Peut-on parler de design si l’on n’a pas d’objet tangible en face de soi ? Mobiles, mutantes, immatérielles parfois, les créations présentées lors de la cinquième édition de Design Miami flirtent avec la performance. Le goût de l’éphémère s’installe pour durer.

Assis dans un placard vitré où il peut à peine bouger, l’homme hagard, mal rasé, darde son regard écarquillé vers un ailleurs imaginaire. Presque mécaniquement, toutes les 60 secondes exactement, cet acteur néerlandais engagé pour l’occasion se tourne vers l’écran d’une horloge translucide dont il déplace posément, précisément, les aiguilles. Histoire de faire passer le temps.  » Franchement, ce truc, ça me donne la chair de poule « , s’exclame une spectatrice tétanisée qui n’arrive pas à se détourner de la scène. Baptisée Real Time – autrement dit temps réel -, cette pendule humaine est  » signée  » Maarten Baas.  » Chaque journée ne compte que 24 heures aux cours desquelles les choses peuvent se passer, explique le jeune créateur néerlandais sacré Designer de l’année 2009 lors de la prestigieuse foire Design Miami qui s’est terminée le 5 décembre. Le design n’a pas d’autres limites. « 

Si l’hypothétique frontière séparant le design et l’art contemporain ne cesse d’être allègrement franchie par de plus en plus de créateurs, Maarten Baas est l’un des tous premiers à oser le registre de la performance… immatérielle,  » le  » maître mot de la cinquième édition de ce rendez-vous pointu né dans l’ombre du prestigieux salon Art Basel Miami Beach, rassemblant galeries et collectionneurs du monde entier.  » Cette année, nous tenions particulièrement à encourager les collaborations entre des univers créatifs différents, justifie Ambra Medda, directrice de Design Miami. Seul le partage des savoirs permet de faire évoluer les choses.  » La jeune femme n’aime pas les étiquettes qui enferment. Et ose pousser très loin ses théories sur les bienfaits du crossover. Ainsi, chaque soir, à 18 h 30, le groupe de rock Ok Go se produisait sur des guitares Gibson décorées par le tech-designer Moritz Waldemeyer ( lire encadré page 49). Un projet décoiffant soutenu par Fendi qui, à l’instar d’une dizaine d’autres griffes de mode, tenait temporairement boutique dans un pop up store ouvert dans le Design District ( lire encadré ci-dessous).

Ce qui n’était il n’y a quelques années encore qu’un quartier défraîchi un brin craignos accueille aujourd’hui les plus grands éditeurs de design – Ligne Roset, Vitra, Poltrona Frauà – rejoints cet hiver par Cerruti Baleri mais aussi Cappellini qui y est même allé d’une série limitée d’objets hommage à Miami. Car le but de Design Miami, sous ses dehors de mégaforum de la créativité, reste bel et bien de mettre en présence les amateurs de pièces rares et les galeries qui bien souvent les financent et les commanditent.

Murray Moss fait partie de ces audacieux qui ont lancé la carrière de pas mal de jeunes designers.  » Sans Murray, je ne serais jamais là où je suis aujourd’hui « , admet sans hésiter Maarten Baas. Sur le stand du New-Yorkais trônent trois nouvelles créations du Néerlandais complétant la série Smoke – des meubles brûlés au chalumeau – qui l’a rendu célèbre. Certaines se sont vendues le soir même de l’ouverture et ce en dépit de prix variant entre 45 000 et 65 000 dollars (30 500 et 44 000 euros).  » Les affaires sont bonnes même si l’on est loin des prix fous atteints en 2007, avant la crise financière, concède Dane Jensen, directeur de l’antenne californienne de la galerie Moss. Le public est en demande d’autres choses. Des pièces plus authentiques, plus brutes qui semblent sorties tout droit d’un atelier. Mais attention, leur apparente simplicité peut s’avérer trompeuse. « 

Chez Moss, chez Droog, chez Mitterrand + Cramer aussi, les objets ne tiennent plus en place, qu’ils prennent la forme des animaux en bronze animés de Cathy McClure – le squelette d’ours ou de canard autrefois en pelucheà – ou de ventilateurs en jupons élégamment baptisés Danseuses par l’Atelier Oï. Chez Priveekollektie, le buffet Tassenkast de Lotty Lindeman, composé de petites malles portatives semble prêt à prendre la route à la moindre envie de déménagement. Chez Patrick Seguin, même les maisons magnifiquement restaurées de Jean Prouvé sont démontables. En ces temps incertains où plus rien n’est pérenne, même le design a la bougeotte et des envies irrépressibles de volatilitéà

Par Isabelle Willot

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