2010 est une année faste pour l’actrice britannique, à l’affiche de grosses distributions hollywoodiennes comme Prince of Persia et Le Choc des titans. Et brille dans deux films indépendants très réussis : La Disparition d’Alice Creed, de J. Blakeson, et le désopilant Tamara Drewe, de Stephen Frears. À découvrir en septembre prochain.

« Allô ? Je suis dans le métro, à Londres, dit-elle d’une voix rauque. Vous m’entendez ?  » On entend parfaitement. On est aussi étonné : Gemma Arterton n’a donc pas de chauffeur ?  » Non, je déteste ça : on se sent coupé du monde.  » Et c’est ce qu’il y a de terriblement attirant chez cette actrice, qui passe des blockbusters – Le Choc des titans, Prince of Persia – à des films indépendants,  » so british  » comme elle le dit si bien avec son accent cockney . Elle a beau avoir joué Shakespeare sur les planches, donné la réplique à Daniel Craig dans le dernier James Bond, Gemma, 24 ans, écoute toujours sa maman, femme de ménage, et son papa, ouvrier métallurgiste :  » J’étais si fière d’avoir tourné des films à gros budgetà Ils les ont trouvés nuls !  » Diplômée de la Royal Academy of Dramatic Art de Londres, la comédienne a connu une ascension fulgurante depuis qu’elle a joué dans St Trinian’s, avec Rupert Everett et Colin Firth, en 2007. Dans Tamara Drewe, de Stephen Frears, qui sort en salle le 15 septembre prochain, Gemma a quelque chose d’une adolescente : un corps dont elle se sert pour mesurer son pouvoir de séduction, un côté petite fille qui réalise son rêve. Mais, dans La Disparition d’Alice Creed (sur les écrans le 8 septembre), elle révèle une autre facette : punk, rebelle, troublante. Conversation avec une jeune femme puissante, drôle et directeà Une tempête dans une tasse de thé !

Tamara Drewe est adapté du roman graphique de l’auteure anglaise Posy Simmonds. Comment décririez-vous ce personnage ?

Avec son nez refait, ses jambes interminables, ses aspirations à la célébrité, Tamara est l’amazone londonienne du xxie siècle. Son retour dans son village natal est un choc pour la petite communauté qui y vit en paix. Une communauté excentrique, partagée entre écrivains, universitaires frustrés, une rock star au rancart et une population locale en déshérence. Tous sont attirés par Tamara dont la beauté pyromane et les divagations amoureuses éveillent d’obscures passions. Elle va provoquer un enchaînement d’événements aussi absurdes que tragiques.

Comment vivez-vous le grand écart entre films indépendants et grosses productions, comme Prince of Persia ?

Je n’aurais jamais pensé devenir un jour une princesse Disney ! Prince of Persia est un croisement entre Star Wars et Indiana Jones, un genre que je connais peuà Mais je me suis beaucoup amusée pendant le tournage : je n’ai jamais été sportive et, là, j’ai appris à monter à cheval, à faire des cascades, à me battre à l’épée et à lancer des couteauxà Quand j’étais petite, ma famille me surnommait Blanche-Neige, car j’avais de longs cheveux noirs et la peau très blanche. Mais je suis un garçon manqué ! Je ne ressemble pas à la princesse Amina et je n’arrive pas à croire que, aujourd’hui, il y a même une poupée à mon effigie. Cela dit, si j’ai pu faire du cinéma d’auteur, plus créatif, c’est aussi grâce à la visibilité que m’apportent ces films hollywoodiens.

Comme Quantum of Solace, le dernier James Bond où vous envoûtez Daniel Craig ?

J’ai lu des interviews d’ex-James Bond girls toujours en train de se justifier. Mais James Bond, c’est une institution  » for God’s sake !  » (Pour l’amour de Dieu !). Quand je serai vieille, je pourrai dire à mes petits-enfants :  » Votre grand-mère a embrassé 007 !  »

Y a-t-il une différence entre les Britanniques et les Américains dans la façon de concevoir les scénarios, d’aborder le jeu ?

