Allées de cyprès, coteaux plantés de vignes, ruelles pavées aux tons roses et blonds… De Cordes-sur-Ciel à Monestiés, le nord du Tarn a des allures florentines.

Guide pratique en page 78.

T out y est. Les maisons blondes, fauves, coiffées de toitures à quatre pans. Les pins maritimes et les longues allées de cyprès parfumés. Les doux coteaux de vignes, parfois piqués de l’or des bottes de paille ou des tournesols. Les taches de rousseur de l’été indien. Sommes-nous en Toscane ? Perdus sur  » una strada  » entre Pise et Pietrasanta ? Non. Nous musardons dans le nord du Tarn. Sur quelques dizaines de kilomètres, entre les départements de Tarn-et-Garonne et de l’Aveyron, enchâssé entre les villes d’Albi, au nord, et de Gaillac, au sud, se déploie un kaléidoscope de douceurs que l’on croirait florentines. La blancheur âpre, dénudée, des confins du Quercy succède aux méandres verdoyants des rivières. Parfois, les ombres graves de la forêt de Grésigne voisinent avec les rondes collines du Rouergue. Pour découvrir cette région à la fois déroutante et méconnue, il faut suivre la route de ses bastides et de ses forteresses, cités de pierres posées comme des bornes depuis des siècles, entre les collines du Gaillacois jusqu’aux environs de Carmaux.

Forteresse suspendue en équilibre au-dessus du fil du temps, vigie de pierre aux confins d’un territoire si harmonieux qu’on le croirait imaginaire, Cordes s’offre, souveraine, au détour de la tranquille départementale 922. De loin, la cité paraît une hautaine et belle dame de pierre qui se pousserait du col vers le ciel, adossée à son éperon rocheux. En approchant, on distingue une mosaïque de demeures de grès intimement imbriquées, étreignant la montagne et se colorant de rose ou de gris perle.

Bienvenue à Cordes.  » Cordes-sur-Ciel !  » faut-il s’empresser d’ajouter pour ceux qui seraient tentés de confondre un joyau d’architecture gothique urbaine, fondé en 1222, avec Gordes, sa lointaine cousine du Luberon ! C’est d’ailleurs pour effacer cette méprise trop fréquente que les Cordais décidèrent de s’unir, à la fin des années 1980, pour rebaptiser leur village. Nom jugé farfelu,  » Cordes-sur-Ciel  » essuya un avis défavorable du Conseil d’Etat, avant d’être finalement accepté par un décret de 1993. Ironie de l’Histoire, le ministre de l’Intérieur qui y apposa sa signature n’était autre qu’un certain… Paul Quilès, qui deviendra ensuite maire du village !

 » Je n’avais encore jamais mis les pieds dans mon futur bastion. C’est seulement quand je suis venu la première fois que j’ai vraiment réalisé que le ciel était ici une réalité géographique !  » Il est vrai que la visite de la forteresse relève de la course ascensionnelle. Les voitures étant invitées à rester garées aux portes de la cité, il faut gravir plusieurs centaines de mètres de ruelles pavées pour gagner la ville haute. Qui a donc eu l’idée d’aller percher un bourg sur le pech de Mordagne, à quelque 291 mètres au-dessus du niveau de la mer ? Raimond VII. Le pays d’oc mis à feu et à sang par Simon de Montfort, envoyé par Rome pour mater l’hérésie cathare dans le sang, aspirait à la paix et à la sécurité. Le jeune comte de Toulouse décida alors de rassembler les populations des villages détruits dans une ville nouvelle, dominant la vallée du Cérou, la voie de passage vers le Quercy et le Rouergue. Cordes sera édifiée en 1222. De cette époque, la belle dame a gardé tous ses atours : splendides maisons à colombage, ogives gothiques, et tout un bestiaire chimérique, têtes grotesques, gargouilles grimaçantes et animaux mythologiques, qui habitent les façades sculptées. Un peuple de l’imaginaire superbement conservé qui grouille, foisonne et semble, certains soirs, par la magie des lumières caressant la pierre, prêt à jaillir de sa scène minérale pour entamer une folle sarabande. La Grand-Rue débouche sur la halle couverte et nous renouons avec la réalité ; ce lieu d’échanges, dont les 24 piliers soutiennent une charpente monumentale, était autrefois le c£ur battant de la cité, autour duquel s’organisait le plan quadrillé des rues.  » Cordes a tout d’une bastide, même si cette version des faits est de plus en plus contestée, explique Jean-Gabriel Jonin, artiste peintre passionné par son village. Des historiens et des archéologues affirment en effet qu’il y aurait eu un château avant la fondation de la ville, accréditant la thèse que Cordes aurait été un « castelnau », un château neuf avec un pouvoir féodal avant d’être une bastide moderne avec une assemblée élue.  »

