transmet la force pour faire osciller le balancier se détendait au fil du temps, perdait de sa vigueur. Or Breguet a réussi à mettre au point un ressort qui transmet toujours la même impulsion. Horloger de génie, Breguet est également un roi du design. Son style, épuré et juste, les proportions parfaites de ses modèles ont traversé deux siècles sans la moindre ride et sont plus actuels que jamais.

Les vitrines abritent environ 45 pièces, des trésors d’une richesse et d’une qualité inestimables. Au fil du temps, la collection sera enrichie par de nouvelles acquisitions. Telle est la volonté de Nicolas G. Hayek, P-DG du Group Swatch, propriétaire, depuis peu, de la maison Breguet. Réunir un maximum de modèles anciens, dispersés dans le monde entier, n’est pas une tâche aisée. Elle a été confiée à Jean-Claude Sabrier, grand spécialiste de Breguet. Cet homme érudit, passionné et passionnant, ne cesse donc de sillonner le monde entier, pour reconstituer ce patrimoine exceptionnel, en compulsant les catalogues de ventes aux enchères, en essayant de convaincre des collectionneurs.  » Regardez, dans la vitrine centrale, cette toute première montre signée Breguet, datée de 1782, sourit Jean-Claude Sabrier. Elle se trouvait aux Etats-Unis, chez le diacre anglican Hawkins, passionné par Breguet. On me l’a signalée… Cette pièce inestimable est, aujourd’hui, l’un des points forts de notre musée. « 

Horloger hors pair, designer d’exception, Breguet est aussi un homme de marketing de grand talent. Adulé à Paris, il vise rapidement une expansion internationale, ouvre une maison en Russie, est nommé horloger du tsar. Il s’entoure de personnes en vue, Charles-Maurice de Talleyrand, par exemple. Le ministre des Relations extérieures du Directoire sera d’ailleurs l’un des plus ardents ambassadeurs de l’oeuvre de Breguet,  » plaçant  » ses montres à tous ses amis et relations, les transportant, parfois, dans sa valise diplomatique.

A l’horloger, Talleyrand présente également Esseid Ali Effendi, l’ambassadeur de Turquie en France.  » Effendi explique à Breguet comment vendre les montres à l’Empire ottoman, souligne Jean-Claude Sabrier. Breguet se voit obligé de faire quelques concessions à son style sobre et épuré. Derrière la Sublime Porte, on aime la richesse et l’opulence, les couleurs chatoyantes et les décors à l’émail. Les montres doivent être insérées, en plus, dans un double, voire un triple boîtier, pour être protégées du sable. Ici, vous voyez une de ces montres, qui ont été baptisées Cabriolets. Elles pouvaient être portées de deux façons, en laissant apparaître soit le cadran, soit le fond. « 

Dans une des vitrines, on admire les Souscription. Après la Révolution française, Breguet a trouvé son atelier désordonné. Les montres sont devenues chères et les clients rares. Breguet a alors l’idée de créer la montre peu onéreuse, la plus simple possible et susceptible d’être réparé par tout horloger de talent. Il la met au point en Suisse, en 1795. Cette montre, équipée d’une seule aiguille, aux proportions parfaites et d’une élégance rare, sera vendue par souscription. On remarque également le design exceptionnel de la montre réalisée pour un certain Dollfus, viticulteur à Tlemcen, premier Français d’Algérie à posséder un hydravion.  » Une fois de plus, note Jean-Claude Sabrier, beaucoup d’élégance, une simplicité exemplaire et, surtout, une grande lisibilité en vol. « 

Il existe une montre, quelque part dans le monde, que l’on ne verra jamais au musée. La montre dite Marie-Antoinette est représentée en dessin. « Il s’agit de la montre la plus compliquée que Breguet ait réalisée, explique Jean-Claude Sabrier. La plus précieuse, aussi. Toutes les pièces où l’acier n’était pas indispensable, devaient être en or. Elle aurait été commandée pour Marie-Antoinette, mais a été terminée très tardivement, en 1840, donc bien longtemps après la mort de la reine. Une fois terminée, elle a été vendue en Angleterre, puis léguée à une fondation à Jérusalem. Volée, on n’a plus jamais retrouvé sa trace … »

Dans un coffre-fort, préservées dans des conditions idéales, les précieuses archives de la maison, soigneusement calligraphiées à la main, racontent deux siècles d’art horloger.  » Les tout premiers livres sont malheureusement introuvables, précise Jean-Claude Sabrier. Nos archives démarrent en 1791. Or la maison a été créée en 1775. Dès le début, Abraham-Louis Breguet s’est associé avec un certain Xavier Gide. L’association a capoté et les deux hommes se sont séparés en 1791. C’est à partir de ce moment-là que les livres ont été correctement tenus. Nous les possédons tous. « 

Carnet d’adresses en page 91.

Barbara Witkowska

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