Une mode produite en toute transparence au départ de matières naturelles et sans souffrances animales ou exploitation humaine, Bruno Pieters y croit dur comme fer. Avec son nouveau label Honest by, le créateur belge s’efforce aujourd’hui de réveiller la conscience de l’industrie textile…

En 2009, victime d’un passage à vide, Bruno Pieters claque la porte du groupe allemand Hugo Boss (dont il a dessiné la ligne Hugo) et va même, début 2010, jusqu’à stopper sa griffe perso après neuf ans d’existence.  » C’était le moment d’arrêter, confie-t-il. En plein burn out, j’avais besoin de passer à autre chose, de me ressourcer. À l’époque, je n’imaginais même pas faire un jour mon retour dans le monde de la mode : j’avais eu mon compte. « 

Pendant une décennie, le créateur ne s’est pas laissé le temps de respirer.  » C’est la loi du système, explique- t-il. L’Académie ( NDLR : l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, où il a étudié), Paris ( NDLR : où il a travaillé chez Olivier Theyskens), mon label… On se retrouve pris dans l’engrenage : on accepte des missions en plus de sa propre marque, il faut vendre – se vendre, aussi – pour pouvoir vendre toujours plus. Pendant dix ans, je n’ai pas arrêté. Et puis arrive le temps où on se demande si on a envie de continuer comme ça toute sa vie… Étudiant, on se voit déjà dans la peau de ces grands stylistes qui font la une des magazines, on rêve de leur vie semée de strass et de paillettes, on s’imagine des tas de choses. On essaie de marcher dans leurs traces – et on y parvient. Un boulot prestigieux, un bon salaire : on a réussi. On va enfin pouvoir être heureux… Et puis on tombe de haut. Et ça fait mal.  »

Bruno Pieters accepte enfin, dit-il, de se regarder en face :  » La confrontation a été dure.  » Le créateur décide alors de découvrir le monde – l’Inde, l’Australie, la Tasmanie.  » Cela m’a ouvert les yeux, s’enflamme-t-il. J’aimais encore beaucoup m’acheter des vêtements, mais j’ai commencé à le faire autrement, car j’ai réalisé que mes achats avaient des conséquences que je n’étais pas toujours prêt à accepter. Trouver des fringues qui me plaisaient et que je pouvais acheter la conscience tranquille était devenu de plus en plus difficile.  » Il faut dire que la mode écolo aux relents soixante-huitards n’est pas vraiment son genre…  » Trop stéréotypé !, lâche-t-il. Pour finir, j’ai décidé de prendre les choses en main.  » Et c’est ainsi qu’il a retrouvé le chemin de la planète mode un peu plus vite que prévu avec Honest by, un label qui se veut 100 % transparent, naturel, durable et fabriqué dans le respect de l’homme et de l’animal.

 » Les acheteurs s’imaginent souvent qu’il est impensable qu’un sac à main hors de prix ait été confectionné dans une usine chinoise pour un salaire de misère ou que des animaux aient été maltraités pour sa fabrication, dénonce Bruno Pieters. Et pourtant, c’est parfois le cas. Le secteur cultive un peu le flou artistique. Heureusement, la situation est en passe d’évoluer, car les consommateurs sont de mieux en mieux renseignés sur les méthodes de production – et tout cela grâce à Internet, qui a beaucoup facilité l’accès à l’information. « 

C’est de ces précieuses informations qu’est né le label Honest by.  » Comme j’avais encore tout à apprendre, j’ai consacré énormément de temps à la recherche, souligne le créateur. Bien sûr, il est toujours possible de s’adresser à des agences de conseil spécialisées, mais j’ai préféré tout faire moi-même : vérifier, revérifier, rencontrer les fabricants… Il me fallait des certitudes, la conviction de pouvoir faire confiance.  » Les premiers produits siglés Honest by ont été lancés l’hiver dernier, sur le Web uniquement. Le second arrivage, une collection-capsule en collaboration avec Calla Haynes, la fondatrice de la jeune griffe canadienne Calla, est disponible depuis peu sur le site www.honestby.com et – en exclusivité mondiale – chez Hallelujah, enseigne bruxelloise entièrement dédiée à la mode  » verte  » et dont la propriétaire, Sonja Noël, possède également le légendaire Stijl, la boutique qui a fait du quartier Dansaert le haut lieu de la mode belge que l’on sait.