Pas de doute, en revanche, pour la  » petite s£ur  » de Cordes, située à une vingtaine de kilomètres et édifiée également en 1222 par le même Rai- mond VII. Comme son nom l’indique, Castelnau-de-Montmiral possédait un imposant château féodal, dont l’usager de la route départementale 964 peut apercevoir de maigres restes. Toutefois, sa magnifique place centrale, bordée d’arcades, prouve qu’elle est rapidement devenue une bastide florissante. On l’imagine jadis grouillante d’artisans et de marchands. Aujourd’hui, en dehors de la saison estivale, la tranquillité y est un luxe accessible, mais n’allez pas croire pour autant que vous pénétrez dans un village fantôme.  » Castelnau n’a jamais été aussi animé que depuis que les étrangers ont racheté environ un tiers de nos murs, confie Hélène Ancelet, historienne de son village. Toutes les nationalités sont représentées : Allemands, Suisses, Chiliens, Australiens, Américains…  » Et les Anglais ?  » Oh, je ne les compte même pas, car ils ne sont jamais vraiment partis ! Pendant la guerre de Cent Ans, ils assiégeaient le village. Aujourd’hui, ils siègent au conseil municipal !  » Et disent bonjour en français, avec un zèle touchant, aux visiteurs qui prennent la peine de s’enfoncer dans les ruelles serrées entre les murs de pierre, de brique et de pans de bois. Les plus courageux prolongeront la promenade jusqu’au Pechmiral. Situé à l’une des extrémités du village, ce promontoire rocheux, surmonté par une statue de la Vierge, offre un point de vue à couper le souffle sur la forêt de Grésigne : 3 600 hectares de chênes, hêtres, charmes, érables, etc., habillés de pourpre et d’or, s’étendant sur les communes de Castelnau-de-Montmiral et Puycelci.  » Cette forêt, c’est toute ma vie !  » confie Henri Cathala, le pharmacien de Castelnau. Et pour cause. Depuis quinze ans, dans sa boutique donnant sur la place, cet herboriste de formation crée ses propres parfums, inspirés des plantes qu’il glane au fil de ses virées forestières. Chèvrefeuille, fougère, mûre comptent parmi la quarantaine de fragrances artisanales qu’il a mises au point.

Au vertige des villages en équilibre sur leurs promontoires succède le charme discret de Monestiés, une localité oubliée, blottie dans un méandre verdoyant du Cérou, au nord-ouest de Cordes. Curieusement, les guides touristiques ne consacrent que quelques lignes à cette ancienne place forte dont les remparts ont laissé place aux lices, un agréable chemin de ronde. Le bourg est pourtant classé parmi  » les plus beaux villages de France « , tant le cachet pimpant de ses vieilles pierres médiévales éclate à chaque coin de ruelle. Mieux, il recèle, entre les murs de sa chapelle Saint-Jacques, un trésor insoupçonné : une mise au tombeau du xve siècle, à coup sût l’un des plus beaux ensembles de sculptures du début de la Renaissance en Europe.  » C’est un superbe village qui n’a pas encore été envahi par les étrangers. A croire que les Anglais ont perdu leur carte routière !  » plaisante Orlando Murrin, un journaliste gastronomique très populaire en Grande-Bretagne, qui vient d’ouvrir le manoir de Raynaudes, à une poignée de kilomètres de Monestiés. Une splendide maison d’hôte posée au milieu d’un océan de céréales et d’herbes folles, avec, en arrière-plan, les Pyrénées en ombres chinoises. Ce pays enchanteur, Orlando le surnomme  » forgotten France  » sur son site Internet. Plus pour très longtemps, semble-t-il.  » Ces temps-ci, je ne reçois que des compatriotes qui viennent passer leurs vacances au manoir. On ne les voit pas autour de la piscine, ils sont occupés à chasser la vieille pierre !  » A découvrir d’urgence, donc.

François-Régis Gaudry

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