Le sait-il, Samuel Benchetrit, ses mots ont des fulgurances magnifiques. Sur le papier, sur les planches, sur la pellicule. Et aussi dans la vraie vie. Son univers est fait d’asphalte, d’humour, d’amour et de poésie. Entrez, à pas de loup, c’est par ici.

Il y a chez lui une poésie de l’asphalte et des néons qui serre le c£ur. Un humour délicieux, parfois désespéré. Un amour des gens, des femmes surtout et des hommes qui ne refusent pas leur part de féminité. Samuel Benchetrit est assis là, à cloper, sans forfanterie, entier, magnifique, fragile soudain, à parler de la banlieue des années 70 qui l’a vu naître, des choses qui y ont changé, en mal, d’écriture, de son grand garçon, de sa petite fille – Jules, 11 ans, qu’il eut avec Marie Trintignant et Saül, 2 ans et demi, avec Anna Mouglalis -, de ses motos, de mise en scène, de Jean-Louis Trintignant, Desnos, Prévert et Vian, d’avoir rêvé d’être guitariste, mais  » c’est foutu, aucune dextérité « , cela le rend  » barge « , heureusement, son fils en joue,  » je voudrais qu’il me venge « .

Il y a chez lui des paysages qui défilent dans la joie, des tournages en famille, avec ses  » potes « , des projets de cinéma – un western, avec John Malkovich, un film de pizzaiolo, de maffieux et une équipe de cinéma belge, avec Sergi López et José Garcia. Plus  » une toute petite chose « , qu’il veut produire tout seul, qui parle de banlieue, des vieux là-bas, qui souffrent et qu’il faut écouter.

Il y a chez lui une farouche volonté de marcher sur son chemin à lui. Faire des films en noir et blanc sur des gangsters un peu ratés, avec des pellicules rarissimes, dans d’improbables endroits à la mélancolie ravageuse. Créer sa propre maison de production, Asphalte, pour être libre. Tourner un petit film en un rien de temps, réalisé à la demande de Stefano Pilati pour Yves Saint Laurent –  » tapez mon nom avec YSL sur YouTube  » – une merveille de tendresse incarnée par Jules, son fils. Ecrire son quatrième roman à la première personne, celle d’un gamin de 11 ans, Charly, qui croyait que Rimbaud, c’était une tour. Ce Charly-là, du C£ur en dehors, il a eu du mal à le quitter, il n’est pas le seul. Rencontre à Paris, sur une terrasse d’automne, avec, au-dessus, des nuages blancs qui filent dans la lumière.

La banlieue du C£ur en dehors, votre dernier roman, est-elle celle de vos souvenirs, forcément édulcorés par le temps ou celle d’aujourd’hui ?

Elle a vraiment trente ans de plus, elle a évolué lentement mais tristement. Au début de l’écriture du C£ur en dehors, une nuit, vers 2 heures du matin, j’ai pris ma moto, j’y suis allé et j’ai vraiment trouvé mon livre à ce moment-là. La nuit, il se passe quelque chose de très étrange : on est un enfant, il n’y a pas cette distance qu’il y a la journée, mais une sorte d’égalité et de fragilité. J’avais vraiment l’impression de faire un voyage dans le temps, c’était bien. Et j’ai compris que la banlieue était d’une tristesse incroyable, même pas éclairée.

D’emblée, vous vous placez à hauteur d’un petit d’homme, Charly, 11 ans, était-ce naturel ?

J’ai mis du temps à trouver sa musique. Ce n’était pas le langage qui m’angoissait, mais être dans sa personnalité. J’ai compris à la troisième ou à la cinquième page, je ne sais plus, quand je parle de son manque de concentration, de ses digressions. Là, je me suis dit :  » Je fais ce que je veux, voilà, je me donne cette liberté. « 

Cet enfant hyperactif est-il votre double ?

Non, je ne suis pas hyperactif, je travaille beaucoup, mais je suis assez lent. De plus en plus lent, d’ailleurs, en vieillissant. Charly ressemble beaucoup à mon fils, dans son énergie, sa liberté. Il est très curieux, très tolérant. Il n’est pas dans une soif de justice, cela ne l’intéresse pas, la vengeance, les punitions, tout ça. Il est pour que ce soit joyeux, tous les jours. Et puis, il a une force incroyable pour réinventer le bonheur, ce qui ne l’empêche pas d’être triste, je trouve cela magnifique d’être comme ça.

Comment écrivez-vous ?

J’écris le matin, enfin, les trois heures qui suivent le réveil.

