Finies les séances d’entraînement supplices ! Le sport se pratique désormais en mode allégé. On s’active en douceur pour sculpter son corps mais aussi pour s’évader, se faire voir ou se dégourdir l’esprit. Le sport, c’est la santé… mentale.

Une anecdote pour commencer. Lorsqu’on lui demanda, le jour de ses 80 ans, le secret de sa longévité, Winston Churchill eut cette réplique devenue célèbre :  » Surtout pas de sport !  » Sans doute faisait-il allusion à tous ces forçats du biceps et du mollet prêts à suer sang et eau pour grappiller une seconde, un centimètre, une foulée… Il n’est pas sûr que l’ancien Premier ministre britannique, grand amateur de cigares et de bons mots, répondrait la même chose aujourd’hui. Car non seulement le culte du corps a gagné les hautes sphères – témoins ces images de Nicolas Sarkozy s’adonnant à son jogging matinal le jour même de son élection à l’Elysée -, mais surtout, le sport a depuis tempéré ses ardeurs. Il ne rime plus automatiquement avec masochisme.

Jusqu’il y a peu encore, la pratique physique débouchait presque toujours sur le cocktail souffrance, dépassement de soi, performance. Pas seulement pour les professionnels d’ailleurs, habitués par la force des choses à titiller les limites de leur corps. Les amateurs de tous bords étaient logés à la même enseigne. Par mimétisme avec leurs idoles autant que par esprit de compétition. Il suffit de voir l’engagement des joueurs de football dans les matchs de divisions inférieures pour s’en convaincre. Chaque week-end, c’est comme s’ils jouaient une place pour la finale de la Coupe du monde…

Mais le vent tourne. A côté du sport défouloir, des activités moins guerrières pointent le bout de leur survêt ces dernières années. Elles sont portées principalement par la vague du bien-être qui a déferlé sur nos contrées comme un antidote au stress et à l’agitation de la vie moderne. Dans leur sillage, l’exploit a perdu un peu de son attrait, au bénéfice de l’équilibre, de l’harmonie, de la plénitude. On le voit, on nage en pleine zen attitude…

No stress !

Il ne faut pas y voir pour autant le signe d’une désaffection du corps. Au contraire, le culte de la forme n’a jamais été aussi vivace, comme en témoignent à la fois la multiplication des publications décortiquant le corps sous toutes ses coutures (dernier en date, l’érudit et volumineux  » Dictionnaire du corps  » dirigé par Machela Marzano aux PUF) ou, dans un registre plus léger, les nombreuses incursions cet été des créateurs de mode sur le terrain du sport (shorts, sweats à capuche, maillots musclent les collections de Jean Paul Gaultier, Dirk Bikkembergs, Issey Miyake, Dolce & Gabbana, Prada ou encore DSquared2). Simplement, ces préoccupations esthétiques se doublent désormais d’une recherche de plaisir et de sens. Bouger, s’entretenir, se sculpter une silhouette d’Apollon ou de nymphe, d’accord, mais de préférence sans forcer, sans douleur, voire, si c’est possible, sans effort. D’où le succès de ces appareils de fitness comme le Power-Plate qui font le travail à la place du sportif paresseux. En l’occurrence, la plate-forme de l’engin propage des vibrations qui entraînent automatiquement des contractions musculaires. Les stars comme Madonna ou Monica Bellucci ne pourraient plus s’en passer…

Deux campagnes de publicité illustrent parfaitement ce changement de mentalité. Tout le monde se souvient de ce fameux slogan de Nike,  » Just do it « , mis sur orbite à la fin des années 1980. Une invitation à se surpasser, à réussir l’impossible. Typique de l’époque et de cette philosophie qui voit le corps comme une machine qu’il faut sans cesse pousser dans ses derniers retranchements. Vingt ans plus tard, les acteurs du sportswear, Nike le premier, ont pris le contre-pied de cette exhortation à courir toujours plus vite. Nike distille depuis des messages nettement plus tempérés valorisant avant tout la créativité de ses fans. Quant à Reebok, sa toute nouvelle campagne invite le sportif lambda à se convertir au  » Run easy « , autrement dit à la  » course relax « . Le sous-titre,  » I am what I am « , ne laisse planer aucun doute sur les intentions de la griffe. Elle fait clairement la promotion du sport détente. Que l’on pratique à son rythme, sans se presser, sans chercher à forcer l’allure. Fameux renversement de situation quand on y pense… Les visuels enfoncent le clou. On y voit une brochette de vedettes du monde sportif, de Thierry Henry à Carolina Kluft, trottiner à petites foulées dans des décors urbains. Les unes discutent, les autres affichent de larges sourires. L’illustration parfaite de la promenade de santé décontractée et conviviale, loin des masques de douleurs d’athlètes en perdition offerts en contrepoint.

