Lorsque l’atypique ministre des Arts et Lettres Richard Miller rencontre l’imprévisible comédien Daniel Prévost, l’inattendu coule évidemment de source. Alors, ça passe ou ça casse?

La facette la plus connue de Daniel Prévost est probablement cet éclat de rire indescriptible et délicieusement communicatif qui secoue l’écran à chacune de ses apparitions télévisées. Comédien prolifique et singulier, l’homme aime également s’aventurer dans l’exercice littéraire où l’autodérision est souvent désignée reine. Dans  » Eloge du moi « , son dernier roman en date, le culte de la personnalité est audacieusement porté à son paroxysme. L’antihéros y campe, en effet, un écrivain de génie qui se vénère tant qu’il s’envoie des lettres d’admiration dans l’espoir de se rencontrer! Un sujet en or pour un homme politique? Sans doute. C’est donc avec un certain plaisir non dissimulé que Weekend Le Vif/L’Express a transmis cet  » Eloge du moi  » au ministre Richard Miller, en guise de préambule à une rencontre bruxelloise entre les deux protagonistes. Coup de projecteur sur un entretien franchement décontracté…

Daniel Prévost : Monsieur le ministre, à vous l’honneur!

Richard Miller : Vous devez savoir que je suis ministre depuis peu de temps. Je le suis depuis un peu plus d’un an. Alors, je vous connais évidemment comme acteur. Et je viens de vous découvrir comme auteur. Je vais vous dire la vérité…

D.P. : Je vous en prie!

R.M. : Puisqu’on est là pour dire la vérité. Pour un ministre, c’est normal ( rires)!

D.P. : Bien sûr, c’est la vérité du ministre!

R.M. : J’ai reçu le livre il y a quelques jours, je suis entré dedans et j’ai vraiment bien aimé. Je ne l’ai pas encore achevé parce que…

D.P. : Achevé ou acheté ( rires)?

R.M. : Je ne l’ai ni acheté ni achevé mais je compte l’achever.

D.P. : Très bien!

R.M. : Mais j’ai vraiment aimé. Parce qu’il y a des éléments très drôles qui m’ont vraiment fait rire. Et puis, il y a l’atmosphère et le sérieux du sujet. Votre roman est d’autant plus intéressant que vous complexifiez l’identification de l’auteur à un personnage. Avec  » Eloge du moi « , ce moi qui doit être celui de Daniel Prévost nous échappe complètement. Il y a moi et moi. Et comme vous l’écrivez très bien à un moment donné, ce n’est pas la fameuse expression  » Je est un autre  » mais  » Je suis un autre « …

D.P. : Vous avez mis le doigt sur quelque chose de très important. Vous savez bien que je suis un petit peu destructeur et provocateur. Mais je provoque sur des formules qui nous sont rabâchées et qui me semblent nous bloquer complètement.  » Je est un autre  » : arrêtons! Et j’ai d’autres exemples comme cela. Je m’amuse parce que je n’aime pas que l’on m’inculque des formules. C’est ça qui me navre. Nous sommes des artistes. Bon, vous êtes ministre mais vous êtes un artiste. Comme lui, le journaliste, c’est un artiste! On est tous des artistes. Mais toutes ces formules qu’on nous rabâche me semblent faire un vrai blocus. Et que font les gens? Ils répercutent cela de génération en génération. Moi, j’avance. Je suis une personne de bonne volonté. Qu’on avance! Parce que si vous gardez un discours figé, vous êtes foutu. C’est comme les plans de carrière. Si vous avez un plan de carrière, vous êtes mort!

R.M. : C’est intéressant ce que vous dites parce que j’ai dû préparer récemment un dossier sur des attributions de subsides. Vous connaissez sans doute les responsabilités d’un ministre de la Culture. J’ai été confronté à cette demande :  » Comment peut-on faire une carrière de peintre ou d’écrivain?  » Et cela m’a immédiatement contrarié parce que je trouve que le terme carrière ne convient pas. Lorsqu’on est artiste, on doit avant tout être porté par quelque chose qui fait qu’on ose passer à l’acte. Il doit y avoir cette dimension perturbante dans la création artistique.

D.P. : Absolument! Je ne vous connaissais pas avant cette rencontre, mais on m’a fait parvenir quelques nouvelles que vous avez écrites. Je ne connais pas du tout votre carrière mais, franchement, j’ai bien aimé ces nouvelles. J’ai même dit à mon attachée de presse :  » Tiens, et si on les éditait au Cherche Midi? » ( rires).

R.M. : C’est gentil!

D.P. : Non, parce que je trouve ça vraiment très intéressant et assez surprenant. Je ne parle pas du style parce que cela ne m’intéresse pas. Je parle de ce que vous racontez. Cette histoire de type qui cherche partout dans le monde des personnes qui portent le même nom que lui, c’est très bien vu! Ça, c’est l’idée. Après, on en fait ce qu’on veut. Mais en avez-vous écrit d’autres?