A la main avec, ai-je lu, un Parker 51 à pompeà

J’adore ce stylo, j’aime son écriture, la plume me convient bien. C’est un ami qui me l’a offert, un écrivain, Dan Franck, c’est à lui que j’ai dédié ce livre, parce que j’aime bien qu’un mec de 50 ans aille dans les aéroports défendre les sans-papiers. Et puis c’était le stylo des cancres, la plume est cachée et incassableà Mais sinon, c’est des conneries : j’écris avec n’importe quoi, si j’ai un stylo bille, c’est parfait. Et j’écris dans des cahiers de brouillon. Avec des trucs d’ado dans les marges, des  » Anarchie « , des noms, des dessins. Je n’ai pas de règle, mais je ne pourrais pas écrire une page par jour, je deviendrais fou, parce que je suis un fils d’ouvrier – mes parents partaient travailler le matin, revenaient le soir, ils avaient bossé huit heures. Si je n’écrivais qu’une page, j’aurais vraiment l’impression de ne rien foutre, j’ai peut-être tort des fois, mais j’ai besoin d’écrire 15 pages par jour. Si j’écris vite, cela murit pourtant très lentement. Souvent, j’ai l’air de ne rien faire, mais je travaille. Mon fils me demande :  » Tu peux m’aider ?  » Je lui réponds :  » Non, je bosse.  » Et lui :  » Mais non, tu es en train de glander sur le canapé.  » Et moi :  » Non, je te jure, tu ne peux pas savoir, ça chauffeà  » Comme il voit que je fais des trucs quand même, il me prend au sérieux. En fait, je fais des trucs parce que je crois que je veux que mon fils me prenne au sérieux.

Dans vos livres et dans vos films, il y a toujours quelqu’un pour vous prendre par la main et vous sauverà

J’ai eu très tôt besoin de m’inventer des héros. Au début, on trouve des héros fictifs, dans les films, dans la littérature, et puis après on les rencontre en vrai. Et parfois, on les attrape, comme ça et ils nous mettent sur un autre chemin. Il y a des gens que je trouve beaux, tout le temps. Jean-Louis Trintignant, je suis sûr qu’il est beau quand il se lave les dents, tout seul, il doit avoir une classe à ce moment-là. Moi, j’ai vraiment pensé longtemps, peut-être que j’avais raison, que je n’avais aucune personnalité, donc je trichais un peu : quand j’étais petit, comme dans Le C£ur en dehors, pour me donner de la personnalité, je faisais semblant de boiter en arrivant à l’école, c’est débile. Jusqu’à pas très longtemps, je faisais des trucs comme ça. Des fois encore, je m’effondre dans ma personnalité, sauf quand je suis attiré par ces héros. Ils me touchent, ils m’impressionnent. Parce qu’ils sont tout le temps inspirés, ils se réveillent le matin avec une idée, ils vont au bout, ils pensent différemment. Je crois que c’est Dylan qui a dit :  » On ne peut pas être un hors-la-loi si on n’est pas profondément honnête.  » Je me suis rendu compte que les gens que j’aime sont honnêtes – ils ont sûrement triché, fait des conneries, mais quand même, ils sont allés vers l’honnêteté.

Avec vous, la rédemption passe surtout par les femmes.

Ça, c’est sûr. Je pense que les femmes savent et que les hommes ne savent pas. J’ai un problème, je m’entends mieux avec les femmes qu’avec les hommes dans la vie, je me sens mieux avec elles, je les trouve plus douces. Et puis, elles perdent moins leur temps. J’espère que le monde va devenir plus féminin et moi, je vote pourà Sûrement qu’il y a des femmes dangereuses, mais quand même, je préfère les femmes.

Jean-Louis Trintignant n’est pourtant pas une femmeà

Oh presque. Mes amis ont tellement de féminité. Je trouve que les hommes qui refusent leur féminité sont des gros cons.

Il y a peu, vous annonciez un grand roman d’amourà

Ah oui ? J’ai un roman en cours, mais je ne suis pas mûr. C’est un roman sur le deuil, donc ce n’est pas vraiment un roman d’amour, mais tout de même. J’écris sur un mec avec une moto, parce que je suis un passionné de moto, c’est ce que je préfère au monde, je crois. Prendre l’air, sentir les odeurs, tout ça. Jean-Louis Trintignant aime aussi tout ce qui roule. D’ailleurs, il continue à faire de la moto, il ne devrait pas, mais il est comme ça, c’est bien. On fait des milliers de kilomètres en voiture ensemble. En décembre, on va en Argentine, en Patagonie, tous les deux, là, on va rouler longtemps à mon avis.

écrire, est-ce finalement ce qui vous plaît le plus ?

Quand ça marche. Je n’aime pas l’écriture de scénario, je trouve cela atroce. Parce qu’un scénario, c’est des lois, tandis que quand on écrit un livre, on part pourà on ne sait pas : une nouvelle, cinq cents pages, faire sauter la planète vingt-cinq fois. Je fais ce que je veux, je dis ce que je veux, les éditeurs sont plus libres, plus ouverts, cela ne coûte pas cher. Le théâtre, aussi, j’aime parce que c’est difficile, c’est une discipline, il ne faut pas perdre son dialogue, on est serré et puis on sait qu’il y aura un accord formidable avec le spectateur. Pour le cinéma, il ne faut pas dépasser 90 pages, une page par minute, cela coûte autantà et tout de suite, des dogmes : il ne faut pas écrire trop poétique, sinon les financiers ne comprennent rien. Moi, au début, j’écrivais des didascalies magnifiques, (NDLR : chez les Grecs, les instructions du poète dramatique à ses interprètes), on me demandait  » combien de chaises dans la pièce ? « .

De quoi êtes-vous le plus fier ?

De mes enfants, bêtement. C’est ce qui me rend le plus fier. Mais comme un truc organique, cela me dépasse. Leurs spectacles de fin d’année à l’école me bouleversent plus que mes premières au théâtre. Cela me donne, peut-être, une estime que je n’avais pas.

Le C£ur en dehors, par Samuel Benchetrit, Grasset, 296 pages.

par Anne-Françoise Moyson

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