Au nord du pays, Pieter Aspe est un phénomène : un Flamand sur cinq a déjà lu un de ses polars. Désormais traduits en français. Les Masques de la nuit, troisième enquête du commissaire Van In, sort en mars prochain.

« Montez, c’est au sixième.  » La voix sent le tabac, la fatigue. On imagine un appartement bordélique, jonché de feuilles de papier noircies, de bouteilles inspirantes, de cendriers débordant d’idées consumées. Cliché. Erreur : le salon est nickel. Ecran plat accroché au centre du mur, bien comme il faut. Mobilier de style scandinave, en bois, simple. Et à travers de grandes baies vitrées, une vue imprenable sur le sage port de Blankenberge. Un vrai nid de retraité.

C’est ici que Pieter Aspe, grand type nonchalant de 55 ans buriné par l’air de la mer s’est installé il y a presque dix ans. Pour fuir Bruges, sa ville natale,  » envahie de touristes « . Et pour coucher au calme les enquêtes du commissaire Van In. Sorte d’alter ego brugeois de Maigret, porté sur la Duvel et la bonne chère ; justicier patibulaire et bougon cachant mal sa mélancolie. Un être attachant que l’auteur ne délaisse que le dimanche, jour de repos.  » Du lundi au samedi, je me lève à 9 heures. J’écris quatre pages. Puis j’ai le droit de m’arrêter « , indique-t-il paisiblement entre deux bouffées de Kent filtres. Une discipline. Un résultat : 23 romans, tous des succès. Près d’un million et demi d’exemplaires ont été vendus en Flandre. Ses aventures ont inspiré une série télévisée très populaire diffusée sur VTM. Elles sont traduites en portugais au Brésil, en allemand, bientôt en italien et depuis un an en français chez Albin Michel. Son secret ?  » C’est facile à lire. C’est parfois drôle.  » Pas très bavard. Ou juste modeste, en fait.

Pieter Aspe est l’antidikkenek par excellence. Le contraire serait un comble. Sa plume peut se faire flingue contre la tempe des puissants. A coups de sarcasmes et de cynismes désabusés. Sur fond d’inceste et de secrets bien gardés, il n’hésite pas, dans son tout premier roman, Le Carré de la vengeance, à ridiculiser la morgue et l’arrogance d’une certaine bourgeoisie flamande. Un milieu qu’il connaît bien. Avant d’être écrivain à succès, Aspe a longtemps été concierge à la chapelle du Saint-Sang, gérée par des membres de la haute société brugeoise.  » Je n’ai fait que décrire des comportements que j’ai observés, assure-t-il, un brin narquois. Et personne ne m’a contredit.  »

Comme beaucoup d’auteurs de polars, Pieter Aspe partage avec le protagoniste de ses histoires, un sens aigu de l’observation. Sa première source est son regard,  » je ne lis pas beaucoup de polars « . Et son expérience. Multiple.  » J’ai dû faire à peu près douze métiers « , sourit-il. Il a été éducateur dans une école, agent de la police maritime, négociant en vin, puis en meubles, vendeur de tuyauxà De quoi nourrir sa perception du genre humain.

Les romans sont arrivés après.  » J’ai tenté de pondre un bouquin à 20 ans, puis à 30 ans. Mais ce fut un échec. En fait, je suis venu à la littérature sur le tard. Vers 40 ans. J’étais alors concierge. Je vivais confortablement. Un peu trop peut-être. Je me suis demandé si je voulais vraiment continuer à vivre pépère, à l’abri, jusqu’à ma retraite. Je me suis mis à sérieusement rêver d’écrire au moins un livre. J’ai recommencé trois fois le premier. Ça m’a pris 16 mois.  » Depuis lors, Pieter Aspe publie deux romans par an.  » Je dois garder le rythme. Quand un nouveau livre sort, on me demande déjà quand paraît le suivant.  » Pour les francophones, ce sera en mars prochain avec Les Masques de la nuit (Albin Michel). Le pitch : Un professeur retraité. Quatre anciens élèves. Et une vieille affaire de viol qui remonte à la surface de l’eau dormante des canaux brugeois. C’est sans doute ça le secret de Pieter Aspe : avoir choisi la paisible Venise du Nord comme scène du crime. Le sang fait tache, dans les décors proprets.

Baudouin Galler

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