De belles dames parées de velours en châtelaines prêtes à en découdre : comme un âge d’or plus chatoyant que la vie technologique, où la noblesse des sentiments le dispute à la beauté de l’artisanat, l’époque médiévale inspire la mode.

« J’aime le côté raffiné avec des taches de gras très Moyen Âge. La contradiction entre la peau diaphane et la peau de bête qu’on porte à même les épaules. Le poids de la religion aussi, alibi de toutes les actions, pour le meilleur comme pour le pire « , explique le directeur artistique de Carven, Guillaume Henry. Spirituelle, sa collection automne-hiver 12-13, peuplée de madones en robes de dentelles façon rosace, de filles en jupes paysannes ornées de scènes rurales à la Bruegel, revisite le temps des cathédrales. C’est l’une des inspirations phares de cette saison très romanesque, qui en explore les images les plus glorieuses, entre opulence des matières, couleurs qu’on dirait sorties des enluminures des Très Riches Heures du duc de Berry (exposées le printemps dernier au Louvre, à Paris) et esprit chevaleresque au féminin. Voilà qui donne raison au grand historien français Georges Duby, qui déclarait en 1984 :  » Le Moyen Âge est un monde merveilleux, c’est notre western, et en cela il répond à la demande croissante d’évasion et d’exotisme de nos contemporains  » (entretiens avec Antoine de Gaudemar).

Exotique et pourtant si familier : c’est dans cette ambivalence que réside le charme de cette époque fleuve, coincée entre la chute de l’Empire romain et la Renaissance, et que Michelet comparait au temps de l’enfance. À savoir brutale et sensuelle, ignorante et parfois éclairée, intolérante mais aussi naïve et vraie dans sa foi populaire. Pourtant, le Moyen Âge souffrira longtemps de sa mauvaise réputation. Marqué du sceau de la barbarie et de l’obscurantisme par le siècle des Lumières, il sera réhabilité par les romantiques anglais, en réaction à la civilisation industrielle et au rationalisme hérité du XVIIIe. Le gothique est à la mode, et la vision idéalisée que le XIXe siècle s’en fait s’infiltre partout : dans les romans de chevalerie et les romans fantastiques, dans les longues robes-tuniques d’artistes, vendues par le magasin Liberty, à Londres (lire aussi l’encadré en page 33). Et remises en scène aujourd’hui par la chanteuse rousse au teint de porcelaine de Florence and the Machine… Quant à Laurent Voulzy, il fait revivre la poésie médiévale avec Lys & Love, un album inspiré des textes du prince Philippe d’Orléans. Popularisé par l’heroic fantasy, dans la littérature comme à l’écran – voir Blanche-Neige et le chasseur, avec Kristen Stewart, sorti cet été -, le Moyen Âge est devenu peu à peu le refuge du merveilleux, une véritable usine à fantasmes. Ce qui ne pouvait manquer d’intriguer la mode.

 » Aujourd’hui, on mesure combien il s’agissait d’une civilisation raffinée, analyse l’historienne de la mode Catherine Ormen-Corpet. Dans sa manière de séduire les femmes, notamment avec l’amour courtois, chanté par les poètes troubadours. Dans les soins aussi qu’elle apporte au corps, avec les bains, les étuves et le vêtement, qui étire la silhouette, s’orne de couleurs très brillantes, de fourrures et de broderies.  » Autant dire que ces codes du luxe n’ont pas pris une ride en 2012. En témoigne le retour de la tunique (ancêtre de la minijupe), que les hommes d’alors portaient avec des chausses, modernisée aujourd’hui en version cuir et tweed sur pantalon, chez Chanel. Celui des longues robes de châtelaine (Rochas) et des capes majestueuses qui font des ports de reine.  » Des capes de madone, comme celles que l’on voit sur les chefs-d’£uvre de la peinture classique « , précise Maria Grazia Chiuri, codirectrice artistique de Valentino.

Une noblesse qui s’exprime également à travers la richesse des étoffes, ornées de motifs tapisserie, d’arabesques végétales, de couleurs  » cloisonnées  » comme des vitraux d’église (Bottega Veneta).  » La saison exalte l’opulence et la consistance avec des produits plus lourds qui embrassent le corps de manière souple et généreuse, décrypte Pascaline Wilhelm, directrice mode du salon textile Première Vision. Des velours, des moleskines, des draps et des toisons folles, mais aussi des métallisés profonds comme les cuivrés.  »  » Je cherchais quelque chose de dense « , confirme Guillaume Henry, qui s’est inspiré des peintures de Jérôme Bosch, dont il a voulu retranscrire  » la vie grouillante et colorée  » sur un imprimé. Bistre, sauterne, safran… sa palette se veut aussi gargantuesque qu’un banquet médiéval.

Qui fait l’ange, fait la bête… Tête de lion en ceinture ou en collier (Lanvin), fermoir bijou en forme d’ours et loup en imprimé : c’est aussi le bestiaire des fabliaux et des blasons qui ressurgit. Et, avec lui, la force des symboles, comme la croix qui ceint la poitrine des héroïnes de Damir Doma, sortes de chevalières modernes en tabard de cuir et veste de fourrure.  » Il faut être un peu brave pour porter mes vêtements « , concède le créateur croate. Chez Donatella Versace, la croix sert de leitmotiv à la collection, brodée sur un manteau noir en motif cotte de mailles, sur une tunique en cuir verni qui évoque les vêtements des croisés. Faut-il y voir encore la manifestation d’un symbole religieux ?  » L’art du Moyen Âge est essentiellement chrétien. Je me demande si on n’assiste pas à la résurgence, même inconsciente, d’une identification à la culture judéo-chrétienne « , s’interroge Catherine Ormen-Corpet. Ce qui est certain, c’est la posture : résolument défensive et déterminée, comme une exaltation nostalgique des valeurs du c£ur chères à l’homme médiéval (le courage, la foi, l’amour). Et le vêtement qui l’accompagne, sorte d’amure des temps modernes taillée dans le cuir ou la maille métallique. Un clin d’£il à Jeanne d’Arc, dont on fête cette année le 600e anniversaire ?

 » J’aime sa façon de se battre pour ses idées et non contre les autres « , nous confiait récemment Donatella Versace (lire aussi Le Vif Weekend du 21 septembre dernier), tandis que Madonna arbore pour sa tournée une tunique à capuche en cotte de mailles incrustée de cristaux Swarovski et une épée. Récupérée par l’extrême droite, la pucelle de Domrémy vit aujourd’hui sa réhabilitation fashion. Carine Roitfeld, désormais Global Fashion Director du magazine Harper’s Bazaar, ne déclarait-elle pas en février dernier :  » Je veux être la Jeanne d’Arc de la mode, le lien entre le podium et la vraie femme.  » Un juste retour des choses pour cette première figure du style androgyne, considérée dans les pays anglo-saxons comme une icône féministe. Mais attention, pas de cliquetis de chaînes ni de coupe au bol. Résilles métalliques ultralégères (portées en gilet, voire en jupe crayon chez YSL), cuir souple, voire maille moelleuse, à l’image des armures en 3 D de l’Estonienne Ragne Kikas (l’une des gagnantes du dernier festival d’Hyères), les battantes 2012 ont intégré la séduction dans leur mission.

PAR CHARLOTTE BRUNEL

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