Acheter, porter, jeter. pour acheter à nouveau. Sans ce mouvement perpétuel, la mode perdrait sa raison d’être. Et pourtant, crise économique oblige, les comportements évoluent. A la clé, une réorientation de la fashion vers plus de pérennité. Enquête.

Tout a commencé avec le slow food, réaction prévisible à la malbouffe préformatée made in USA. Sur le modèle italien des cittaslow (villes lentes) valorisant espaces verts et quartiers piétons, une vingtaine de  » villes lentes  » ont par la suite fleuri en Europe. Et aujourd’hui, même les yuppies se sont laissés gagner par le slow tech, qui fait la nique à la surabondance de gadgets et de mises à jour informatiques pour revaloriser les objets plus intemporels – l’oracle des bureaux de tendances le prédit : le must-have technologique 2009 seraà le discman, pure invention des nineties.

L’éloge de la lenteur, nouvelle valeur hype, devait donc, un jour ou l’autre, gagner nos dressings. Sauf qu’il y a là, a priori, quelque chose d’antinomique. Sans sa valse de changements saisonniers, sans son alternance frénétique de court et de long, de plat et de haut, de sobriété et d’extravagance, bref, sans ses diktats éphémères, la mode n’aurait pas lieu d’être. Et pourtantà Peut-être parce que c’est le seul pays à aimer autant la fashion que le farniente, c’est en Italie, encore, que la dernière  » tendance lente  » a vu le jour.

Sous le label Slowear, Roberto et Marzio Compagno ont même ouvert il y a quelques années un point de vente milanais dont la philosophie va à l’encontre de celle des grandes chaînes et de leurs collections qui se succèdent à un rythme donnant parfois le tournis. Mais c’est Paris qui a été choisi pour donner le coup d’envoi à une politique volontariste de développement de ce mouvement qui vise à rendre sa valeur au vêtement. En octobre dernier, une boutique de 160 m2 a donc été inaugurée dans la très cossue rue Royale. Dans un décor épuré évoquant la galerie d’art, on trouve des basiques chics – jeans, cachemires, chemises, vestes et impers -, édités par plusieurs marques adhérant aux critères du  » moins mais meilleur  » qui sous-tend tous les mouvements  » slow « . Prochaines cibles, pour les frères Compagno : Milan (avec une  » vraie  » enseigne cette fois) mais aussi New York, Hong Kong et Tokyo, où des pourparlers sont déjà en cours.

Des valeurs sûres

Au lendemain de la dernière semaine milanaise de la mode, la créatrice Miuccia Prada (1) le clamait haut et fort :  » Il faut revenir aux sources, à ce qui compte vraiment. Les jambes, les jupes, la poitrine, les motifs animaux et l’orà ce sont des valeurs sûres, que les femmes apprécient et qui font marcher le monde depuis l’Antiquité.  » Des propos en partie confirmés par l’étude menée auprès de 6 400 femmes dans cinq pays européens par Claire Paternault, du cabinet de conseil en stratégie marketing RISC International.  » On vit une période anxiogène, qui implique un retour à des valeurs essentielles et rassurantes. Cela a bien évidemment des répercussions sur la mode, où l’on constate un retour à un style, une élégance et une féminité plus classiques. Le modèle dominant des années 2000, axé sur une mode artificielle, vue comme un instrument de réussite sociale, a vécu.  » On reviendrait ainsi à une consommation plus raisonnable et surtout plus durable.

Est-ce à dire qu’après dix ans d’un succès presque indécent, le glas a sonné pour la fast fashion, distribuée à tour de bras par les chaînes mondialisées ? C’est en tout cas ce qu’affirme Suzy Menkes (2).  » Les clientes vont demander plus de qualité, plus de style et plus de valeur ajoutée à leurs vêtements, argumente la papesse de la mode. (à) Et puis les filles ne veulent plus jeter leur garde-robe d’une saison à l’autre, elles veulent conserver ce patrimoine-là, c’est un vrai changement. « 

Les icônes rééditées

Sans aller jusque là – les chiffres de vente d’H&M ont bien enregistré une légère baisse au dernier semestre, mais c’est le cas de toute l’industrie vestimentaire -, on va sans doute assister à un changement dans les comportements d’achat. Cette revalorisation du vêtement et d’une certaine tradition dans l’achat, la grande distribution semble l’avoir anticipé, en brouillant les pistes : collaboration avec des créateurs, enseignes installées sur les artères mondiales du luxe, égéries people, campagnes shootées par les plus grands photographesà

La frontière entre bas et haut de gamme est aujourd’hui d’autant plus floue que le luxe a lui aussi adopté certains codes de la fast fashion. Notamment en multipliant les collections : les vestiaires  » été  » et  » hiver  » sont depuis longtemps complétés par des pré-collections, des lignes cruise, des collections capsules et autres éditions limitées. Et si celles-ci font un tabac, c’est aussi parce qu’elles présentent l’avantage d’être moins connotées.

