Sur les podiums, au cinéma… les clones des icônes des sixties sont partout. La faute à la crise mais aussi au côté éphémère des modèles alternatifs proposés par une société de l’image de plus en plus frénétique. Décryptage.

Il ne faudra que quelques secondes pour deviner que l’histoire se passe à Saint-Tropez : la faute, sans doute, à la caméra baladeuse qui capture les ruelles du vieux port et la terrasse habillée de rouge de Sénéquier, mais surtout à la silhouette longiligne d’une blonde solaire qui s’échappe de la plage où elle bronzait à peine vêtue pour courir danser sur les tables entourées de beaux gosses gominés. Si le pitch de la campagne publicitaire des deux nouvelles fragrances Dior Addict a comme un petit air de déjà-vu, c’est que le fantôme langoureux d’une Brigitte Bardot au sommet de son art de la séduction y flotte à chaque plan. Les deux jus, pourtant, s’adressent à de toutes jeunes filles au seuil de l’âge adulte qui n’ont certainement jamais vu le film de Roger Vadim, Et Dieu… créa la femme, auquel le spot léché de Jonas Akerlund multiplie les références appuyées.

Plus de cinquante ans après l’âge d’or de  » B.B. « , le mythe de la sauvageonne libérée qu’elle incarna mieux que personne n’a rien perdu de son aura. Et cette icône sixties est loin d’être la seule à générer des clones sur les podiums comme sur les tapis rouges. Difficile en effet de ne pas voir de clin d’£il à Twiggy ou à Jean Seberg dans les coupes courtes de Carey Mulligan ou d’Emma Watson. Et de ne pas entrevoir l’ombre d’Audrey Hepburn et de Jackie Kennedy dans les manières néo-policées d’une Carla Bruni-Sarkozy arborant gants blancs et bibi.  » Les années 60, c’était l’insouciance, la joie, se souvient Olivier Echaudemaison, directeur créatif des maquillages Guerlain (1). Il est évident que les jeunes femmes d’aujourd’hui qui s’inspirent de ces figures mythiques n’ont vu que des photos de cette période et n’en ont aucun souvenir concret. On leur vend de l’imaginaire rassurant qui fait rêver. La faute à la crise sans doute qui n’encourage pas la prise de risque. « 

Car si ces femmes emblématiques sont jugées  » rassurantes  » aujourd’hui, c’est que l’on a oublié à quel point elles ont choqué et révolutionné les canons de beauté à l’époque.  » On n’a plus jamais rien vécu de pareil, rappelle l’historienne Anne de Marnhac (2). Twiggy était en rupture totale avec l’idée que l’on se faisait d’une belle femme à la fin des années 50. L’écrivain américain Tom Wolf dit dans un de ses romans que l’idéal féminin de la deuxième moitié du XXe siècle, c’est un garçon avec des seins. Twiggy, c’était ça. Sa minceur extrême n’est acceptable que dans une société d’abondance où l’on choisit ce que l’on mange. Elle ne doit plus non plus envoyer de signes visibles de fécondité – hanches rondes, seins voluptueux… – puisqu’elle peut contrôler sa fertilité depuis l’avènement de la pilule. Autant de choses qui nous semblent aller de soi aujourd’hui. « 

Face à ces femmes vraiment libres, les modèles à suivre que nous proposent désormais les industries culturelles paraissent aussi trop formatés et surtout extrêmement volatils.  » Le grand truc de Bardot, c’est qu’elle était naturelle, ce n’était pas du chiqué, insiste Olivier Echaudemaison. Maintenant, les choses n’ont plus le temps de s’installer et plus personne ne sort du lot.  » Si son look de fille sauvage, qui vivait pieds nus et cheveux au vent à La Madrague, a perduré, c’est qu’elle s’est offert le luxe d’y rester fidèle pendant plusieurs années.  » B.B. s’est forgé une réelle identité et n’était pas seulement le portemanteau d’une marque « , ajoute Anne de Marnhac. La subversion toute relative d’une Zahia – photographiée par Karl Lagerfeld – ou d’une Alice Dellal – nouvelle égérie du sac Chanel Boy malgré ou grâce à son crâne à moitié rasé – a à peine le temps de faire parler d’elle qu’elle est immédiatement récupérée et validée par des grands noms de la mode. L’exception devenant trop vite la norme, un look audacieux chasse l’autre au rythme effréné de l’Internet.