Les acteurs britanniques ont souvent un background théâtral, ils sont les héritiers d’une tradition qui va de Shakespeare à Monty Python. Quand ils jouent, les Anglais sont dans l’instant présent, comme au théâtre. En revanche, les Américains, eux, se précipitent sur le moniteur après chaque prise pour contrôler leur performance à l’écran. Ce qui fait retomber la tension dramatique. Pour ce qui est des scénaristes, les Britanniques ont un sens profond de l’ironie, de l’autodérision, de l’absurde. Si les Américains ont tendance à faire triompher le bien, chez nous, le héros est souvent un looser. Même les situations les plus graves sont décrites de façon décaléeà Parfois, nous sommes vraiment d’un cynisme cinglant, mais cela nous fait rire.

C’est le cas de La Disparition d’Alice Creed, thriller psychologique de J. Blakeson où vous incarnez la victime d’un enlèvement. Un huis clos si haletant que l’on finit par être pris d’un rire nerveuxà

C’est le genre de cinéma indépendant anglais que j’adore. Un film violent, perturbant : on me voit nue, attachée à un lit, les yeux bandés et la bouche bâillonnée, à la merci de deux ravisseurs. Mais le dénouement est inattendu : Alice Creed n’est pas qu’une victimeà Et ses bourreaux sont aussi redoutables qu’étrangement poétiquesà Jouer ce personnage a été un challenge pour moi : tous les soirs, je rentrais à la maison en larmes et pendant le tournage, je piquais des fous rires. J’avais aussi peur de la réaction de mon pèreà Il a adoré ! Ma nudité ne l’a pas dérangé. Désincarnée, clinique, elle évoque plutôt les photos de Guy Bourdin.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir actrice ?

À 16 ans, j’ai eu un choc en voyant Björk dans Dancer in the Dark, de Lars von Trier. À cette époque, je voulais être chanteuse, pas actrice. J’ai grandi dans la musique : le cousin de ma mère était le leader de Wreckless Eric, un célèbre groupe punk des années 70. À la maison, on n’écoutait que du rock anglais ! J’ai appris à jouer de la guitare et j’ai formé mon premier groupe à 14 ans, un  » girls band  » baptisé Violent Pink. Que des filles, dans le genre punk enragé ! [Elle rit.] Je joue toujours, mais, aujourd’hui, je fais de la musique folk.

Comment êtes-vous arrivée à la Royal Academy of Dramatic Art ?

Après avoir pris des cours dans une école de théâtre, j’ai gagné une bourse pour y entrer. J’ai quitté Gravesend, ma ville natale, dans le Kent – là où est enterrée Pocahontas ! – et j’ai débarqué à Londres sans un rond. Pour payer mon loyer, j’ai travaillé dans une parfumerie, puis comme hôtesse dans un bar-karaoké, le Duke of Sussex, un lieu surréaliste ! À l’académie, j’étais un peu l’Eliza Doolittle de la classeà Les élèves étaient issus de milieux aisés. Je me souviens de leurs conversations :  » Mon père m’a montré le dernier Ken Loach. J’ai adoré, et toi ?  » Moi, je me demandais :  » Qui est ce Ken Loach ?  » Je rattrape mon retard tous les jours. Mais je me pince encore pour être sûre que ce que je vis n’est pas un rêve.

Comme Scarlett Johansson, vous avez une sensualité débordante, vous assumez vos formes voluptueusesà

J’aime le corps féminin, ses rondeurs, ses imperfections. Si on me demandait de maigrir pour un rôle, je refuserais. On peut toujours s’arranger avec des costumes, du maquillage et de bons éclairages. Et puis, on peut jouer avec ses défauts : pour contourner l’un de mes complexes, je me suis fait tatouer derrière mes oreilles, décollées, deux petits anges ailés !

Vos projets ?

Remonter sur les planches. En 2007, j’ai joué Peines d’amour perdues, de Shakespeare, au Globe Theatre : un souvenir merveilleux. À la rentrée, je serai dans une nouvelle pièce, mais je ne peux pas en dire plus. Quant au cinéma, le réalisateur italien Luca Guadagnino m’a offert l’un des plus beaux rôles qui m’aient été proposés. Si ça marche, le film – qui se situe dans les années 70 – sera tourné en Corse. Enfin, je rêverais de jouer le rôle de Courtney Love dans le film qu’elle aimerait faire sur son histoire avec Kurt Cobain.

Par Paola Genone

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