Pendant neuf mois, le réalisateur R.J. Cutler a suivi pas à pas la rédactrice en chef de Vogue et sa fashion complice Grace Coddington. Plus qu’une plongée au picrate dans les coulisses du magazine, The September Issue est avant tout le portrait croisé de deux femmes. Passionnées de mode. Jusqu’à l’obsession.

Pauvre Hillary R.C. Tout occupée qu’elle soit à désamorcer les conflits aux quatre coins du monde, dans son nouveau rôle de secrétaire d’État, elle ne serait pas la femme la plus puissante des États-Unis. Michele O. non plus, d’ailleurs. A en croire les  » acteurs  » du dernier film de R.J. Cutler, primé lors du Festival de Sundance, la place serait occupée depuis plus de vingt ans par Anna Wintour. A la tête de l’édition américaine de Vogue, celle que l’on surnomme  » la reine des glaces  » gouvernerait la planète mode, ce business  » futile  » qui pèse à lui tout seul plus de 300 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuelà

 » Comme tout le monde, j’avais entendu parler d’Anna Wintour, rappelle R.J. Cutler. Mais je n’avais aucune idée de ce qu’elle était réellement.  » Un bourreau de travail ? Un tyran ? Voire une  » total bitch « , comme le laissait sous-entendre la représentation caricaturale de son  » sosie « , personnage central du livre et du film Le diable s’habille en Prada ? En ouvrant grand les portes de sa rédaction, Anna Wintour n’a en aucune manière cherché à se rendre sympathique ou accessible. Même si, au détour d’une phrase, d’un léger stress au coin de l’£il, elle laisse poindre un soupçon d’humanité.  » Elle n’est pas le genre de femme à montrer ses émotions, confiait, en mai dernier, à un journaliste de CBS, André Leon Talley, l’un de ses proches collaborateurs. Le regard qu’elle porte sur votre travail est purement clinique. Cela ne convient pas à tout le monde. Les gens ont besoin de se sentir aimés.  »

Mais voilà. Anna Wintour est là pour bosser. Secondée par Grace Coddington qui dirige la plupart des shootings de mode de Vogue.  » Personne mieux qu’elle ne peut visualiser une image, assure Anna Wintour en parlant de cette complice qui partage sa vie professionnelle depuis plus de vingt ans. Grace est un génie.  » Un compliment qui vaut tous les tailleurs Chanel du monde. Pourtant, convaincre Grace de se laisser filmer fut sans doute le plus grand challenge rencontré par R.J. Cutler pendant les huit mois de tournage. Explications.

La première fois que Grace vous a vue arriver avec la caméra, elle vous a lancé tout net :  » Fichezle camp d’ici.  » Elle ne voulait pas être filmée par peur des représailles ?

Bien sûr que non ! C’est très clair dans le film, elle n’a pas sa langue en poche et elle n’a pas du tout peur d’Anna Wintour. Elle ne voulait pas être distraite dans son travail. Au début, aussi, elle ne savait pas qui nous étions. Mais, au fil du temps, elle a appris à se servir de nous, elle s’est rendu compte que notre présence, loin de la déranger, pouvait même l’aider à travailler mieux.

Pensez-vous qu’Anna Wintour ait accepté d’être suivie par votre équipe pendant plus de huit mois pour corriger l’image donnée d’elle dans Le Diable s’habille en Prada ?

C’est une question à laquelle elle seule pourrait répondre. Notre projet était lancé plus d’un an avant le tournage de ce film. Je ne peux pas imaginer que cela ait pu influencer son attitude d’une quelconque manière. En tout cas, cela n’a rien eu à voir avec mon envie de faire d’Anna le sujet de mon documentaire.

Quel a été votre plus gros challenge ?

Je vous l’ai dit, convaincre Grace ! Au-delà de cela, d’une manière générale, les gens de la mode nous ont très bien accueillis partout. Même s’ils se méfient de prime abord des caméras qui sont souvent là pour les piéger ou les juger.

On dit Anna Wintour très intimidante. Comment votre première rencontre s’est-elle déroulée ?

Elle a été charmante. Anna est 100 % orientée business mais tous les moments que j’ai passés avec elle ont été très agréables.

Face à votre caméra, elle se montre vulnérable. Cela vous a-t-il étonné de sa part ?

Non, parce que c’est mon job de faire en sorte que les gens se sentent à l’aise, se dévoilent, soient eux-mêmes, tout simplement. Anna connaissait mon travail. C’est sans doute pour cela qu’elle m’a fait confiance.

Jamais vous ne montrez l’interaction d’Anna avec ses journalistes. Parce qu’elle y attache moins d’importance ?

Pas du tout. Mais réaliser un documentaire, c’est choisir de raconter une histoire. Nous avons centré la nôtre sur la relation particulière qui existe entre Anna et Grace. Grace n’écrit pas. The September Issue n’est pas un documentaire sur un magazine mais un film sur deux personnes. Vogue est juste un prétexte, un décor pour raconter l’histoire qui lie ces deux femmes.

Quelle est votre scène favorite ?

Sans hésiter celle où Anna parle de ses deux frères et de sa s£ur ( NDLR : très engagés politiquement et socialement) en disant que son métier à elle les amuse beaucoup. On la voit chez elle, avec Bee et l’on découvre qu’elle n’est pas seulement une rédactrice en chef redoutée mais aussi une mère célibataire. Elle évoque aussi la possibilité de sa fin de carrière, en assurant qu’elle partira, comme son père qui était aussi rédacteur en chef, lorsque le sentiment de colère qu’elle peut ressentir parfois dans son travail sera devenu trop présent. Tout est là, en une scène : le lien entre travail, famille et histoire personnelle. Tout ce qui explique la place qu’elle occupe aujourd’hui dans le monde.

Il y a un moment très drôle durant lequel Anna demande que l’on retouche le ventre, pas assez plat à son goût, de Bob, votre caméraman. Mais Grace s’y oppose fermement. Qui a gagné, au final ?

Grace ! Elle a remporté cette bataille-là. Mais Bob, depuis, a fait de la gym tous les jours et n’a plus du tout le même look !

Anna a-t-elle exigé d’avoir un droit de regard sur le film ?

Non. C’était une condition préalable. Le  » final cut  » me revenait. Elle a accepté sans condition en affirmant :  » Mon père était journaliste, je suis journaliste, je vous comprends totalement.  » Cela ne veut pas dire qu’elle n’a pas fait de commentaires lorsque je lui ai montré le documentaire. Mais je n’ai rien modifié.

Aujourd’hui, elle en pense quoi ?

Ses commentaires sont très élogieux. Elle nous soutient à 100 %.

Par Isabelle Willot

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