 » J’ai d’emblée voulu appeler d’autres créateurs à participer, poursuit Bruno Pieters. Plusieurs étaient prêts à jouer le jeu… mais surtout pour me faire plaisir. Or c’est le genre de projet qui ne tient la route qu’à condition d’y croire vraiment.  » Une seconde collaboration est toutefois annoncée pour cet été.  » Bruno est parvenu à réunir une incroyable masse d’informations, mais aussi de contacts – fabricants, fournisseurs, etc., se réjouit Calla Haynes. J’ai beaucoup appris de ses recherches : moi qui dessine des imprimés, je sais à présent qu’il est possible de les réaliser sur du coton biologique moyennant un surcoût très raisonnable. Alors pourquoi s’en priver ? « 

Si Bruno Pieters réussit son pari, Honest by pourrait devenir bien plus qu’un label : une véritable alliance en faveur d’une mode  » propre « . La route est toutefois encore longue. Pour l’heure, Honest by se limite à un site de vente sur Internet, qui propose des vêtements que personne ou presque n’a jamais vus (et encore moins palpés ou essayés) à des prix pas franchement démocratiques.  » Autant dire qu’un client potentiel y réfléchira sans doute à deux fois avant de cliquer sur le bouton « acheter », sourit le créateur. Une griffe que l’on peut trouver en boutique se vend aussi plus facilement en ligne, puisque le client sait ce qu’il achète. Une fois encore, c’est une question de confiance. « 

Les collections sont produites en quantités très limitées (une vingtaine d’exemplaires en moyenne, répartis sur 5 tailles et parfois réalisés en différents matériaux) – quoique sur Internet, il s’agisse là d’un concept très relatif. Le fait que la collection pilote et le fruit de la collaboration avec Calla soient désormais disponibles également chez Hallelujah est pour la marque une véritable bulle d’oxygène.  » Sonja était la personne qu’il nous fallait « , se félicite Bruno Pieters.

À plus long terme, Honest by pourrait toutefois devenir une entreprise plus classique.  » En septembre prochain, nous disposerons d’un espace d’exposition à Paris pendant la semaine de la mode et nous présenterons notre collection à d’autres boutiques, révèle Bruno Pieters. C’est la seule solution si nous voulons grandir… et la croissance, c’est important, ne fût-ce que pour pouvoir réduire les prix. Si nous sommes actuellement si chers, c’est parce que nous travaillons à toute petite échelle. J’aimerais beaucoup pouvoir offrir des choses plus abordables, et c’est dans ce sens que je veux évoluer. La croissance est une bonne chose… mais à ma manière et dans le respect de mes principes.  » Et si la marque ne décolle pas ?  » J’ai des projets jusqu’en janvier 2013. Après, on verra. « 

Point de vente, la boutique en ligne est également un outil de marketing, où sont publiées des informations jusqu’ici inédites. Chaque pièce y est disséquée jusque dans les moindres détails, du producteur du coton à la provenance du fil en passant par le matériau qui a servi à fabriquer les boutons… et même l’endroit où ils ont été fixés et le temps que cela a pris !  » Impossible d’imprimer toutes ces informations sur l’étiquette. Ou il faudrait vraiment qu’elle soit très grande « , sourit Bruno Pieters.

Homme de principes, le créateur n’est pas pour autant un extrémiste.  » Je ne me prononce pas sur ce que font les autres et je ne porte pas de jugement, car je ne pense pas qu’il existe une bonne ou une mauvaise manière de travailler. À chacun de poser ses propres choix et d’agir selon sa conscience. Personnellement, je crois à l’honnêteté : une communication ouverte est un moyen de couper court aux controverses, puisqu’il n’y a plus de secrets. Jouer franc jeu, c’est tellement simple… je ne comprends pas pourquoi cela effraie tant de gens. « 

Ses modèles n’utilisent ni cuir ni fourrure et lui-même est végétarien depuis un an.  » Impossible de manger de la viande sans tuer un animal, on peut choisir d’ignorer cette réalité… ou pas. Je ne veux pas juger. Mais à titre personnel, je n’ai pas envie de faire souffrir ou mourir un être vivant lorsque ce n’est pas nécessaire. Honest by n’est pas végétalien, ce qui impliquerait de n’utiliser ni laine ni soie, mais certaines pièces le sont – notamment la collection de Calla, qui est entièrement en coton. Autrefois, j’utilisais volontiers du cuir et de la fourrure. J’y étais pourtant complètement opposé étant ado, mais mes valeurs se sont estompées en cours de route : à un moment donné, être écolo ou ami des bêtes n’avait plus la cote, c’était bon pour les ploucs… et personne ne tient évidemment à traîner ce genre d’image ! À l’Académie, j’ai même collaboré avec la fédération de la fourrure, en me convainquant que les bêtes étaient élevées pour cela, que c’était une industrie propre et exempte de souffrances animales. La réalité est évidemment tout autre… et puis même « propre », la fourrure reste superflue : il existe suffisamment d’alternatives. Lorsque c’est possible, autant laisser les animaux en paix ! « 

Précisons que Honest by utilise exclusivement de la laine d’Écosse, où les moutons sont semble-t-il mieux traités qu’en Australie.  » Autrefois, lorsque j’étais en panne d’idées, je me tournais souvent vers des solutions faciles – comme la fourrure, qui évoque immédiatement le luxe, conclut Bruno Pieters. À l’époque, je ne réfléchissais pas plus loin. Aujourd’hui, je trouve cela absurde : qu’y a-t-il de luxueux à arborer la peau d’un animal massacré de façon atroce ? « 

PAR JESSE BROUNS

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