Pour gagner la vallée de l’Omo, en descendant plein sud d’Addis-Abeba, il faut d’abord traverser la steppe plantée d’acacias qui annonce l’entrée dans le rift. Le long de cette gigantesque faille, sept magnifiques et mystérieuses étendues d’eau offrent tout simplement un spectacle naturel grandiose. Etalés sur presque 500 kilomètres, ces lacs ont des couleurs différentes en fonction de leur teneur en minéraux, de la présence de sources sulfureuses, ou encore de leur profondeur. Alimentés par les eaux de pluie et le ruissellement des reliefs voisins, ils hébergent une foule d’oiseaux. Toutefois, à chaque lac ses espèces, ainsi marécages, eaux profondes ou abondance de poissons conditionnent la survie de l’avifaune propre à chaque biotope.

Après Zway, aux rives marécageuses peuplées de hérons, d’ibis et autres martins-pêcheurs, la route mène à Langano. Seul lac du rift éthiopien libre de bilharziose (grave maladie parasitaire causée par les larves d’un ver, la bilharzie), il est envahi le week-end par la foule venue de la capitale. Plus au sud, Awassa abrite la communauté de pêcheurs la plus importante de la région. Un détour au marché aux poissons s’impose. Ici, les prises agonisent à même le sol, avant d’être ouvertes puis dépiautées avec les dents. Les enfants constituent la main-d’£uvre bon marché, en aidant les adultes à replier les filets de pêche, écoper les barques ou encore écailler les poissons. A quelques mètres, les marabouts attendent patiemment leur tour pour nettoyer l’endroit.

Au sud de Langano, aux portes du pays Konso, s’étirent le lac Abaya aux eaux rouge foncé (une couleur due à la présence d’hydroxyde de fer) et le Chamo aux eaux bleu clair. Les deux lacs sont séparés par une mince bande de terre, nommée poétiquement  » le pont du paradis « . Celui-ci conduit dans la savane du parc national de Néchisar, réputé pour ses zèbres de Burchell dont la robe jaune pâle aux larges rayures noires alterne avec des marques plus claires. Des hauteurs d’Arba Minch (Les 40 sources), le village qui jouxte les lacs, on peut assister à de magnifiques levers de soleil sur l’Abaya et ses pêcheurs Gudjis. Dès que les rayons de l’astre du jour inondent la région, vient alors l’heure des crocodiles du Nil. Parmi les plus grands du continent africain, ces dizaines de sauriens se prélassent ici dans une trompeuse indolence qui ne laisse en rien transparaître de leurs formidables capacités physiques. On ne peut alors qu’admirer le courage des pêcheurs qui affrontent le large sur des radeaux affleurants ou encore ceux qui, de la berge, travaillent avec de si fragiles cannes à pêche…

Guerriers de la beauté

Aux alentours du lac Chamo, avant la région du fleuve Omo proprement dite, s’étage le pays Konso. Ce territoire de hautes collines, à 1 500 mètres d’altitude, cultivé depuis des siècles, est découpé en milliers de parcelles agricoles dessinées en terrasses et soigneusement entretenus par les Konsos. L’une de leurs traditions les plus émouvantes et symboliques est sans nul doute l’érection des  » wagas « , littéralement  » quelque chose des grands-pères  » et pierre angulaire du culte des ancêtres. Ces étranges statues de bois de genévrier, l’arbre de Dieu, dont l’origine date de plus de 250 ans, ont en général de 50 cm à 1,50 m de hauteur. Le héros défunt, bras collés au corps et yeux écarquillés, est représenté entouré de sa femme et de ses ennemis tués au combat ou encore des animaux sauvages auxquels il s’est mesuré jadis.

Après le pays Konso, on entre dans une zone sauvage s’étendant jusqu’aux frontières du Soudan et du Kenya. Ici, la savane, les collines et le bush servent de toile de fond à la vie de milliers d’hommes et de femmes parmi les plus beaux d’Ethiopie. Se distinguant par leurs langages, leurs attributs et leurs coutumes, ces hommes et ces femmes ont néanmoins quelques points communs avec les quarante ethnies qui peuplent le cours inférieur de l’Omo, un espace grand comme deux fois la Belgique. L’agro-pastoralisme, contraignant au semi-nomadisme, les met souvent en compétition pour les terres et les points d’eau. Razzias de bétail et ripostes ponctuent alors leur vie ; elles leur permettent généralement de prouver ainsi leur bravoure mais aussi de faire fructifier leur patrimoine économique et trouver une épouse. Ancestrales, ces pratiques déciment néanmoins les rangs de guerriers. Chez certaines ethnies, comme les Mursis, ceux-ci se sacrifient les bras, le torse ou les épaules de signes en fer à cheval lorsqu’ils tuent un ennemi ou abattent un fauve. D’autres ethnies manifestaient jadis leur bravoure en portant, durant un an, une plume d’autruche placée au sommet de la tête dans une coiffure particulière soigneusement réalisée en argile. Une pratique qui, aujourd’hui, rélève uniquement de l’esthétique. Car malgré des conditions de vie difficiles, tous les peuples de l’Omo semblent profiter de chaque occasion pour parader à un grand concours de beauté ! Hommes et femmes de tout âge se montrent alors particulièrement coquets et s’affublent de bracelets en fer, de boucles d’oreille, de colliers de mariage ou encore de perles et labrets. Les corps, eux, sont enduits de pigments végétaux ou de mélanges de craie, d’argile, d’eau et de graisse animale et décorés de multiples motifs.

