Épicurien affiché, sinophile, diplômé en histoire médiévale, ce grand jeune homme atypique est aussi un des chocolatiers belges les plus excitants de ces dix dernières années. Il possède désormais son atelier-boutique, face à Bozar, à Bruxelles.

C’est lundi matin. La crinière encore humide d’une douche express, Laurent Gerbaud ouvre la porte de son atelier-boutique flambant neuf, les yeux chiffonnés derrière ses lunettes à la Harry Potter. Entre l’ouverture du lieu trois semaines plus tôt, les urgences quotidiennes du métier et les fêtes jusqu’à pas d’heure – une discipline qu’il maîtrise avec un certain talent – le jeune chocolatier ne ferme pas beaucoup les paupières ces temps-ci.

Il a beau se pincer, il ne rêve pas : face à Bozar, en plein quartier touristique et culturel de Bruxelles, c’est bien son nom qui s’étale sur les vitrines d’un long parallélépipède lumineux, tout entier dédié à la conception, à la confection, à la dégustation et à la vente de ses créations. Un lieu qu’il espère ludique, doublé d’un espace didactique consacré aux enfants. Une rupture pour cet artisan encore trop méconnu, jusqu’ici cantonné à une relative confidentialité. Une jolie victoire pour ce grand jeune homme de 38 ans au parcours plutôt atypique.

Petit-fils d’un boulanger pâtissier qui l’éduque le mercredi après-midi  » à la frangipane, aux éclairs et aux boules de Berlin « , Laurent Gerbaud est né gourmand.  » J’ai toujours adoré la cuisine, dit-il. Mais en sortant du lycée Adolphe Max, on se dirigeait tous comme des moutons, direction l’Unif.  » Après des candidatures en droit  » vraiment pelantes « , il choisit de bifurquer vers l’histoire médiévale,  » un domaine passionnant, mais trop pointu, trop déconnecté de la réalité et du concret des choses « . Entre la préparation de son mémoire –  » la saignée comme pratique médicale du ve au xie siècle  » – et les examens d’heuristique, il se lance en parallèle dans une formation de pâtissier chocolatier, qu’il affine durant un stage chez Planète Chocolat auprès de Frank Duval, à Bruxelles.

Diplômes en poche, Laurent Gerbaud s’offre un voyage en Asie. Initiatique. Fondateur, surtout. Il tombe amoureux de la Chine, apprend le mandarin et s’installe à Shanghai. C’est là qu’il décide de mettre sur pied une petite production de chocolat.  » A la cow-boy, se marre-t-il. J’ai acheté un batteur et j’ai commencé à faire des mousses, des gâteaux, des truffes, des muffins dans mon appart’. Je vendais surtout aux expats. C’était totalement illégal.  » Avec ses cheveux longs d’adorockeur et son incompétence totale en management, il ne parvient pas à décoller, à trouver une licence.

Mais il rentre en Belgique avec des idées plein la cabosse. Nous sommes en 2000. Il commence à produire des assemblages chocolat-condiments dans la cave de sa grand-mère,  » on épluchait ensemble les pistaches en regardant la télé « . Il se met à vendre sur les marchés bruxellois, à séduire les bobos, à étonner les palais peu habitués à sa patte gustative hors norme.  » En Chine, mon goût a vraiment changé, parce que contrairement à nous, les Chinois utilisent très peu de sucre. J’ai aussi affiné mon goût pour les épices et les fruits exotiques. « .

Ce goût, dix ans après, fonde plus que jamais la signature Gerbaud. Sa couverture, d’abord, fruitée et acidulée : un assemblage à 75 % de cacao d’Equateur et de Madagascar que lui fournit en exclusivité la marque italienne haut de gamme Domori. Une matière première que Laurent Gerbaud électrise avec des condiments subtils et décoiffants, du gingembre à la bergamote de Calabre, du kumquat à la pistache grecque. Des produits qui  » le font triper  » et qu’il vend surtout à l’exportation. 70 % des 5 à 6 tonnes annuelles de chocolat qu’il transforme s’écoulent en effet à l’étranger, Allemagne et Grande-Bretagne en tête. Son prochain défi : inverser cette tendance, imaginer des éditions limitées  » des chocolats de laboratoire que les clients découvriraient un peu par hasard, un peu par surprise quand ils passent à la boutique, comme des vinyles de démo qu’on dégote chez le disquaire « . Et surtout : réattaquer la Chine pour y dupliquer son concept de boutique. Sans se couper les cheveux.

Carnet d’adresses en page 82.

Baudouin Galler

En Chine, mon goût a vraiment changé

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