En reflétant le style d’une griffe sans être estampillées du sceau d’une saison précise, elles se démodent moins vite. Or, en période de crise, la stabilité de l’investissement compte. Le secteur du luxe suit avec le plus grand intérêt cette autre évolution dans les comportements d’achat. Tout en multipliant son offre, il mise donc aujourd’hui aussi sur son héritage en rééditant des pièces iconiques, sous forme de petites lignes basiques et intemporelles comme Edition 24, chez Yves Saint Laurent, ou la Collection Blanche de Ann Demeulemeester.

De manière globale, les collections printemps-été 2009 des grands noms de la mode sont exemplatives de cette volonté de miser sur une certaine pérennité et sur un ADN fort. Chez Chanel, Karl Lagerfeld faità du Chanel. Et force délibérément le trait, notamment avec des sacs en cuir inspirés de ceux – en papier – distribués rue Cambon. Reconstituée dans le Grand Palais, l’enseigne mythique de Mademoiselle a même servi de décor au dernier défilé. Chez Vuitton, Marc Jacobs mise lui aussi sur les valeurs fondamentales de la maison, avec une collection à la fois très luxueuse et très parisienne.

De la place pour tous  » Jusqu’ici, nous avons vendu un rêve, résumait sans complaisance Michele Norsa, administrateur délégué de Salvatore Ferragamo, lors du dernier colloque Milano Fashion Global Summit (3). A l’avenir, il faudra que nous soyons capables de préserver ce rêve, tout en rapprochant la marque du consommateur et en valorisant la notion d’un produit unique, qui dure dans le temps.  » Ce n’est donc pas un hasard si, dans cette période troublée, les labels à forts référents identitaires sont aussi ceux qui tirent le mieux leur épingle du jeu. Ainsi en est-il de Marni, une des griffes italiennes dont l’ascension semble imperturbable.  » Je n’ai jamais été influencée par les tendances, insiste Consuelo Castiglioni ( lire son interview en pages 12-13). J’ai toujours essayé de rester fidèle à mes principes et à mon style. L’objectif est de satisfaire le désir naturel des femmes d’être unique et de se distinguer. Et cela ne change jamais d’une collection à l’autre. Je souhaite que mes vêtements soient portés de saison en saison, avec ceux de la collection précédente, de sorte qu’ils deviennent des basiques intemporels.  »

Dans un tout autre segment, Hermès compte parmi les grandes maisons les moins touchées par la crise. Pierre-Alexis Dumas, directeur de la création ( lire son interview ci-contre), y voit une explication simple, liée à la philosophie même de la griffe.  » Notre ambition n’est pas d’être à la mode mais de traverser les modes, ponctue-t-il. Aujourd’hui, les gens ont besoin de sens et l’héritage est un des éléments qui donnent du sens à une démarche de création. Ce qui me trouble, c’est qu’à notre époque, au royaume de l’image, l’héritage est presque devenu une recette.  »

Pourtant, en mode plus qu’ailleurs, pas de menu unique, même servi à toutes les sauces. Démonstration éclatante du 30 janvier au 2 février dernier, la dernière édition de Prêt-à-Porter Paris, le salon bisannuel des professionnels. Parmi les trois axes principaux mis en avant dans ce grand raout de la confection, le thème New Gen New Way, consacré aux nouveaux comportements d’achat a mis en évidence que fast fashion et slowear ne sont pas incompatibles. Les envies de vêtements qualitatifs, de basiques à ressortir chaque saison cohabitent avec celles de pièces plus pointues, hype, reflétant la microtendance du moment.

Aujourd’hui, les fashionistas mélangent donc sans complexe high luxury et low cost. Une attitude qui n’a rien de honteux mais est au contraire revendiquée avec fierté – notamment dans les blogs de mode – comme une preuve de bon goût, aujourd’hui situé aux antipodes du total look, considéré comme vulgaire. Parce que ce qui compte avant tout, c’est de dégager, au départ du grand maelström modeux, sa vision personnelle de la tendance. D’avoir un look. Parce que  » la mode se démode, le style jamais « , c’est Gabrielle Chanel qui l’a dità il y a un certain temps déjà.

(1) In Le Monde, 25 septembre 2008.

(2) In International Herald Tribune, 22 septembre 2008.

(3) In Fashion Daily News N° 517 du 9 janvier 2009.

Dossier réalisé par Delphine Kindermans

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content