Si les années 1990 ont consacré les poitrines conquérantes, le IIIe millénaire annonce le retour des postérieurs replets dans le baromètre de la séduction. Désir de rondeur dans une vie trop carrée ? Résistance de la chair face au sacre du virtuel ? En tout cas, le bas l’emporte désormais sur le haut !

Moulées dans des minijupes et des microshorts en goguette, les fesses focalisent, cet été, le regard des créateurs. Prenez la collection de Tom Ford pour Yves Saint Laurent Rive Gauche : des coutures tournantes accentuent les hanches et soulignent le popotin. Voyez le défilé Louis Vuitton signé Marc Jacobs, qui a débuté avec une armada de robes multicolores et seyantes : un pli creux au dos des modèles, de l’ourlet jusqu’au bas des fesses, indique, comme une flèche, le sens de la tendance. Quant à John Galliano, pour Dior, il adhère à la mode mini-maxi, qui couvre le haut des corps de tenues si amples qu’elles effacent les rondeurs des poitrines. Le but est clair : centrer toute l’attention sur le postérieur, étroitement ajusté dans la jupette. De quoi faire fantasmer les mâles le temps d’un été ? Pas seulement, puisque la saga fesses continue ses péripéties l’hiver prochain version mini et caleçon. John Galliano, pour sa part, en a fait sa marque de fabrique depuis belle lurette. Dès ses débuts chez Dior, il adoptait sa fameuse  » coupe en biais « , qui  » souligne parfaitement les merveilleuses lignes de la silhouette et glorifie le corps féminin « , explique-t-il.

Mais qu’ont-ils donc à n’avoir d’yeux que pour nos fesses ? Un faisceau de tendances concourt à mettre le derrière en avant. L’an dernier, c’était le porno chic et le succès de la mode balnéaire brésilienne û avec ses tangas, ses strings et ses top models généreux, telle Gisèle. Cet été, on note le grand retour de la féminité, tandis que la vague sport – le surf, notamment – plébiscite le corps sain. Pas étonnant donc que les fesses l’emportent sur les seins : elles, on peut les muscler.

Pour celles que l’exercice physique ennuie, la mode n’est pas avare en substituts pour embellir le fessier. Pour Morgan, Vanessa Moyal, directrice du bureau de style, décrypte ainsi les tenues de l’été :  » le plus sexy chez la femme, ce sont les épaules et les fesses. Du coup, on a créé des tops pour dénuder les premières et des tee-shirts resserrés vers le bas pour accentuer les secondes. Sur les pantalons et les jupes, poches à rabat ou plaquées, posées de biais, soulignent les fesses et accentuent leur mouvement.  » Quant au Stretch, il tient – fermement – la forme en toute occasion, selon la tendance du moment.

Si l’habit peut se permettre de tels corps-à-corps, c’est en partie grâce aux innovations technologiques des tissus – comme les mélanges de fibres et de Lycra – qui soutiennent les courbes. Ainsi Rosa Cha, marque brésilienne de maillots de bain, assure-t-elle avoir trouvé des matières et des formes  » remonte-fesses « . On n’en saura pas plus : leur fabrication est tenue secrète. En ce qui concerne le slip, les marques se décarcassent pour ne point le laisser apparaître sous le vêtement. Lorsque Well, spécialiste du collant, s’est lancé, l’hiver dernier, sur le marché de la lingerie, il s’est évertué, côté popotin, à rendre l’enveloppe invisible avec des matières à effet seconde peau, de la dentelle microfibre et du voile de tulle. Pour des culottes taille basse, échancrées et sans démarcation. Et des strings, bien sûr, sans lesquels presque plus aucune paire de fesses ne sort !  » La vue d’un string qui dépasse n’est pas anodine, analyse Géraldine Coruble, responsable junior du marketing lingerie pour Well. Il souligne le déhanché et la chute des reins.  »  » Il caracole en tête, avec 55 % de nos ventes en ce qui concerne le bas du corps, et 28 % du chiffre global « , déclare Elisabeth Sehmer, pour Darjeeling. Dim va plus loin et propose un string pour chaque forme de fesses : classique pour les rebondies, ficelle pour les pulpeuses, barrette pour les plates… Côté fantaisie,  » le shorty-string en dentelle est l’un de nos best-sellers, car il sublime les fesses « , affirme-t-on à Darjeeling. Tandis que Well multiplie les détails raffinés : un dos en dentelle ici, un autre ajouré en forme de goutte surmontée d’un n£ud. Pour séduire, désormais, mieux vaut tourner le dos aux idées prudes…

