» There are no circles « , lâche l’artiste Lionel Estève. Rien n’est moins sûr à regarder tournoyer sa sculpture monumentale à la Verrière, à Bruxelles. Tourbillon de grâce.

Cela fait presque une semaine que Lionel Estève squatte la verrière Hermès à construire in situ sa sculpture, monumentale et fragile à la fois, titrée There are no circles. Il n’est pas seul, il n’est  » pas très monastique « , – même si la création est un acte solitaire -, ses assistants l’assistent donc. Assise à même le sol, Alix enfile et noue des perles sur deux mètres cinquante de fil de pêche blanc, Baptiste vérifie le bon fonctionnement du moteur destiné à donner un mouvement (de l’âme) à cette structure arachnéenne (dix mètres de hauteur et presque huit de diamètre) et Martin balaie à la raclette les perles de plastique, les sequins colorés qui jonchent l’espace de béton brut. Et tout s’emboîte parfaitement, le lieu, la sculpture, l’artiste. Il règne une atmosphère sereine et paisible, non dénuée de plaisir, c’est que Lionel Estève ne comprend pas pourquoi il faudrait créer dans la douleur, il est même  » contre « , et ce pur plaisir flotte dans l’air, rebondit sur un reflet de perle, se prend les pattes dans l’£uvre en mouvement qui en devient vertigineuse. Il ne faut pas chercher à alpaguer son image dans ses £uvres ni à tailler son portrait en creux via elles, Lionel Estève n’a rien d’égotiste tic, ni de monolithique, quelqu’un a même dit de son travail qu’il était antihéroïque, ça lui va. Voilà pourquoi ses titres sont comme des  » petits sourires « , une mise à distance, un jeu pour déjouer… quoique  » untitled  » aurait tout aussi bien convenu à Prototype pour un chaos, Migraine ou I can talk to my cat.

Avant, quand il était petit, il y a quatre décennies environ, Lionel Estève répondait  » footballeur  » quand on lui demandait ce qu’il voulait faire quand il serait grand.  » Mais en même temps, je me souviens toute ma vie avoir dessiné un feutre en main, gratté du bois avec un couteau, tressé des herbes…  » Il lui faudra attendre pourtant avant d’exposer pour la première fois, en 1998, des  » papiers gravés avec une pointe sèche, des dessins un peu invisibles à voir et des petites peintures sur diapositives projetées « . Dans l’entre deux, il y aura eu une mauvaise passe adolescente, façon racaille, une année dans une école d’art à Lyon –  » cela a changé ma vie, je me suis tout de suite senti un autre « , des déambulations ici et là, un début aux beaux-arts, une tentative à Düsseldorf, un stop plus long à Madrid et une fuite avec débarquement à Bruxelles en 1988 où il se met à bosser dans le milieu de l’art et finit même par s’inscrire à l’université en philo romane. Tout en persistant à s’inventer  » des excuses  » pour ne pas s’enfermer dans son atelier. Jusqu’à ce que le peintre Michel Frère,  » un ami, un frère « , lui souffle :  » Tu devrais t’y mettre « .  » D’une manière affective, il m’a dit que c’était beau et qu’il aimait ce que je faisais. Pour moi, cela suffisait à travailler… « 

Quand Lionel Estève a l’impression de  » stagner « ,  » qu’il n’y a pas de mouvement « , cela le rend  » un peu claustrophobe  » – non pas détruire les choses, mais  » les faire avancer « . Est-ce pour cela qu’il turbine à la dure dans son atelier de Molenbeek, belle lumière, froid de canard,  » une chaise et demie « , aucune £uvre – elles sont de par le monde ou chez ses trois galeristes, Baronian-Francey, à Bruxelles, Emmanuel Perrotin, à Paris, et Bernier/ Eliades, à Athènes. Sa méthode tient donc de l’immédiateté, de l’élan, de l’ardeur –  » Je crois qu’il y a une partie des choses que je fais qui m’échappe, ou qui reste un peu mystérieuse ou que je n’ai pas envie d’approfondir ou qui sont de l’ordre du ludique, du pulsionnel, de l’écriture automatique, qu’il faut accepter, en tout cas, que moi j’accepte… « . Ne jamais perdre en chemin son désir primal.

Lionel Estève, There are no circles, une exposition produite par la Fondation d’Entreprise Hermès, jusqu’au 2 juillet prochain.

Carnet d’adresses en page 100.

Anne-Françoise Moyson

Je crois qu’il y a une partie des choses que je fais qui m’échappe…

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