Enfants, les cols de nos vêtements étaient surpiqués de notre nom, histoire de ne rien perdre à l’école. Aujourd’hui, notre patronyme se retrouve partout, du pot de choco au sac à main en passant par les lunettes de soleil. A l’heure où tout le monde tend à se ressembler, chacun essaye de se distinguer. Paradoxe égocentrique en vue…

On choisit le modèle, puis la matière de la semelle, la couleur de la toile, celle des lacets. Qu’importe si toutes nos copines ont des runnings aux pieds, on en aura une paire unique et rien qu’à nous. Le détail qui tue : notre nom brodé à l’arrière de la chaussure. Un coup de génie ! Mais Nike n’est pas le seul à l’avoir eue, cette idée. Inscrire son patronyme ou ses initiales sur à peu près tout ce qui se porte est à la mode. Sacs à main, bijoux, chemises… Qu’on s’appelle Stéphanie, Marcelle ou Cara, on veut le crier à la Terre entière.

Ce sont pourtant des produits alimentaires comme Coca-Cola, Nutella ou M&M’s qui se sont pris les premiers au jeu du  » je « . Impossible de rater la dernière campagne pour le célèbre soda, l’été dernier, avec 3 000 prénoms imprimés sur les bouteilles de 50 cl et la possibilité de commander la sienne sur Internet. Près de 120 000 quidams ont fait la queue pour recevoir une cannette exclusive. Résultat ? Des ventes en croissance de 14,8 % et près d’un tiers de popularité en plus. Chez Nutella également, c’est surtout la popularité – appelée  » engagement  » dans le jargon – de la fameuse pâte à tartiner qui a augmenté. En tout, trois millions d’étiquettes nominatives ont été distribuées entre mi-novembre et la fin de l’année 2014.  » L’objectif était de renforcer le lien avec le consommateur, explique Benoit Cardinael, marketing manager pour Nutella Benelux. Avec les réseaux sociaux, la communication devient beaucoup plus individuelle.  »

DISCUTER POUR SÉDUIRE

 » Les consommateurs ont l’habitude que les marques se focalisent sur eux, analyse Yves Van Landeghem, directeur de la stratégie auprès de l’agence de publicité Saatchi & Saatchi à Bruxelles. Google adapte ainsi ses annonces aux recherches que l’on effectue et propose une météo qui concorde avec le voyage qu’on planifie le mois prochain… C’est Amazon qui avait commencé cela dans les années 90, avec son « Hello Yves » lorsqu’on visitait le site. Les labels donnent aujourd’hui le sentiment à tout un chacun d’être au centre de l’attention.  » Et cette tactique leur permet de se rapprocher davantage des gens.  » En pub et marketing, la grande tendance du moment est de dialoguer avec la cible « , explique Koenraad Lefever, directeur créatif à l’agence Duval Guillaume. Et l’apparition des réseaux sociaux a rendu cette forme de communication beaucoup plus facile.  » En réalité, les grands labels sont presque obligés de « discuter » avec leur public pour attirer le regard « , continue le spécialiste pour qui inscrire son prénom sur une bouteille de Coca ou sur son nouveau it bag constitue un excellent moyen d’enclencher un dialogue.  » Automatiquement, on va prendre un selfie avec le produit et le partager sur le Web. Ensuite, c’est de la publicité gratuite.  » Sans aucun doute, l’activation de ces campagnes sur les réseaux sociaux est une réussite. Pour Coca-Cola, cela se solde par quelque 9 000 fans belges en plus sur Facebook et une explosion (+ 229 %) du nombre de followers sur Instagram.

COHÉRENCE DE RIGUEUR

Chez Louis Vuitton, les commandes spéciales sont légion depuis la fondation de la maroquinerie, en 1854. Un service haut de gamme qui a été remis au goût du jour : depuis 2008, le malletier suggère d’apposer les initiales du propriétaire sur certains de ses modèles iconiques. Le client choisit trois lettres au maximum, ajoute une bande de la couleur de son choix et ce sac  » unique et exclusif  » lui est livré huit semaines plus tard.  » Les vêtements et les accessoires de mode sont différents des autres produits parce qu’on les porte sur soi, relève Yves Van Landeghem. Ils sont par définition plus proches de nous.  » Y greffer son patronyme est donc aussi une manière de se les approprier.  » C’est comme un « statement », poursuit-il. En arborant l’objet, je déclare à tout le monde qu’il m’appartient.  »