R.M. : J’ai déjà écrit un recueil de nouvelles qui a été publié. Toute ma vie, j’ai voulu écrire un grand roman mais, malheureusement, le rythme professionnel et la carrière politique ont fait que je n’ai jamais pu avoir l’espace nécessaire pour me plonger vraiment dans cette écriture. C’est un travail très très dur! En fait, j’ai commencé à écrire au cours d’une réunion où je m’embêtais. J’étais en bout de table. J’ai écrit une nouvelle. C’est venu comme ça. Tout d’un coup, je me suis rendu compte que j’avais cette possibilité plus temporelle de pouvoir raconter des histoires. Depuis lors, je suis devenu quelqu’un qui vit avec les mots. Mais vous, vous jouez fabuleusement bien avec les mots. Cette première personne qui devient troisième personne, ce singulier qui devient pluriel… Dans  » Eloge du moi « , c’est un travail d’écriture extrêmement intéressant…

D.P. : Mais attendez! Vous avez dit quelque chose qui est un peu triste :  » J’ai toujours rêvé de faire un grand roman « . Mais vous allez le faire votre grand roman! Je vais vous remonter le moral ( éclats de rire)!

R.M. : Merci! Je suis content d’être venu. Vous êtes le premier à être gentil avec moi depuis tellement longtemps ( rires)!

D.P. : Je vais vous dire pourquoi vous allez faire votre roman. Là, vous êtes un peu dans le cas d’un cinéaste qui a fait quelques courts-métrages et qui va passer au long-métrage. Si je peux me permettre, vous êtes en plein dedans! Or, le phénomène est le suivant : il y a institutionalisation de la littérature. Cela veut dire qu’il y a énormément de gens qui voudraient écrire leur histoire parce que cela leur ferait du bien d’en parler et qui sont totalement bloqués par cette sacralisation de la littérature. Moi, je rappelle régulièrement la parole de Jacques Prévert. A quelqu’un qui lui demandait comment faut-il faire pour écrire, Prévert a répondu :  » Il ne faut pas se dégonfler « . Bien sûr, on a tous nos inhibitions. Mais il faut tout déverrouiller. Moi, je pousse les gens à écrire. Après tout, que risque-t-on? Rien du tout. On est face à face avec soi-même. On n’a pas à se juger. Mais quel plaisir on aura à sortir tout ça!

R.M. : Moi, je me suis rendu compte, en écrivant, que l’auteur est dans chacun de ses personnages. Cela m’a vraiment impressionné. Il m’est même arrivé de pleurer en écrivant parce que je souffrais pour un personnage…

D.P. : Mais bien sûr! Tout ce que nous écrivons est autobiographique. Tout! Même si nous nous retranchons derrière des personnages que nous croyons avoir inventés. On n’a rien inventé! On a peut-être conceptualisé, mais quand on met une parole dans la bouche d’un personnage, c’est d’abord par notre bouche qu’elle passe. Ensuite, il y a la main…

R.M. : Mais j’avais une question à vous poser au sujet de l’écriture. Je pense être quelqu’un d’assez marrant. J’aime beaucoup rigoler et les gens trouvent d’ailleurs que je suis doué pour raconter des blagues. Et pourtant, je ne suis jamais arrivé à écrire quelque chose de comique. Dès que j’écris, je suis dans une dimension que j’appellerais dramatique. Et vous, vous me fascinez parce que, en vous lisant, j’ai vraiment beaucoup rigolé. Je trouve aussi qu’il y a vraiment très peu de romans comiques dans toute la littérature mondiale. Est-ce parce que c’est difficile en soi ou est-ce parce que le roman comique est considéré comme un art mineur?

D.P. : Je vous répondrai d’abord sur votre première remarque, à savoir votre difficulté à écrire quelque chose de drôle. La réponse qui me vient à l’esprit, c’est que, d’une certaine façon, vous n’avez pas envie de le faire. Vous avez la possibilité de le faire puisque vous dites que vous racontez vos blagues. Alors, écrivez vos blagues! Vous n’avez pas envie de le faire! La deuxième chose, c’est que pour  » Eloge du moi  » que vous citez souvent, abondamment, merci ( éclats de rire)…

R.M. : Chacun son métier ( rires)!

D.P. : Sérieusement, je me suis beaucoup amusé à l’écrire. Je ne me suis jamais forcé. Alors, vous me dites que vous êtes quelqu’un de drôle. Je veux bien le croire. Je peux bien le percevoir. Vous voulez écrire quelque chose de drôle, mais le problème, c’est que vous êtes en train de vous retrancher derrière votre sérieux. Si je peux me permettre! Mais le jour où vous vous direz :  » Mais j’ai aussi cette partie-là en moi! « , alors je pense que vous écrirez quelque chose de drôle. D’ailleurs, dans l’une de vos nouvelles, vous n’êtes pas loin. Mais vous vous êtes vite arrêté…

R.M. : Dangereux pour un ministre ( rires)!

