Notes de cours sur iPad et flirts sur appli : les 15-25 ans redéfinissent les règles de la vie en société. Mondialisés, pas individualistes pour un sou, créatifs mais également opportunistes et narcissiques, ils ne sont pas à un paradoxe près.

A l’âge de 16 ans, George Stewart-Lockhart, un lycéen londonien passionné de street art, décide de monter sa propre galerie en ligne. Il trouve le format des blogs trop limité, et apprend seul dans son coin les rudiments du langage HTML, par le biais de tutoriaux sur YouTube. Aujourd’hui, il a 21 ans, est étudiant en histoire de l’art au Courtauld Institute, à Londres, et il est également commissaire d’expos. A ses heures perdues, il travaille au label de musique qu’il a monté en solo.

Ce workaholic en culottes courtes est l’une des figures de proue de la  » génération Z « . Ces jeunes nés entre 1990 et 2000 sont les petits frères des  » genY  » ou  » millennials « . Ils ont hérité de l’esprit d’entrepreneuriat, de la mobilité et de l’hyperconnectivité de ces derniers, mais ils les poussent encore plus loin. Sur les plans professionnel, social et amoureux, ils vivent une symbiose parfaite entre la vie réelle et le monde numérique. Podcasts de cours d’université, devoirs sur réseaux, rencontres amoureuses sur appli, tout est à portée d’écran. Mais est-ce plus simple pour autant ? Pas certain. Cette jeunesse grandit préoccupée.

PLUS DÉBROUILLARDS

En toile de fond : la crise et le manque de stabilité à tout point de vue. Son quotidien est complexe et rend donc inéluctable la nouvelle quête de communautarisme et de partage, guidée par une surconsommation (et surproduction) visuelle et numérique. Ces nouvelles manières d’être sont le fruit d’un double séisme survenu dans la première décennie du XXIe siècle. Le krach boursier de 2008, d’abord : alors que les bambins sont en primaire ou en secondaire, cet événement traumatisant leur révèle une société où tout rêve de réussite traditionnelle et de parcours classique s’écroule soudainement. Dans le même temps, la facilité d’accès à Internet et la démocratisation des téléphones portables et des smartphones redéfinissent les moyens de communication les plus fondamentaux, et s’immiscent dans la vie quotidienne scolaire tout en offrant de nouvelles perspectives d’expression personnelle – et de carrière.  » On va à l’école pour assurer ses arrières, mais franchement, c’est d’un autre temps, on n’y croit pas trop. Même les profs ont arrêté de nous promettre des CDI. On sait que le vrai boulot, c’est nous qui le trouverons ou, plus probablement, le créerons « , explique Anastasiya Mozgovaya, 21 ans, étudiante en journalisme à Kiev (Ukraine). En parallèle, la jeune fille participe à l’organisation de la Fashion Week locale, écrit pour des blogs de mode, alimente ses divers réseaux sociaux. Comme beaucoup de jeunes, elle est d’avis que les contacts, la débrouillardise et les bonnes idées la mèneront plus loin que les bonnes notes.

Système D, version 2014 donc : voici une génération qui pousse les outils donnés à leur maximum, crée de l’art numérique à partir de plates-formes Pinterest, lance des galeries et magazines en ligne, souvent fondés sur des sites de financement comme Kiss Kiss Bank Bank, et se fait des amis aux quatre coins du monde, souvent sans les connaître en chair et en os.  » Le rêve d’amasser une grosse fortune a disparu ; on a retrouvé quelque chose de plus essentiel, de plus collectif et passionné dans les milieux créatifs, explique George Stewart-Lockhart. Le boomerang positif de la culture du travail gratuit et du stagiaire éternel, c’est que des jeunes artistes et commissaires sont prêts à travailler pour très peu. Ils vivent souvent encore chez leurs parents, ce qui aide.  » Olga Itiguilova, bookeuse dans une agence de mannequins parisienne et mère d’une fille de 20 ans, observe une grande professionnalisation de la jeunesse, qu’elle constate aussi dans son entreprise.  » Les filles avec qui je travaille sont endurcies, averties, elles bossent dur. Les années de la fête toute la nuit sont finies, elles se couchent tôt, savent que les chances de réussir sont réduites « , explique-t-elle.

LE RÈGNE DU PEUT-ÊTRE

La caractéristique commune à cette  » gen Z  » ?  » Aujourd’hui, tout le monde a la possibilité de devenir connu, d’une façon ou d’une autre. Et, pour ce faire, il faut savoir développer son image professionnelle et assurer le marketing de soi-même.  » Cette maturité apparente est en opposition avec un autre de ses traits de caractère : l’adulescence perpétuelle. Celle-ci se traduit notamment par  » une connexion permanente, du matin au soir, dans un état de coup de fil géant aux amis, affichant un narcissisme permis par l’omniprésence de la photographie « , ajoute Olga Itiguilova. Effectivement, selon Anastasiya Mozgovaya, on est face à une culture de séduction non-stop :  » On est toujours conscient d’être vu, on se prend en photo en permanence  » – ce qui débouche sur une confusion entre l’intérieur et l’extérieur, le Web et la vraie vie, les rencontres dans un bar et Tinder (l’appli de rencontres très en vogue, qui permet, en un clic, de surfer sur des centaines de profils dans son emplacement géographique).  » Contrairement aux générations précédentes, qui ont opté pour l’originalité, ces jeunes-là se doivent de paraître aimés par un maximum de gens. Etre populaire est une donnée cruciale. L’accumulation de conquêtes (qui restent souvent virtuelles) devient un mode d’exhibition de cette réussite, et non pas une quête romantique « , analyse le sociologue des modes et tendances Pascal Monfort. Quant à la vie amicale et sociale, pour George Stewart-Lockhart, elle est empreinte de la culture du maybe (inspiré du mode de réponse à une invitation à un événement sur Facebook en choisissant l’option  » peut-être « ).  » On est connecté en permanence, très opportuniste, archiconsommateur et peu fidèle. Les gens sont de moins en moins fiables, décommandent à la dernière minute.  » Une culture Z en ébullition, dont le mode de vie ultra-instantané masque mal les enjeux d’un avenir pas vraiment rose. Et ça, les jeunes Z le savent bien parce qu’ils sont lucides, plus encore que leurs aînés. On se demande alors ce qui attend les suivants, nés entre 2000 et 2010 : la  » génération A « …

PAR ALICE PFEIFFER

 » On va à l’école pour assurer ses arrières, mais franchement, c’est d’un autre temps.  »

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