Donner naissance à un paysage alpin à partir d’un banal terrain trop pentu, tel est le pari fou relevé avec panache par Henri Peeters. Visite guidée.

Au début des années 1970, Henri Peeters a dû faire preuve d’une solide dose d’imagination pour concevoir le jardin en bas duquel il a construit sa maison. C’est en feuilletant un numéro spécial du magazine français  » Mon Jardin & Ma Maison » que l’inspiration lui est venue. La photo de couverture présentait un jardin très original où une rivière semblait descendre une vallée dont le lit était littéralement envahi de plantes.

 » J’ai tout de suite été séduit par ce concept, explique Henri Peeters. Je n’ai d’ailleurs pas hésité un seul instant à écrire au magazine pour obtenir les coordonnées du propriétaire du jardin afin de découvrir en personne l’endroit qui m’inspirait tant. Malheureusement, il s’agissait d’un reportage acheté et la rédaction était incapable de remonter la filière jusqu’au propriétaire du jardin.  » Quelques années plus tard, alors qu’il est à la recherche d’un terrain à bâtir dans le Brabant wallon, Henri Peeters se laisse subjuguer par le charme d’une parcelle pentue située à proximité du centre d’un village, une situation idéale pour un médecin généraliste.  » Au départ, j’ai effectué mes premières plantations en observant les conseils du jardinier de mes parents, raconte Henri Peeters. Je voulais des arbustes, petits et grands, ainsi que des résineux de petite taille, surtout des conifères de rocailles. A ma plus grande surprise, la majorité d’entre eux ont pris des proportions impressionnantes. Fort heureusement quelques-uns sont devenus magnifiques comme, par exemple, le Parrotia persica. « 

On affirme souvent qu’un vrai jardinier réalise plusieurs jardins dans sa vie. Celui de la force de l’âge ne ressemble en rien à celui des jeunes années et n’est que l’amorce de celui de l’âge mûr. Un adage qui s’applique pleinement à Henri Peeters. Ses premières expériences avec les conifères témoignent de sa passion naissante pour les plantes alpines. La vallée et sa rivière, elles, ont constitué les bases véritables du jardin actuel. Puis sont venues les plantes des milieux acides qui apprécient la tourbe et les eaux stagnantes.

Mais la nature, qui se moque des projets humains, a tout naturellement mis son grain de sel. Comme les arbustes et les conifères ont grandi à la limite ouest du terrain, ils ont apporté beaucoup d’ombre, offrant des perspectives à un autre monde, celui des fougères et des plantes alpines. Au-delà de leur personnalité et de la beauté de leur floraison, ces dernières aiguillonnent la créativité du maître des lieux. En effet, on peut difficilement envisager de faire pousser ce type de plantes sans reconstituer un écosystème proche du leur, à savoir la rocaille.

 » A cette époque, on pouvait se procurer des têtes de roche chez les carriers pour une bouchée de pain, commente Henri Peeters. Avec l’aide du fermier voisin, nous en avons déplacé un plein camion.  » S’il faut un oeil averti pour déceler la trace de ces travaux d’Hercule, c’est tout simplement parce que ces pierres ont été enfouies jusqu’aux deux tiers de manière à reconstituer le paysage des zones montagneuses.  » C’est Jean-Marie Jurdant, un ancien pépiniériste de la région de Wavre, qui m’a conseillé de réaliser la vallée en polyester plutôt qu’en béton « , précise Henri Peeters. C’est ainsi que ce pépiniériste, devenu pour l’occasion entrepreneur, réalisera les premiers bassins en polyester et l’amorce de la rivière de montagne qui coule sur une cinquantaine de mètres. Depuis, Henri Peeters a naturellement mis la main à la pâte et est devenu un expert en matière de pose de polyester.  » Alors que Jean-Marie Jurdant plaçait la coque en polyester directement sur un lit de sable stabilisé, je prévois d’abord une feuille de roofing qui assure une meilleure étanchéité, souligne-t-il. Ensuite, j’applique au pinceau les couches alternées de fibre de verre et de polyester. « 

