Revitalisé par des designers et des artistes qui travaillent en étroite collaboration avec des maîtres verriers, ce matériau se réinvente en conjuguant méthodes ancestrales et langages modernes.

Le verre à bout de souffle ? Détrompez-vous, il n’a jamais tant été dans la lumière. Pour Isabelle Reiher, directrice du Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques (Cirva), ce matériau séduit la fine fleur de l’art contemporain et du design qui lui insuffle une nouvelle énergie, osant des expérimentations de couleurs, de formes et d’associations de matières. Pour preuve, la lampe futuro-sculpturale Apollo, aux allures de capsule spatiale – signée de la Tchèque Lucie Koldová et de l’Israélien Dan Yeffet -, qui combine la brutalité et l’opacité du marbre blanc de Carrare à la délicatesse du verre, le dotant d’une sensualité rare.

 » Ce matériau sait parfaitement capter l’époque, en explorant de nouveaux territoires de créativité, précise le conservateur du département verre au musée des Arts décoratifs, à Paris, Jean-Luc Olivié. Jusqu’à l’aube des années 90, il s’était un peu enlisé dans la nostalgie. Son retour en force dans l’architecture contemporaine, avec notamment la construction de la pyramide du Louvre de Ieoh Ming Pei, en 1989, marque un tournant majeur dans son histoire.  » Dès lors, créateurs et designers prennent conscience que les maîtres verriers indépendants – à l’instar de Matteo Gonet, artisan suisse qui a fondé l’atelier Glassworks à Bâle (Suisse) – ou intégrés au sein de prestigieuses manufactures (Daum, Saint-Louis, Baccarat ou Lalique) sont porteurs d’un savoir-faire exceptionnel, qui ouvre des champs d’expression infinis. A la même période, Philippe Starck signe, chez Daum, Une étrangeté contre un mur, un vase en cristal soufflé collé sur une plaque de verre industriel, qui fera grand bruit, grâce à la force de son slogan publicitaire :  » Daum est un Starck et Starck est un Daum.  » A partir de ce moment, artistes et manufactures ne cesseront plus de travailler main dans la main. Baccarat sollicite à son tour le designer star, devenu maître de la réinterprétation. En 2005, il décline le célèbre verre Harcourt en noir jais, histoire de donner un peu d’irrévérence aux classiques de la maison. Question défi, la cristallerie française Saint-Louis n’est pas en reste. Dès son arrivée, en 2010, en qualité de directrice artistique, Anne Lhomme fait appel à des signatures internationales pour donner un nouveau twist aux luminaires qui constituent, depuis un siècle et demi, l’un des axes importants de la production :  » J’ai eu envie de solliciter trois femmes – l’Italienne Paola Navone, la Néerlandaise Kiki van Eijk et la Française Ionna Vautrin – qui ont conçu une collection de suspensions, lampadaires et lampes pleines de fantaisie, en perpétuant la tradition grâce au savoir-faire des 300 artisans verriers maison. Le luminaire en verre ou en cristal a quelque chose de fascinant car il mute avec la lumière et rappelle la matière en fusion.  » Empreint de poésie, ce matériau ne se prête pas moins à de nouveaux champs d’application. Avec la table ronde Bell Coffee, éditée par ClassiCon – célèbre pour ses rééditions d’Eileen Gray -, le designer allemand Sebastian Herkner utilise, cette fois, le verre comme pied sur lequel un plateau en métal semble flotter. Et défier les lois de la physique. Ce matériau se réinventerait-il en de nouveaux objets ? Dans le même temps, il bénéficie de traitements inédits.  » En une décennie, les possibilités se sont démultipliées « , explique Alix Libeau, responsable de la boutique Silvera Wagram, à Paris. Après avoir fait l’éloge de la transparence, on trouve désormais du verre sablé, satiné, aluminisé, laqué en sous-face, dégradé façon tie & dye ou argenté, à l’instar du tabouret de Dan Yeffet et de Lucie Koldova, aujourd’hui directrice artistique de la maison d’édition Brokis.  » La République tchèque dispose d’un patrimoine très riche dans le secteur verrier, il était nécessaire de se le réapproprier « , affirme la créatrice, qui a fait de ce matériau son obsession. Comme pour mieux laisser rejaillir la part de magie et d’illusion qu’il recèle, le Japonais Tokujin Yoshioka fait miroiter une table biseautée pour la société Glas Italia. Traité à la manière d’une sculpture, le plateau reflète les gens ou les objets alentour comme la surface de l’eau.

Tout aussi insolite, la table Brushstroke, en cristal  » acidé « , dont le dessus semble avoir été peint à coups de pinceau.

De son côté, à la galerie Kreo, le designer allemand Konstantin Grcic l’a joué cash en imaginant une collection de meubles Man Machine au contour très minimal, élaborée à partir d’un verre flotté, ultratechnique, identique à celui utilisé en architecture. Grâce à un système de pistons, de charnières et de manivelles ainsi qu’à l’emploi de silicone noir, les neuf pièces se déplient, s’ajustent ou suivent le corps au gré des besoins, défiant ainsi la tension entre la légèreté du dessin et la solidité d’une structure. Pour Clément Dirié – écrivain et éditeur chez JRP Ringier -, Konstantin Grcic a une nouvelle fois relevé un défi et repoussé les frontières des possibles en créant un ensemble radical entre esthétique hi-fi, fascination de la transparence et réflexion sur sa pratique.

En dépit de ces innovations, la technique du verre soufflé reste inchangée depuis des siècles.  » Le souffleur garde toute sa légitimité dans un schéma de production. Cet apport du geste humain donne une part de magie et de poésie que l’industrie ne peut délivrer. L’un et l’autre sont complémentaires « , déclare le maître verrier Matteo Gonet, régulièrement sollicité pour réaliser des pièces d’exception. Ainsi, il a imaginé avec le designer Mathieu Lehanneur une série de luminaires, dont SMOKE, un modèle en verre soufflé et albâtre, aussi léger qu’une bulle de savon. Ou encore ce lustre monumental pour le vestibule du château Borély, à Marseille – propriété des champagnes Veuve Clicquot -, aux allures de cordages de lumière, en rupture avec les codes classiques des modèles d’apparat. Matteo Gonet a également travaillé avec le designer français Pierre Favresse, aussi directeur artistique d’Habitat, depuis 2011, pour concevoir l’horloge Jean, un globe de légèreté en lutte avec la pesanteur comme un hommage du XXIe siècle à la lourdeur mécanique des horloges napoléoniennes.  » Le verre est un élément magique qui passe en cinq secondes de l’état liquide à l’état solide, idéal pour mettre le temps sous cloche « , explique-t-il. Pour Habitat, il affiche aussi au catalogue des verres, des vases, des lampes en verre strié ou coloré dont la fragilité, la transparence ou la translucidité l’émeuvent.  » Si, dans les années 90, on plébiscitait les objets en plastique incassable, on rejette aujourd’hui ce qui vient de la chimie ou de la pétrochimie. On préfère désormais les matières naturelles, façonnées par la main de l’homme, qui confère à l’objet ce côté unique.  »

PAR SYLVIE WOLFF ET OLIVIER RENEAU

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