D.P. : Mais vous ne serez pas ministre toute votre vie! Moi, je considère que c’est encore une inhibition culturelle. Alors, pour venir enfin à la deuxième question, je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous quand vous dites que le roman comique est considéré comme un art mineur. Parce qu’il existe des grands écrivains drôles. Mais le problème, c’est que, quoi qu’on dise, ce n’est pas le genre comique qui fera passer une idée. C’est dans un livre sérieux qu’on fera mieux passer une idée.

R.M. : Vous savez, moi j’écris des nouvelles parce que je me cherche quelque part, au point de vue humain aussi. C’est vrai qu’il y a, chez l’homme politique, un intérêt pour le pouvoir. Pas simplement pour en tirer les avantages, mais parce qu’on a envie, en soi, d’orienter les choses. Et je ne connais pas un seul de mes collègues qui n’ait pas cette volonté. Et qu’on ne le prenne pas mal! Ce n’est pas le fait de vouloir être le maître absolu. On s’intéresse simplement à une matière ou à une problématique et on considère que l’on a une vérité à apporter. Je veux même bien aller jusqu’à dire que l’on considère que l’on a peut-être la solution! Celui qui n’a pas cela en lui ne fait pas de politique.

D.P. : Moi, je ne suis pas un homme de pouvoir. Je veux dire par là que je ne souhaiterais pas arriver, avec un cheminement militant, à avoir un poste de pouvoir. Ce n’est pas mon truc à moi. Je pense qu’un artiste n’a pas à s’immiscer dans le côté politique de la chose. Attention, cela ne veut pas dire ne pas avoir d’idées! Mais je n’ai pas envie d’être chef de file. Quand je balance des idées, je le fais dans mes livres. En revanche, il est clair que je m’intéresse beaucoup à la politique car je suis citoyen. Et je vote!

R.M. : Mais il y a aussi une dimension publique chez l’homme politique qui me séduit très fort. C’est clair. Il y a la dimension de la parole aussi. Vous devez savoir, Monsieur Prévost, que j’ai longtemps travaillé dans l’ombre en politique. J’ai longtemps été collaborateur de parti. Ce n’est que depuis environ deux ans que je suis vraiment entré sur la scène politique active. Et je me suis découvert une chose que je ne me connaissais pas : je me défends très bien à une tribune! Donc je ne vais pas dire qu’il y a une dimension de comédien mais il y a une satisfaction d’être là face à tout le monde et de sentir tout d’un coup que le discours prend. Cela dit, j’ai eu une expérience théâtrale. C’était à l’âge de 7 ans et je jouais le rôle d’un ange dans  » Le Concile d’amour « . Une pièce terrible sur l’invention de la syphilis par Dieu! C’était un peu spécial, mais ma carrière théâtrale n’a pas été beaucoup plus loin ( rires)…

D.P. : On ne peut pas reprocher le concept d’oralité chez un homme politique. Il est évident que la politique, c’est la parole! Et je comprends que l’on puisse, sans être comédien, prendre du plaisir à lire son discours et voir les gens plus ou moins vibrer. C’est normal! C’est pareil pour un type qui se lève pour lire son texte dans un repas de communion.

R.M. : Mais pour un comédien tel que vous, cela doit être extraordinaire de sentir vibrer tout un public sur scène…

D.P. : Oui. J’ai beaucoup de jubilation à jouer un personnage, au théâtre et au cinéma. Je ne suis pas un comédien blasé. J’adore jouer la comédie et j’adore me promener à l’intérieur d’un texte. C’est vrai que j’ai eu quelques moments fabuleux dans ma vie. Je vais vous donner juste un petit exemple personnel parce que cela n’a pas grand intérêt, mais j’ai joué  » L’Avare  » dans les arènes de Vaison-la-Romaine. Il y avait 1 300 personnes et c’était extraordinaire. Quand les gens applaudissent dans un endroit pareil, c’est un moment magique! On peut peut-être aussi parler à cet instant d’une espèce de pouvoir. Mais c’est plutôt une question de magnétisme ou de fluide. On est là et on les tient. Dans une salle pleine, je peux faire porter le fou rire jusqu’à l’incandescence! Et c’est la vérité! Je ne suis pas en train de vous mentir. Je l’ai fait! C’est une force mais, attention, j’ai aussi mes petites faiblesses ( sourire). Entre parenthèses, vous savez que je reviens prochainement sur scène à Bruxelles. Je vous y invite!

R.M. : Et le ministre viendra ( rires)!

D.P. : Avec grand plaisir!

Propos recueillis par Frédéric Brébant Photos : Jean-Michel Clajot/REPORTERS

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