Le réseau hydrographique s’agrandit chaque année et de nouvelles extensions figurent au programme. A cet égard, la grande pièce d’eau qui se trouve au sommet de la parcelle est certainement la réalisation la plus impressionnante. Conçue pour accueillir différentes espèces de plantes, elle atteint en certains endroits 1,80 m de profondeur. Entouré d’une végétation luxuriante de plantes vivaces et d’arbustes, cet étang compte une belle sélection de plantes aquatiques comme des nénuphars, des Calla palustris, des Butomus umbellatus ou encore des monocotylédones comme Acorus variegatus. Durant la belle saison, il est animé par un Alocasia, une plante exotique dont les feuilles font penser à de grands éventails dressés au-dessus du niveau de l’eau.

Quel que soit l’angle sous lequel on admire le paysage, ce jardin aquatique ne laisse pas entrevoir la moindre trace des matériaux de synthèse qui constituent son squelette. Il en est de même du circuit de pompage qui, inlassablement, alimente un filet d’eau qui tinte ici et là lorsqu’il rencontre une pierre ou franchit une petite cascade. Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’eau présente toujours une limpidité extaordinaire. Mais ce n’est pas le fruit du hasard: d’une part le courant permanent oxygène l’eau et, d’autre part, les plantes aquatiques remplissent parfaitement leur rôle d’épuration.

Refuge d’un collectionneur doublé d’un amoureux des feuillages, le jardin d’Henri Peeters séduit en toute saison. Dès le réveil de la végétation, les primevères et les plantes à petits bulbes éclosent. Au même moment, les jeunes pousses de fougères affichent des crosses semblables à de véritables pièces d’orfèvrerie. La collection de Rodgersia (pinnata et aesculifolia principalement), elle, présente des hampes florales presque vaporeuses. En observant attentivement le jardin, on décèle, ici et là, de nombreuses plantes alpines, voire même une espèce carnivore. Pour ajouter une petite touche de couleur à l’ensemble, le propriétaire a pensé à planter quelques Delphinium.

Alors que certains jardins s’éteignent dès le début du mois de juillet, celui d’Henri Peeters prend un second souffle. Les Astilbe, généreusement mises en valeur, se déroulent en magnifiques tapis colorés. Sur les plans d’eau, les nénuphars sont à la fête. Mais ce jardin puise principalement sa beauté et son originalité dans la foison de ses feuillages, qu’ils s’agisse de fougères, de plantes vivaces classiques, comme Darmera peltata, de Rodgersia, de Bergenia ou de conifères… Les amateurs d’exotisme apprécieront les trois jeunes pousses de bananier, offertes par un ami du village, qui servent de toile de fond à la floraison rouge sang d’une peuplade de Calla.

Mais Henri Peeters ne s’endort pas sur ses lauriers et pense déjà aux évolutions futures de son jardin:  » Il me faut toujours deux ou trois ans pour mûrir une décision, enchaîne-t-il. Récemment, alors que j’étais juché au sommet d’une échelle pour scier le tronc d’un arbre, j’ai aperçu ma rivière. Ou plutôt je n’ai pas pu la voir distinctement tant les plantes et les arbustes avoisinants se sont étoffés. Je pense donc à la mettre mieux en valeur en éclaircissant la végétation. Mais, pour un collectionneur comme moi, ces décisions sont toujours difficiles à prendre. En effet, cela fait parfois mal au coeur de supprimer des plantes que l’on a cultivées avec amour. « 

La vie d’un  » accumulateur  » de belles plantes comme Henri Peeters est parsemée de rêves et de regrets. Sans doute souhaiterait-il un terrain un peu plus grand pour y construire une serre pour les semis et l’hivernage de certaines plantes.  » Mais, surtout, j’aspire à posséder quelques hectares en France où je pourrais planter des arbres, des arbustes et quelques plantes vivaces pour que l’entretien reste accessible à un homme seul « , confie cet éternel amoureux de la nature.

Texte et photos: Jean-Pierre Gabriel

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