 » Le succès de ces égéries est le fruit de la culture de l’image, poursuit Anne de Marnhac. Grâce à la photographie d’abord, au cinéma ensuite, les femmes ont eu accès à d’autres visages que ceux de leur entourage proche. Maintenant, en quelques clics, n’importe quelle fille n’importe où sur la terre a sous la main tous les looks phares d’hier et d’aujourd’hui. Pour rester dans le coup, les stars comme Katy Perry sont forcées de changer tout le temps de style : cheveux roses un jour, bleus trois semaines plus tard. La robe en viande de Lady Gaga a choqué, un peu, et encore, mais qui s’en souviendra dans soixante ans ?  » À l’overdose d’images s’ajoute une offre de produits cosmétiques de plus en plus étendue et surtout de plus en plus spécialisée en fonction de la zone du corps (voire même du visage) visée. Les collections de rouges à lèvres ou de vernis à ongles comptent chaque saison des dizaines de références. Face au trop-plein de propositions, il devient tentant de se tourner vers un modèle de beauté qui semble avoir fait ses preuves.

 » Technologiquement, nous assistons à de petites révolutions, reconnaît Olivier Echaudemaison. Et pas seulement dans le domaine des tablettes et de l’Internet. En matière de maquillage, les nouvelles textures sont formidables. Avant, c’était épais, lourd et compliqué à appliquer, il fallait presque prendre des cours pour y parvenir. Mais malgré cela, il y avait dans les années 60 ce que j’appellerais un culte de la parade qui n’existe plus. La rue était un théâtre permanent. On sortait pour se montrer. Les jeunes maintenant restent vissés derrière leur écran d’ordinateur. Ils n’ont plus besoin de s’habiller, de s’exposer. Et quand les étudiants sortent, en France, c’est pour manifester pour leurs retraites alors qu’ils n’ont même pas commencé à travailler. Ils doivent être terriblement tristes et angoissés pour en arriver là. « 

Tout comme il faut avoir assez à manger pour rêver d’être maigre, le négligé vestimentaire ne sied pas non plus à la crise, ce qui permettrait d’expliquer, en partie, le retour de la bourgeoise à la Mad Men incarné dans sa version la plus stylée par Jackie Kennedy et revisité cet été par Marc Jacobs chez Louis Vuitton.  » On ne joue pas à la gitane lorsque les temps sont durs, constate Anne de Marnhac. En remettant un certain chic au goût du jour, on convoque le mythe d’une croissance qui n’existe plus. Les codes esthétiques des Trente Glorieuses ne sont que les ersatz d’une époque révolue. L’élégance extrême érige l’accessoire – gants, chapeau, escarpins, maquillage soigné… – en religion. Même si l’on ne peut s’offrir qu’un vernis à ongle ou un eye-liner on peut avoir l’air, à peu de frais, d’une femme qui a les moyens.  » Mais au prix de quels efforts, la tyrannie du look rétro pouvant s’avérer terriblement angoissante…

 » Pour être créatif, il ne faudrait jamais regarder en arrière, conclut Olivier Echaudemaison. Prenez la Chine, prenez l’Inde, personne ne fantasme là-bas sur les années 60. Nos golden sixties, c’étaient leurs années de plomb !  » De ce nouveau métissage naîtra peut-être la révolution beauté tant espérée du XXIe siècle…

(1) A signé Les couleurs de ma vie suivi d’un abécédaire de la beauté, Editions Le Cherche Midi.

(2) Auteure de Beauté – Histoire, florilège & astuces,

Editions de la Martinière.

PAR ISABELLE WILLOT

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