Le  » saut des vaches  »

A Turmi, un village de l’ethnie Hamer, niché dans la vallée de l’Omo, le lundi midi est jour de marché. Plumes, scarifications ou encore bijoux, livrent des messages hermétiques pour les non-initiés. Ici, un valeureux guerrier étale ses cicatrices, tandis que là une jeune fille en âge d’être mariée est parée de ses plus beaux atours. Les jupes en peaux de chèvres masquent à peine les jambes enduites de beurre et décorées de perles, de bouts de métal ou encore de cauris, ces coquillages blancs très recherchés et qui, autrefois, servaient de monnaie d’échange dans la Corne de l’Afrique.

En janvier et février, à la fin des récoltes, toutes les ethnies se donnent rendez-vous pour de grandes fêtes. L’occasion pour les jeunes de se séduire entre chants et danses… puis de sceller leur amour dans le bush voisin. Chez les Hamers, l’  » ivangadi  » ou danse de séduction, a lieu le soir. Le  » saut des vaches  » est le rite le plus important dans la vie de tout Hamer et de leurs cousins Bannas, Tsemaïs, Bashadas et Karos. Cette pratique initiatique marque le passage à l’âge adulte du jeune garçon de 12 ans. La veille du saut, les danses se suivent et s’enchaînent sans fin. Les visages et les corps sont peints, enjolivés de colliers, bracelets et diadèmes de perles. Pour cette cérémonie hautement symbolique, les familles accumulent durant des années assez de richesses pour nourrir tout le village et les proches quatre jours durant. Le jour venu, la mère, les tantes ou encore les s£urs liées à l’  » ukuli  » (le futur homme) provoquent les  » maz « , les jeunes initiés non mariés, qui les fouettent vigoureusement. Plus la femme est attachée à l’adolescent qui passe le rite, plus elle demande à ce qu’on la couvre de coups afin de lui prouver son affection… Ensuite, huit à dix vaches sont maintenues par les  » maz  » flanc contre flanc. Le jeune garçon doit alors s’élancer, nu, pour effectuer quatre passages sur le dos des animaux. Seule une chute est tolérée : gare au deuxième faux pas ! Battu par les femmes, il deviendra la risée de tous jusqu’à la fin de ses jours. S’il réussit, et à cette seule condition, en revanche, devenu adulte, il pourra fonder un foyer…

Au nord de la vallée de l’Omo, une vaste étendue de collines boisées, pénétrée de quelques pistes boueuses en saison humide, accueille quelque 10 000 Surmas et 3 000 Mursis, les deux dernières ethnies africaines dont les femmes portent des plateaux labiaux. Dès que la jeune femme est en âge de se marier, vers 15 ans, les incisives inférieures sont extraites et la lèvre transpercée ainsi que les lobes des oreilles. Des plateaux d’argile de plus en plus grands sont placés ensuite au fil du temps pour élargir les orifices. Le plateau peut avoir un diamètre allant jusqu’à 15 centimètres. Plus le plateau est large… plus la dot est importante.

La vallée de l’Omo en pratique page 154.

Renseignements.

Il n’existe pas de bureau touristique éthiopien à l’étranger.

Ambassade d’Ethiopie, 231, avenue de Tervueren, à 1150 Bruxelles. Tél. : 02 771 32 94.

Formalités.

Le passeport doit être valable 6 mois après le retour. Le visa obligatoire peut être obtenu soit auprès de l’ambassade (17 euros, valable 3 mois), soit à l’arrivée en Ethiopie (20 dollars, valable un mois). Possibilité de prolongation au bureau de l’immigration d’Addis-Abeba : 10 euros pour une durée supplémentaire de 1 à 3 mois.

Langues.

L’Ethiopie comptabilise 80 langues et 200 dialectes ! L’amharique est toujours la langue de l’administration. Dans les villes, l’anglais est assez courant parmi les jeunes.

