Qui d’entre nous n’a jamais enrobé ses frites d’une belle  » clouche  » de sauce andalouse ? Ou accompagné sa côtelette grillée, voire sa brochette ardennaise, d’une pointe de sauce Brasil ? Et est-il nécessaire de mentionner la fréquence inchiffrable à laquelle nous escortons notre jatte de café d’une solide part de tarte brésilienne ou d’un long et croustillant pain à la grecque ?

Tout comme le filet américain, dont l’origine se perd dans la nuit des temps, ces spécialités à l’appellation propre à induire en erreur le plus pointu des spécialistes de gastronomie internationale sont bel et bien des fleurons de la cuisine bien de chez nous. Et si l’étymologie de  » pain à la grecque  » s’explique par la confusion auditive de  » wolvengracht  » (prononcé à la bruxelloise  » wolvengrècht « ) – ces biscuits exquis étaient à l’origine confectionnés par un pâtissier de la rue Fossé-aux-Loups – la genèse des autres intitulés est d’une imagination parfaitement nébuleuse. Tout juste peut-on supputer que la présence de poivron rouge dans la sauce andalouse évoque la chaleur ensoleillée des légumes à l’espagnole et que la touche d’épices diverses mêlées aux ananas de la  » Brasil  » feraient penser à la cuisine latino…

En revanche, je cale pour ce qui est de la tarte brésilienne. Et je gage que n’importe quel Carioca éclaterait de rire à l’idée de ce dessert qu’on lui attribue. Ah, nous les Belges sommes décidément fortiches ! Pourtant, nous ne sommes pas les seuls à nous livrer à ce petit jeu de l’exotisme plus qu’approximatif quand il s’agit de baptiser une préparation culinaire. D’autres nous rendent la pareille avec autant de fantaisie. Je ne citerai que deux exemples. D’abord, rions tous devant les fameuses  » Belgian Waffles « , que l’on sert à tous les petits déjeuners américains, sortes de  » pancakes  » alvéolés qui ressemblent autant à nos gaufres de Bruxelles, de Liège ou galettes campinoises que votre servante à Bruce Willis. Ensuite, interrogeons-nous sur ces  » tartelettes flamandes  » qui trônent en belle place sur les présentoirs des pâtisseries en France : ces petits délices de pâte sablée garnis d’une crème d’amande parfumée à l’orange puis d’un croustillant meringage évoquent, à coup sûr, nos douces Flandres où, comme chacun le sait, orangers et amandiers fleurissent en abondance…Ne nous moquons cependant pas de cet exotisme bon marché : bien que jouant sur l’ignorance du consommateur, cette charmante et naïve mystification ne mange pas de pain, et fait le bonheur de tous les gourmands, qu’ils soient avertis ou non.

(*) Juliette Nothomb est aussi l’auteur de La Cuisine d’Amélie, 80 recettes de derrière les fagots (Albin Michel).

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