Le derrière se met en avant

Le magazine  » Teknikart  » l’annonçait en mars dernier : si la décennie passée a consacré les poitrines conquérantes (Pamela Anderson, Loana, Eva Herzigova et son Wonderbra), les fesses rebondissent au début du IIIe millénaire. En France, un sondage BVA sur la séduction féminine laisse entrevoir dès 2001 que le bas l’emporte sur le haut : à la question  » Qu’est-ce qui vous fait le plus fantasmer dans le corps d’une femme ?  » 38 % des hommes interrogés répondent les seins, tandis que près de 50 % préfèrent les fesses et les jambes.  » Les seins émoustillent, mais ils évoquent aussi la maternité, explique le sociologue Gilles Lipovetsky. Les fesses, elles, qui dissimulent le sexe de la femme, provoquent une attirance quasi animale et ont une charge érotique infiniment plus forte. Cet engouement, en rapport avec le porno chic, s’inscrit dans une vague de réhabilitation du corps et de la sexualité.  »

Les sex-symbols l’on bien compris qui renoncent à leurs prothèses mammaires (on pense à Pamela Anderson, à Courtney Love et à Ophélie Winter), et cambrent le bas des reins. Certains croupes sont même élevées au rang d’icônes, telle celle de Jennifer Lopez – un bon 42 – qualifiée de  » magnifique excroissance  » par  » The Times « . Ce fondement transformé en fond de commerce a largement contribué à asseoir la carrière de l’actrice-chanteuse, qui a même lancé une collection pour filles rondes et provoqué une ruée d’Américaines vers les centres de chirurgie esthétique. A tel point que J. Lo, autoproclamée  » le cul « , aurait assuré l’objet du cul-te à hauteur de 7 milliards de dollars, bien qu’elle l’ait démenti dans la presse. Plus largement, la mode, le cinéma et la chanson révèrent des stars bien en chair, de Laetitia Casta à Monica Bellucci en passant par Christina Aguilera ou Shakira, bien loin des Kate Moss et autres mannequins anorexiques.

Même la politique s’en mêle. Ces bouées de sauvetage ont manqué faire chavirer la plus puissante nation du monde. Rappelez-vous : en 1998, Monica Lewinsky relevait sa veste devant Bill Clinton pour montrer ses rondeurs, ainsi que le haut de son string… Depuis ce coup d’éclat, le  » sous-vêtement qui ébranla une présidence « , selon le rapport Starr, court les rues. Effet Monica ou pas, la tendance est réelle : les ventes de strings affichent une progression de 25 % en deux ans. A l’heure où les cols se reboutonnent, les jeunes femmes plébiscitent l’aguichante ficelle qui dépasse du jean taille basse et souligne l’arrondi.

 » Comme les femmes Wonderbra montraient leur décolleté de seins, la mode, aujourd’hui, est au décolleté de fesses « , affirme Helen MacIsaac, directrice marketing de Wonderbra-Playtex, une marque plutôt classique qui  » ose  » des strings depuis quatre ans.  » Les femmes continuent de repousser les barrières de la pudeur, explique José Morel, psychologue et psychanalyste, auteur de  » Quand la pudeur prend corps  » (PUF). Montrer son string, c’est afficher sa liberté sexuelle.  » David Le Breton constate, lui, que  » dans une société fondée sur l’individualisme, notre rapport au monde s’est de plus en plus érotisé.  »