Monnaie.

1 euro vaut 10,75 birrs. Les banques d’Addis-Abeba et celles des principales villes : Nazareth, Zway, Shashemene, Awassa, Arba Minch et Jinka changent le cash et les traveller’s cheques libellés en euros ou en dollars. Certaines font des avances sur carte de crédit.

Vaccin(s).

La vaccination contre la fièvre jaune est requise. En dessous de 1 800 m d’altitude, il y a risque de malaria. Conseillé toutefois : tétanos, diphtérie, hépatite A et B…

Téléphoner.

Depuis la Belgique, former le +251.

Décalage horaire.

+ 1 heure en été ; + 2 heures en hiver.

Saison idéale.

Les grandes pluies s’abattent dans la vallée de l’Omo de mi-mars à juin. Gués tumultueux, pentes ravinées, pistes emportées, ou fosses de sable mou et de boue… isolent souvent une partie de la région en saison des pluies. Les Mursis sont alors inaccessibles. En revanche, la nature est d’une luxuriance inouïe. La découverte de la région se révélera moins ardue de novembre à mars, en saison sèche, juste après les petites pluies d’octobre.

Y aller.

KLM associée à Kenya Airways, British Airways, Yemenair, Egyptair et Ethiopian Airlines sont les principales compagnies qui desservent Addis-Abeba depuis Paris, Londres ou Amsterdam. Vols à partir de 800 euros. A l’intérieur du pays, Arba Minch et Jinka (la  » ville  » de la basse vallée de l’Omo) sont connectées à Addis-Abeba par un ou plusieurs vols hebdomadaires selon les saisons. Mais la route reste bien entendu le meilleur moyen de découvrir la région du rift.

Se loger.

L’Ethiopie a de quoi contenter tout le monde, jusqu’au luxueux Sheraton d’Addis-Abeba, le plus luxueux d’Afrique, dit-on. Dans la capitale, le Ghion est entouré de beaux jardins (44 à 127 dollars la nuit/35 à 100 euros). Le Taitu, le plus ancien hôtel de la ville, offre ses planchers grinçants à 120-140 birrs la nuit (11 – 13 euros).

Le long du rift, Awassa propose quelques hôtels au charme désuet mais extrêmement bien situés au bord du lac, dont le Wabé Shébéllé N°2 (10 euros pour un bungalow spacieux). A Arba Minch, Le Békélé Mola offre la plus belle vue sur les lacs Abaya et Chamo, étendus à ses pieds. 12 euros pour un paysage inoubliable ! Dans la vallée de l’Omo, le camping est à préférer à des guest-houses guère reluisantes. Possiblité de loger sous tente (avec son propre matériel) à Weito, Turmi, Jinka et dans tous les villages de la région après approbation du conseil des anciens.

Se restaurer.

La cuisine éthiopienne, pour peu que l’on se fasse à l’injéra (sorte de grande crêpe acide fermentée), est un délice. Sinon, le pain traditionnel est présent partout pour la remplacer. Les  » tibs « , des lamelles d’agneau sautées avec piments verts et ail sont communs. Ne manquer sous aucun prétexte les délicieux poissons des lacs du rift, préparés de différentes façons. L’Omo est aussi réputé pour son miel.

Voyagistes.

En Belgique,  » Continents Insolites  » (www.continentsinsolistes.com) propose, entre autres, ce circuit découverte. En France, Atalante (www.atalante.fr), Horizons Nomades (www.horizonsnomades.com) ou encore Terres d’Aventure (www.terdav.com) déclinent des circuits similaires.

A rapporter.

Colliers, appuie-nuques, calebasses, encens sont des incontournables de l’Omo. A Addis-Abeba, les magasins de souvenirs se regroupent sur Churchill Road, aux alentours des bureaux de l’immigration. Marchandage de rigueur partout dans le pays.

A voir.

Au nord de la région de l’Omo, autour de la ville de Jimma, véritable n£ud routier de l’ouest du pays, s’étendent les forêts luxuriantes dans lesquelles fut découvert le café à la fin du premier millénaire. Un itinéraire bis à tenter lors du retour vers Addis-Abeba à travers une Éthiopie toute de verdure et d’humidité.

A lire.

En anglais, le Bradt Travel Guide  » Ethiopia  » est une référence. En français, la collection Olizane propose un guide bien documenté sur la culture du pays. Dans le rayon beaux livres : le très photogénique  » Afrique mystérieuse, les peuples oubliés de la vallée de l’Omo « , de Gianni Giansanti aux éditions Solar. En attendant la publication, ce 19 septembre, de  » Ethiopie. L’empire mythique  » par Olivier Bourguet, aux éditions Vilo.

Reportage : Olivier Bourguet

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