À Milan, les chancres industriels d’hier sont devenus le terrain de jeu des architectes de renom. Et les grands de la mode y prennent leurs quartiers. Forcément branchés.

Il fut un temps, en Italie, où l’ultime signe extérieur de réussite pour un label de mode, c’était d’acquérir et de restaurer un palazzo historique et d’y installer son siège central. La tendance – définitivement datée xxe siècle – a bel et bien vécu. Aujourd’hui, si le succès se mesure toujours en m2 de show-rooms, il faut que ceux-ci soient logés, de préférence, dans un site industriel relooké. A Milan, le district designde Zona Tortona où se tiendra, du 22 au 27 avril, la version off de l’édition 2009 du Salon du meuble, regorge de ces pépites archi. Zegna, Hogan, Fay et Diesel, entre autres, y mettent en scène leurs collections pour le plaisir des yeux des professionnels du secteur. Et comme souvent, c’est au flair d’Armani que l’on doit cette fashion migration vers le quartier populaire de la gare Porta Genova. Lui qui, en 2001 déjà, bousculait les codes du milieu en ouvrant son théâtre au no 59 de la Via Bergognone. Autrement dit, une version zen et épurée de Giorgio et la Chocolaterie, signée Tadao Ando. Dans cette ancienne usine Nestlé se tiennent désormais les défilés prêt-à-porter du créateur italien. C’est là aussi, tout au bout de l’étroit couloir de béton – le matériau signature d’Ando – qu’Armani présente chaque année les nouveautés de sa collection Home.

Une deuxième construction en projet

 » Je voulais créer quelque chose d’aussi simple que possible et qui offre en même temps une grande valeur ajoutée « , justifie Giorgio Armani qui n’a jamais caché son admiration pour l’architecture japonaise. Une deuxième construction signée Tadao Ando pour Armani est d’ailleurs en projet : cet espace d’exposition qui contiendra, entre autres les archives de la maison, devrait ouvrir en 2010.

A quelques rues de là, c’est un autre fleuron industriel du quartier qui vient de s’offrir une nouvelle vie : ici, l’élégance au masculin règne en maître dans un lieu où, il y a quelques dizaines d’années encore, on fabriquait des turbines hydrauliques ! Dans cet élégant cube de verre et d’acier pensé par Antonio Citterio, les stylistes et les chargés de com du groupe Zegna, les vendeurs, aussi, ont remplacé les ouvriers de l’usine Riva Calzoni. Depuis l’entrée étroite du no 56/A de la Via Savona – la majeure partie du bâtiment se trouve à l’intérieur de ce pâté de maisons ouvert en son c£ur sur une cour intérieure – on aperçoit dans le lobby une pomme géante toute habillée de laine. Pas question d’oublier que dans la confection d’un costume masculin, la finesse de l’étoffe fait toute la différence. Au-dessus d’elle, un entrelacs de couloirs de verre reliés par des poutres d’acier connecte entre eux les différents départements du siège social. Aussi avantgardiste soit-elle, l’architecture de la coursive surplombant la sculpture textile de Michelangelo Pistoletto est en réalité inspirée par les galeries suspendues qui permettaient aux visiteurs de la filature familiale, créée en 1910 à Trivero par Ermenegildo Zegna, de suivre pas-à-pas les différentes étapes de la transformation de la laine.

Ici, comme chez Armani, les collections défilent avant de s’exposer pour séduire les acheteurs le reste de l’année. En avril 2008, lors du Salon du meuble, le showroom du dernier étage accueillait même les débuts du fabricant de meubles américain Bernhardt Design. La terrasse où se bousculait toute la presse venue autant pour découvrir le lieu que le nouvel acteur du secteur offrait une vue imprenable sur les bureaux de ses voisins modeux Hogan et Fay, installés eux aussi dans les vestiges de l’ancienne fabrique de turbines. A la demande de Diego Della Valle, président du groupe Tod’s dont font partie ces deux marques, les murs de briques et les structures métalliques d’origine ont été autant que possible préservés.  » Le quartier Savona/Tortona est en passe de devenir un vrai centre culturel, assure Diego Della Valle. « The place to be » pour les gens de la mode, mais aussi du design et des médias. « 

Un bâtiment écolo

Un avis largement partagé par un autre capitaine d’industrie fashion. Dans une autre partie de l’usine Riva Calzone, Renzo Rosso, big boss du groupe Only the Brave, vient d’installer sur plus de 8 500 m2, l’antenne milanaise de Diesel et de la Maison Martin Margiela.  » L’idée, c’était vraiment de créer une boîte dans la boîte, précise-t-il. Garder intacte l’enveloppe de cette structure que les Milanais connaissent depuis presque cent ans tout en reflétant à l’intérieur l’esprit novateur des sociétés qui l’occupent. La lumière est essentielle : l’Interior Design Team de Diesel a incorporé des leds sur toutes les fenêtres de l’immeuble. Elles changent de couleur tous les soirs. Tout est régulé par des capteurs pour économiser l’énergie : quand il fait chaud dehors, les stores se ferment automatiquement. Quand la lumière de l’après-midi illumine les bureaux, les lampes s’éteignent d’elles-mêmes.  » Tout en haut, Renzo Rosso s’est offert un penthouse surplombant le fashion district.

 » Pourquoi j’ai choisi Tortona ? Parce que c’est le quartier de Milan où se retrouve tout ce qui bouge et compte en mode et design à Milan, confie-t-il. C’est jeune, branché, animé, très Diesel !  » Si la marque défile à New York, c’est à Milan qu’elle présente – depuis avril 2008 – les nouveautés de son jeune département maison. Aux collections textiles développées pour la chambre et la salle de bains s’ajouteront cette année des lampes et des meubles. Créés par le Diesel Creative Team piloté par Wilbert Das, ces produits seront manufacturés par deux géants du design italien : Foscarini et Moroso.

Une tour Prada

Dans le sud de Milan, autre quartier et même volonté de laisser une trace durable dans le paysage archi. Pour rénover l’ancienne brasserie où elle souhaite installer sa Fondazione, au no 2 Largo Isarco, Miuccia Prada s’est offert une star. Rem Koolhaas y fera coexister avec élégance les sept bâtiments d’origine – les entrepôts, les laboratoires et les silos à grain entourant le jardin intérieur – avec quelque 10 000 m2 de nouvelles constructions. La griffe y mettra bien sûr en scène ses défilés. Mais ce lieu d’exception lui permettra surtout de montrer à nouveau les installations monumentales commanditées par la marque à des artistes comme Anish Kapoor, Louise Bourgeois, Marc Quinn, Steve McQueen ou Tom Sachs ces quinze dernières années. Chez Prada, on entend bien profiter de ce surplus d’espace pour élargir  » le territoire linguistique  » du label et de sa prestigieuse Fondazione. Pas de doute, ici, on ne se contentera pas de parler chiffonà

Isabelle Willot

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