Modeste et génial, ce coutelier gantois – à temps partiel – signe des pièces uniques pour quelques-uns des chefs les plus en vue du pays. Ses mots d’ordre ? Épure et recyclage.

A ccroché à sa terrasse, l’ingénieux dispositif qui sert à nourrir les oiseaux en dit long sur Antoine Van Loocke. Il est bien de ceux qui se méfient des puissants et qui portent une attention constante à la fragilité. Réfugié loin des villes, l’homme s’est établi dans la campagne d’Oosterzele, non loin de Gand. Il y mène une existence libre, en digne héritier d’un art de vivre flamand façonné au contact d’une nature qui donne et qui reprend. Généreux, il déballe une quarantaine de couteaux sur lesquels il travaille depuis plusieurs mois pour Clément et Monia Petitjean de La Grappe d’Or, restaurant étoilé à Torgny. Les créations sont à l’image du couple, sincères et faisant corps avec le terroir gaumais. C’est que Van Loocke est guidé par ses intuitions, il lui faut  » sentir  » ses clients.  » Malgré les nombreuses demandes qui me parviennent des restaurateurs, je n’accepte qu’un projet par an.  » Le coutelier ne s’investit que si on lui accorde une carte blanche absolue.

Etrange parcours que celui de cet autodidacte de 57 ans dont le métier principal consiste à entretenir un parc de 10 hectares.  » Je suis obsédé par les couteaux depuis mon enfance mais cette fascination a pris une autre tournure en 1998, année où je me suis offert mon premier couteau d’art. Sa finesse m’a bouleversé, une vraie révélation… Je me suis dit que moi aussi je pouvais créer ce genre d’objet.  » Un an plus tard, Antoine Van Loocke retourne à l’endroit où il a acheté l’ustensile qui a mis le feu aux poudres, cette fois les rôles sont inversés, le propriétaire de la boutique lui achète d’emblée les six lames qu’il a forgées. Une fois le pied à l’étrier, le Gantois va passer tout son temps libre à en concevoir d’autres. Effrayé par le consumérisme ambiant, il va mettre un point d’honneur à utiliser de vieilles lames glanées en brocante et à récupérer d’improbables manches.

Son atelier ? Un abri de jardin dont la décoration est assurée par des toiles d’araignées ou, en version mobile, sa voiture :  » J’y ai tout ce qu’il faut, ça me permet de travailler dès que je m’ennuie à un dîner.  » Au départ, ce sont les collectionneurs qui ont permis au Flamand d’assouvir sa passion mais, avec le temps, ceux-ci disparaissent. Heureusement, la relève est venue par l’intermédiaire de la gastronomie.  » C’est Kobe Desramaults qui m’a relancé, il est venu me chercher en 2008 pour que je lui fasse des pièces inédites. Il avait vu chez le chef danois René Redzepi des couteaux dont la lame était fixée sur un bois de cerf.  » Pour le chef d’In De Wulf, il met alors au point un couteau à la lame en acier carbone – un matériau oxydable qui permet de mesurer le temps qui passe. Peter Goossens, le triple étoilé de Kruishoutem, passe à son tour commande. Van Loocke lui imagine un modèle pour lequel il utilise l’os pénien d’un morse. Sa réputation est faite. Il ira même jusqu’à signer des réalisations dont le manche est constitué d’une patte de poulet de Bresse, pour les membres du jury du Bocuse d’Or.

Avant de le quitter, on ne peut s’empêcher de l’interroger sur ce goût de l’arme blanche. Antoine Van Loocke révèle une scène primitive, un récit fondateur.  » Petit, je me souviens de ma mère et d’une dispute avec mon père, elle avait perdu son éplucheur. Sans doute l’avait-elle jeté avec les déchets des légumes. Mon père se préparait à en acheter un autre, elle ne voulait pas, elle était en pleurs. C’est elle qui avait raison, cet objet qui incarnait sa condition était le pilier de la famille, sans lui, pas de repas… Je m’effraie de la force avec laquelle ce passé m’a rattrapé.  »

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PAR MICHEL VERLINDEN

 » CET OBJET ÉTAIT LE PILIER DE LA FAMILLE.  »

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