D’où un cruel dilemme : dans la rue, les hommes ne savent plus s’ils doivent baisser les yeux ou les lever vers les affiches omniprésentes de lingerie féminine. Antoine de Caunes avoue un accident de scooter sous une pub Aubade, l’un des premières marques à oser montrer des fesses dénudées en 4 x 3.  » En 1975, quand j’ai voulu afficher un string de dos sur nos points de vente pour la première fois, le photographe a refusé de prendre le cliché. Il trouvait cela moche et vulgaire « , se rappelle Anne-Charlotte Pasquier, la directrice d’Aubade. Cinquante-deux leçons de séduction plus tard, la marque a fait des émules : Barbara, Darjeeling et Dim zooment en gros plan sur des hémisphères charnus. La dernière campagne de Barbara en rajoute même avec le slogan :  » C’est pas le tout d’avoir de beaux seins « .

Encore faut-il avoir de belles fesses… Et chaque femme qui se tortille devant la glace guette la moindre imperfection, du petit capiton disgracieux à la fameuse culotte de cheval. On frotte, on gomme et on raffermit à grand renfort de crèmes. Loin de réconcilier les femmes avec leur séant, cet étalage de galbes sublimes, clichés souvent retouchés placardés en gros plan sous les Abribus, risque de complexer une génération de jeunes filles en prise à la dictature de la beauté.  » C’est la seule partie du corps que l’on ne voit pas et que l’on ne maîtrise pas, explique Catherine Bensaïd, psychiatre et psychothérapeute et auteur de  » Je t’aime la vie  » (Robert Laffont). Les femmes ont de plus en plus de problèmes avec leurs fesses.  » D’autant que les lignes de vêtements sont souvent inadaptées à la morphologie féminine actuelle, plutôt ronde. Les professionnels du secteur, constatant que les petites tailles (34 et 36) se vendaient mal, ont décidé de réajuster leurs coupes. Pour cela, ils se sont lancés, en mars 2003, dans une vaste campagne de mensuration.

Pour les plus exigeantes, l’habit ne suffit pas. La clinique Mozart, à Nice, a su tirer parti de ce malaise et propose, depuis fin avril, une opération pour remonter le fessier grâce à des implants de silicone, moyennant la somme de 4 115 euros.  » En un mois, nous avons eu une vingtaine de demandes et le téléphone sonne tous les jours, affirme l’un des chirurgiens esthétiques. Ces femmes traquent la fesse tombante et la réclament africaine, cambrée et haut perchée.  »

Siège des fantasmes masculins et des obsessions féminines, cette partie du corps est à la source d’un  » énorme quiproquo entre les deux sexes, analyse le sociologue Jean-Claude Kauffman, auteur de  » Corps de femmes, regards d’hommes  » (Pocket). Les filles sont beaucoup plus critiques que les garçons qui, dans l’intimité, ne sont pas contre une certaine rondeur.  » Juste retour des choses, elles aussi, à travers la pub et le cinéma, peuvent lorgner des galbes mâles charnus, enfin dénudés.

Que nous révèlent, de nous-mêmes, ces  » voûtes romanes de l’architecture corporelle « , selon l’expression du photographe Jeanloup Sieff, depuis longtemps magnifiées par l’art ? Un désir de rondeur dans nos vies trop carrées ? Des coussins moelleux sur lesquels se reposer ? Une résistance de la chair à l’heure de l’Internet et du virtuel ? Elles dévoilent, surtout, l’ambiguïté de la femme d’aujourd’hui, qui met sa chute de reins en valeur, notamment grâce à la mode, tout en refusant de n’être aimée  » que pour ses fesses « .  » Dans une société égalitaire, analyse Gilles Lipovetsky, auteur de  » La Troisième Femme « , celle-ci a gagné son autonomie, mais refuse de ressembler à un homme. Du coup, elle revendique sa féminité.  » Et roule des fesses sans fausse pudeur… Peut-être est-ce là le secret : non dans la forme, mais dans le mouvement chaloupé. L’écrivain Jean-Luc Hennig a composé une émouvante  » Brève Histoire de fesses  » (Zulma), synonymes, pour lui,  » de douceur, d’abandon et de vulnérabilité. Elles ne sont jamais aussi belles que lorsqu’on les regarde s’éloigner…  »

Dalila Kerkouche et Catherine Maliszewski

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