Pour l’automne-hiver 14-15, Burberry Prorsum, star incontestée du marketing connecté, a de son côté imaginé toute une série de produits à customiser, notamment une cape au célèbre motif tartan. Kate Moss, Cara Delevingne, Alexa Chung… Les fashionistas se l’arrachent. On peut aussi individualiser le flacon du nouveau parfum, baptisé – il n’y a pas de hasard – My Burberry. Pour la fête des mères, une édition spéciale a même été lancée, avec possibilité d’y graver le mot  » Mum « , par exemple.

Le sac Pliage de Longchamp, un maillot de bain J. Crew, le sac 2 Jours de Fendi… Même Ray-Ban propose de personnaliser certaines montures et ses étuis. Autant de pièces auxquelles on s’identifie et qui représentent celui qui les possède.  » En notant son nom sur l’objet, on partage aussi une partie de soi « , note Yves Van Landeghem. Voilà pourquoi on est ensuite fier de l’afficher, que ce soit en rue ou sur la Toile. En posant avec son achat sur une photo par exemple, on cultive son statut de célébrité.

Mais seuls les labels déjà solides peuvent miser sur une telle stratégie.  » Pour que cela fonctionne et que j’aie envie de partager une part de moi-même avec tel ou tel produit, la marque doit avoir de la valeur « , note encore le publicitaire. Le consommateur n’aura en effet probablement pas envie de placarder son nom sur un vêtement has-been ou un accessoire qui ne suscite pas le désir. Koenraad Lefever va dans le même sens :  » Il faut qu’il y ait des points communs entre la griffe et le public visé. Tout doit être cohérent.  » Aujourd’hui les moyens techniques et logistiques facilitent la mise en place d’un marketing de ce type. Les réseaux sociaux offrent un formidable relai pour un impact décuplé. Mais cette méthode est réservée aux marques fortes. La situation peut en effet rapidement tourner au vinaigre si cela n’est pas savamment orchestré. Un scandale sur la fabrication du produit ou l’éthique de l’entreprise éclate et la belle mécanique se grippe.  » Cela reste compliqué et très coûteux. Il faut être ambitieux pour se lancer dans cette aventure « , confirme le directeur de la stratégie de Saatchi & Saatchi.

COMMUN MAIS UNIQUE

Reste un paradoxe : pourquoi avoir envie d’un accessoire archi connu tout en voulant le rendre unique ? Parce que la personnalisation d’un produit célèbre permet simultanément d’appartenir à une communauté et de se distinguer, répondent les experts. Pour Koenraad Lefever,  » les très grandes griffes donnent ainsi l’impression d’écouter leur public. Cet élément crée une énergie très intéressante qui amène les « fans » à s’afficher avec leur produit personnalisé.  » Un peu comme quand une star invite une groupie sur scène, c’est une flatterie, un éloge de l’ego.

Qui dit ego, dit aussi autodérision. Le phénomène a été ainsi habilement détourné plusieurs fois. On se souvient du sac et du tee-shirt  » Karl Who ?  » ( » Karl qui ? « ), lancé par le créateur Naco Paris, que la Terre entière s’arrachait en 2010 déjà. Karl Lagerfeld lui-même avait trouvé l’idée si géniale qu’il s’était laissé photographier avec le fameux cabas en toile. Son concurrent Marc Jacobs aurait même été vu avec la même inscription. Plus récemment, Heidi Klum a fait le buzz en publiant un cliché sur lequel elle porte un tee-shirt  » I’m not Heidi Klum  » ( » Je ne suis pas Heidi Klum « ). Une belle manière de répondre à une vague de critiques de ses fans, mais aussi d’ironiser sur cet egotrip parfois prétentieux.  » Notre vie est faite de routine et la pub essaie de transformer l’ordinaire en extraordinaire. Même si tout le monde sait que c’est un stratagème, il rend le quotidien un peu plus spécial « , conclut Yves Van Landeghem.

PAR MARIE DOSQUET

 » Les très grandes griffes donnent l’impression d’écouter leur public.  »

 » En notant son nom sur l’objet, on partage aussi une partie de soi.  »

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