Une ligne imaginaire précolombienne et sacrée, coupant la Terre en deux, lui a donné son nom. Aujourd’hui, l’Equateur vit toujours à l’ombre de ses volcans dont le réveil pourrait se révéler spectaculaire… mais dévastateur.

Au-dessus de la petite ville, un volcan à la silhouette massive est la proie des nuages. Engourdi depuis longtemps, il veille sur la localité qui porte son nom : Cayambe. Avec suffisance, le géant contemple l’immense couloir andin, balisé de loin en loin par une multitude d’autres sommets volcaniques dont beaucoup culminent à près de 6 000 mètres. Insouciants face au danger que représenterait un hypothétique déluge de feu et de cendres, les Indiens vaquent tranquillement à leurs occupations quotidiennes. Ici, parmi les étendues herbeuses monotones, une Indienne file sa quenouille derrière de blancs moutons, là, un attelage de b£ufs sillonne une parcelle minuscule de terre noire, perdue au milieu d’un patchwork de cultures. Spectacle paisible que celui de ces scènes agropastorales séculaires. Mais beauté et sérénité riment avec danger.

C’est au pied de ces gueules noires tapies sous d’énormes calottes de glace et de neige immaculée que s’animent la vie rurale et, plus bas dans la vallée, celle des grandes villes de la Sierra équatorienne. Seuls les yeux des scientifiques rivés sur leurs appareils de mesure et dans une moindre mesure, ceux des alpinistes qui ont respiré leur haleine fétide là-haut, comprennent ce qui s’y trame. Les habitants des vallées qui vivent à l’ombre du risque, semblent avoir la mémoire bien courte. Latacunga n’a- t-elle pas été anéantie en quelques minutes par des coulées de boues il y a à peine cent vingt ans ? Et puis, en dépit de leur apparente quiétude, le réveil de plusieurs de ces montagnes est programmé pour les prochaines décennies. Les équipes de la Protection civile ont dessiné depuis longtemps le tracé des coulées de boue et les zones rouges où il serait insensé de construire. Mais qui prête l’oreille à de tels pronostics ? Comme dans tout pays du tiers-monde, le souci premier reste de nourrir sa famille au jour le jour…

 » Inti Raymi « , fête du solstice

En ce 21 juin, l’heure est à la fête. Des dizaines de bus et de camions désarticulés sont descendus ce matin des hauteurs de la Sierra. Les moyens de transport sont rares et les routes précaires qui mènent à la ville sont bordées de précipices. Comme partout ailleurs dans les Andes, les Indiens ont fait l’impasse sur les normes les plus élémentaires de sécurité. Certains chauffeurs en état d’ivresse ont déjà négocié des virages dans un état second. Faute de place à l’intérieur, de nombreux passagers ainsi que tout un orchestre ont investi le toit de l’un des engins. A la Saint-Jean, comme c’est la coutume depuis l’époque précolombienne les communautés de la région se rendent à la petite bourgade de Cayembe pour célébrer l' » Inti Raymi « , la fête du solstice. Le disque solaire est déjà haut dans le ciel quand, à la fin de la messe, le curé bénit la foule. Sur les marches de l’église une procession prend forme. Le Saint Apôtre est ballotté parmi une foule en dévotion, sous de généreuses volées de pétales de rose. A son passage, quelques fidèles se signent, lui baisent les pieds, tandis que d’autres épinglent quelques billets en sucres, l’ancienne monnaie locale dévaluée et qui a désormais fait place à celle des yankees.

Soudain, c’est la bousculade. Sur la Plaza de Armas arrivent les premiers groupes de danseurs. Semant la terreur sur son passage, l’Ayahuma , coiffé de sa cagoule bicéphale, ouvre la danse. Incarnation même de forces souterraines ambiguës, à la fois maléfiques et bienveillantes, symbole de la révolte et de la sagesse des ancêtres, la créature surnaturelle fait claquer son fouet, tient le public en respect et chaparde de-ci de-là quelques fruits et friandises. Derrière viennent les Aruchicos . Masqués et bon enfant, ils avancent de front, grattant leur guitare sur un ton monocorde. Fredonnant d’interminables et langoureuses ritournelles, les Chinucas trottinent à reculons. Leurs atours sont finement brodés et leur cou serré d’une épaisse couche de perles dorées. Puis le cortège s’arrête et les danses circulaires reprennent. Emouvante évocation que celle du cycle de la vie. Chez les Indiens, il est étroitement lié à l’année solaire et aux récoltes. Quoi de plus naturel pour un peuple tourné vers Pachamama, notre mère nourricière à tous.

Ingénieux  » astronomes  »

Non loin de là, en regard du volcan sacré, se niche un site archéologique bien énigmatique : Cochasqui. Une douzaine de pyramides tronquées dominent l’ensemble du paysage. En forme de tipu, cette broche typiquement précolombienne, elles sont recouvertes aujourd’hui par une verte pelouse où paissent quelques camélidés andins. Colossales, les constructions sont faites uniquement d’adobe, un mélange de boue et de paille. Rien à voir avec celles des grandes civilisations du continent qui, pour construire leurs temples, ont préféré déplacer des mégalithes. S’agit-il d’un site stratégique et militaire ou plutôt d’un sanctuaire religieux ? Les archéologues se perdent en conjectures. Cochasqui est avant tout un observatoire astronomique extraordinaire. Les prêtres d’une civilisation bien antérieure à celle des Incas, les Quitu-Caras, étudiaient ici par un ingénieux système de cannelures, le Soleil, la Lune, les étoiles et quantité d’autres astres dont on a peut-être perdu la trace… La précision avec laquelle ces pyramides ont été élevées sur la ligne imaginaire qui départage la Terre en deux hémisphères égaux, n’a par ailleurs pas fini d’épater les chercheurs. Leur construction a eu lieu près d’un millénaire avant l’expédition scientifique française de 1736. Celle-ci, qui avait pour mission de mesurer l’emplacement exact de l’équateur, s’était trompée dans ses calculs de plusieurs kilomètres…

Les jours d’équinoxe, du sommet des pyramides, les rayons apparaissent comme par magie exactement derrière les cimes enneigées du volcan Cayambe dont le nom signifie d’ailleurs dans la langue disparue la  » Montagne sacrée du Soleil « . Le soir, l’astre disparaissait après avoir parcouru l’Inti Nan ou  » Chemin sacré du Soleil « . Ce tracé imaginaire, connu depuis la plus haute Antiquité, devait donner son nom à l’actuelle république, sise à cheval sur la  » Moitié du monde  » : l’Equateur.

Reportage texte et photos : Marc Fasol / Planet Pictures

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