Après une rétrospective magistrale à Ixelles, le créateur hantera les Musées royaux des beaux-arts, dans le centre-ville bruxellois, avec six oeuvres monumentales spécialement imaginées pour les lieux. A contempler jusqu’en 2020.

Depuis les années 60, Gao Xingjian ne tient pas en place. Ce petit homme au corps fragile est à la fois écrivain, dramaturge, cinéaste, plasticien, traducteur, metteur en scène… Mais il a fallu le Prix Nobel de littérature, obtenu en 2000, pour qu’il sorte de l’ombre. Né en 1940, à Ganzhou en Chine, il n’en a pas moins eu une vie intellectuelle intense avant la reconnaissance de l’Académie suédoise et celle du grand public. Pour une fois, il semblerait que la Belgique en ait assez rapidement pris la mesure, lui consacrant une exposition dès 2003, à Mons. Douze ans plus tard, le Musée d’Ixelles vient tout juste de lui offrir une rétrospective, tandis que les Musées royaux des beaux-arts accueillent un spectaculaire accrochage de toiles monumentales,  » à la lisière de l’abstraction « , qui se prolongera pendant cinq ans.

Son entrée en création, l’artiste la doit à sa mère, actrice amateur. C’est elle qui a insufflé en lui le germe de la réflexion critique. Dès l’enfance, celui qui signe La montagne de l’âme se passionne pour les arts de la scène et l’écriture. A 10 ans, il reçoit un cahier. De manière très symptomatique, il y consigne sa première fiction avec, en alternance, une série de dessins. Le reste de son éducation se placera sous le signe de la singularité. Au milieu des années 60, il traduit en mandarin Eugène Ionesco, Jacques Prévert ou encore Henri Michaux. Le pouvoir voit d’un mauvais oeil cette initiation à la littérature occidentale. Suspecté de  » pollution spirituelle « , il est envoyé durant six ans en camp de rééducation, à la campagne, lors de la Révolution culturelle. Il est obligé de brûler des manuscrits. Ce sera le premier épisode d’un conflit incessant qui opposera cette figure de l’avant-garde au Parti communiste de son pays. Il y mettra fin en 1989 en obtenant l’asile politique en France et en devenant citoyen de l’Hexagone en 1997.

Si l’on en croit Michel Draguet, directeur des Musées royaux des beaux-arts et fin connaisseur de son travail,  » c’est un témoin fascinant du XXe siècle. Il fait partie de ces auteurs qui nous ont enseigné que la modernité ne pouvait pas passer par l’Etat. Il a connu le totalitarisme et vécu dans sa chair cette conception du politique qui voudrait légitimer l’assujettissement complet de l’individu à l’autorité de l’ensemble. Pour ne pas céder à cela, il a développé une vie nomade dans laquelle le voyage lui a permis de se reconstruire. Livrant bataille contre l’anéantissement idéologique, il a également élaboré une écriture gorgée d’une pulsion vitale et dominée par la recherche identitaire. Chez lui, seul vaut le  » je « , il y a peu de dialogue avec le  » tu  » qui est suspect, c’est par lui qu’arrive la délation.  » Au bout de ce  » je « , on trouve chez Xingjian la question de l’esthétique, la grande affaire de son oeuvre.  » Il y a ce que l’homme peut faire et ce qu’il ne peut pas faire, et s’il ne peut aller à l’encontre de son destin, il peut néanmoins transformer en une oeuvre son expérience et ses sentiments pour les transmettre aux générations suivantes, dépassant ainsi les difficultés de l’existence et aussi les époques « , écrit-il en guise de manifeste dans De la création(*).

Question forme, le travail de l’auteur du Livre d’un homme seul, titre très révélateur, est plus que significatif. Michel Draguet commente :  » Il est le contraire d’un Ai Weiwei qui a emprunté sa grammaire à l’Occident, à Marcel Duchamp en particulier. Xingjian explore les traditions chinoises, notamment celles infiniment subtiles du paysage et de l’encre de Chine. Nous disons l’encre de Chine mais il en existe des centaines… Il a pris le parti d’explorer ces nuances, ainsi que celles des différents papiers qui lui servent de support. A travers cette poétique, il aborde des sujets qui nous concernent tous. Son travail est celui d’un sage, altruiste et empathique qui affiche le sourire de la bonté.  »

(*) De la création, par Gao Xingjian, Seuil, 2013.

Gao Xingjia. L’éveil de la conscience, Musées royaux des beaux-arts, à 1000 Bruxelles. www.fine-arts-museum.be

Jusqu’au 26 février 2020.

PAR MICHEL VERLINDEN

 » C’est un témoin fascinant du XXe siècle.  »

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