A New York, Wylie Dufresne incarne l’avant-garde de la cuisine contemporaine. Spécialiste des gélifiants, il expérimente aujourd’hui d’autres ingrédients, comme les enzymes… à l’origine de l’un de ses plats les plus célèbres : le cannelloni de crevettes.

« J’adore le poulet rôti et les frites, confie Wylie Dufresne. J’ai une formation tout à fait classique. Pendant six ans et demi, j’ai travaillé pour Jean-Georges Vongerichten ( NDLR : un des 3- étoiles de Manhattan) ainsi que dans plusieurs de ses restaurants, dont JoJo, Jean-Georges, Mercer Kitchen ou Vong. J’ai terminé comme chef de cuisine dans son Prime Steakhouse, à Las Vegas. J’ai aussi effectué des stages en France, chez Guy Savoy et Marc Meneau.  »

Joignant le geste à la parole, Wylie Dufresne, 36 ans, place dans le grand verre qui lui sert de bol deux ribs bien grillés.  » Je suis ensuite devenu chef d’un restaurant dont mon père était l’un des multiples propriétaires. Mais lorsqu’il s’est agi d’ouvrir le wd~50, Jean-Georges a accepté de devenir mon partenaire.  »

Comme chaque jour, Wylie Dufresne arrive vers 13 heures dans son restaurant du 50, Clinton Street. La cuisine est spacieuse, doublée d’une pâtisserie et d’un espace frigorifique dans les caves. Un ou deux détails retiennent l’attention, comme cette étagère remplie de pots blancs, similaires à ceux que l’on trouve dans les laboratoires de chimie ou de pharmacie.

Sur de grandes plaques sont étalées de larges tranches de b£uf, saupoudrées d’une substance blanche. Il s’agit d’Activa TG, le nom commercial de l’enzyme transglutaminase.  » C’est du plat de côtes, une viande à bouillir, explique Wylie Dufresne. Nous en formons un gros boudin dans du film plastique et nous cuisons ensuite à basse température pendant 24 heures. L’enzyme assure la liaison entre les tissus, celle-ci se forme au niveau des protéines elles-mêmes. On obtient alors un morceau de viande homogène, très tendre.  »

Wylie Dufresne utilise la transglutaminase dans une recette qui l’a rendu célèbre : son  » shrimp cannelloni « . Les grosses crevettes sont littéralement aplaties au rouleau et  » liées  » par l’enzyme. Elles constituent ainsi une feuille rigide et élastique utilisée comme une pâte.  » Le concept est de manger des crevettes de deux manières, puisque le cannelloni est farci d’un tartare de crevettes « , s’enthousiasme le chef américain.

C’est lorsqu’il a ouvert le wd~50, que Wylie Dufresne s’est spécialisé dans les additifs, essentiellement des gélifiants et émulsifiants.  » J’utilise, par exemple, 7 différents méthylcellulose, 2 Gellane, 5 carraghénanes, 3 gélatines animales, 4 agar-agar, poursuit-il. Je recours aussi à 7 alginates différents. Dans la vie, on peut très bien se contenter de reprendre ce que font les autres. Pour ma part, j’ai besoin d’apporter une contribution personnelle, de laisser mon empreinte. Ma formation scolaire (il a obtenu un diplôme en philosophie avant de se lancer dans la cuisine, à l’âge de 21 ans) m’a appris à apprendre. J’ai frappé à la porte des fabricants. Ils ont d’abord été surpris, plus habitués à vendre leurs produits à l’industrie, par palettes entières. Néanmoins, aujourd’hui que les médias se sont intéressés à moi, je reçois des offres de collaboration. On vient me proposer des produits, me souffler des idées pour les utiliser.  »

Mais toutes les recettes de wd~50 ne font pas appel à des gélifiants. C’est le cas du couscous de crevettes, d’une préparation d’une fabuleuse simplicité. Le couscous lui-même est élaboré à partir de la chair des crevettes  » simplement  » suée avec du beurre, du sel et du poivre, puis passée dans un robot ménager, en mixant par à-coups jusqu’à obtenir la granulométrie d’un couscous. On croit ainsi savourer du vrai couscous, aromatisé.

Wylie Dufresne aime la métaphore. Outre le couscous, il est très fier de son £uf sur le plat… composé de lait de coco et de jus de carottes ! Le blanc, le jaune et la membrane transparente qui recouvre  » l’£uf  » sont élaborés à l’aide de… quatre gélifiants. Et  » pour faire tout à fait vrai « , ce mets est assaisonnée de sel, poivre et huile d’olive.  » En cuisine, on part du principe que tous les ingrédients sont connus, ou presque, conclut le chef inventif. On ne peut pas les changer. Les techniques, elles, peuvent évoluer et c’est à cela que je m’applique.  »

Carnet d’adresses en page 94.

Reportage : Jean-Pierre Gabriel

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content