L’heure de la récré

Cette combinaison de dépense et de plaisir redéfinit largement les contours de la pratique sportive aujourd’hui. Que ce soit dans les salles de fitness où les techniques plus douces comme le tai-chi, le pilates, le yoga, bref tout ce qui joue sur le ressenti, sur la relaxation et sur la souplesse, font de plus en plus recette. Ou que ce soit au Club Med qui a introduit dans son offre une formule  » fitness week  » axée sur les sports branchés. Au menu : cycling (vélo statique) dans une ambiance de discothèque – une manière de rajeunir et de redynamiser une activité assez classique -, stretching avec vue sur mer, aqua punching (version aquatique et adoucie des sports de combat) dans la piscine, etc. Du défoulement 100 % fun, 100 % bénéfique (on travaille l’endurance et la résistance) et 100 % collectif. Eh oui, l’effort est moins lourd à porter quand il s’inscrit dans une dynamique de socialisation et d’échange. Une culture de groupe qui tranche avec la solitude écrasante du coureur de fond.

Tout est donc fait pour rendre l’exercice physique plus attractif. Que ce soit en lui conférant une dimension quasi spirituelle ou en le faisant carrément glisser dans la sphère du glamour. Les marques de sport se positionnent ainsi de plus en plus sur ce terrain avec des collections hyperfashion. On songe notamment aux lignes vintage d’Adidas (Originals) ou de Nike (Sport culture). Tout aussi significatif de l’écume du temps, ces labels développent également des lignes spécifiquement adaptées aux nouveaux sports. La ligne Mahanuala de Puma par exemple a été spécialement conçue pour la pratique des sports contemplatifs comme le yoga et ses dérivés. Particularités : des matières éthiques (bambou), des lignes souples et des coloris chauds.

Même les nouvelles technologies sont mises à contribution pour rendre le sport plus récréatif. Elles ne servent plus uniquement à améliorer les performances, elles sont également convoquées pour doper le confort, le bien-être et le plaisir. Pas seulement par le truchement de nouvelles matières toujours plus aérées et plus efficaces, mais aussi tout simplement en permettant de conjuguer entraînement et divertissement. A l’instar de ce GSM conçu pour les escapades mouvementés (Nokia 5500), de ces accessoires qui transforment le lecteur MP3 en compagnon de route (brassards, étuis, etc.), ou encore de ces vêtements  » multimédias « . On songe à la fois à ces chaussures Nike qui transmettent à l’iPod toutes les informations utiles pour ajuster son effort. Ou à ces équipements de ski Burton Snowboards (casques et vestes) intégrant haut-parleurs et commandes pour téléphoner ou écouter de la musique.

 » Tou tou you tou  »

Autre signe que le sport s’adapte aux nouveaux comportements, il colonise également les jeux vidéo. Dans la lignée des Véronique et Davina, les pionnières de l’aérobic télévisuel, des logiciels proposent des séances de fitness personnalisées. On pourra se gaver d’abdos et de fessiers en suivant par exemple les conseils de Kaku-Chan, karatéka renommé, sur la console portable DS de Nintendo. Si cette méthode est jugée trop passive, on pourra toujours se rabattre sur les consoles et logiciels qui poussent plus loin l’interactivité. Comme le jeu de fitness EyeToy Kinetic Combat pour la PlayStation 2. Une caméra enregistre les mouvements du joueur, les transmet au coach virtuel qui corrige les erreurs. Ou comme la console Wii de Nintendo. Grâce à une manette révolutionnaire, le joueur doit esquisser les mouvements pour activer son avatar : alterner coups droits et revers au tennis, mimer un swing au golf et ainsi de suite. Le  » gamer  » est dans le jeu, avec sa tête et son corps. Une manière (vidéo)ludique de se défouler.

Le sport nouvelle mouture a donc ceci de particulier qu’il transcende l’activité physique proprement dite. Suivant les circonstances, il fait aussi office d’emplâtre narcissique, de tremplin spirituel ou d’étendard social. On le voit très bien avec les appareils de fitness haut de gamme. Le design futuriste du Kinesis Personal, nouveau bijou de la gamme Technogym, tient plus du meuble luxueux que de l’accessoire de gymnastique. On ne le cache d’ailleurs plus sous le lit comme les anciens rameurs, on l’exhibe fièrement dans son salon comme on le ferait d’un canapé B&B.

Bref, on fait de son corps un  » partenaire  » comme le qualifie Georges Vigarello dans le troisième tome de l’  » Histoire du corps  » (Seuil). Un partenaire  » qu’il s’agirait d’apaiser, écrit le sociologue français, présence à rasséréner pour mieux la rendre cohérente avec le sujet, substitut enfin atteignable de zones du moi à coup sûr plus fuyantes sinon plus dissimulées. Au point même de faire de ce corps une instance quasi psychologique : le représentant de versants obscurs, de mondes immaîtrisés, ceux qu’il faut décrisper pour  » mieux vivre  » et exister « . Le sport comme lubrifiant social, comme accessoire de mode et comme antidépresseur. Winston Churchill en aurait avalé son cigare…

Laurent Raphaël

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