Du plaisir d’une bonne e-réputation au harcèlement qui devient un mal-être, pas toujours facile d’y voir clair dans le monde virtuel des ados. Infos et astuces pour mieux comprendre les digital natives.

« Je ne comprends pas pourquoi personne ne me tague sur ses posts alors que mes hashtags sont cool et mes followers actifs sur ma timeline.  » Si cette prose contemporaine vous semble venue d’une autre planète, alors il est temps pour vous de faire un petit update (ou mise à jour, pour les cas les plus désespérés). Dans un monde toujours plus connecté, les mineurs sont les premiers utilisateurs des nouvelles technologies. Leur top 3 : computers, smartphones et tablettes. En 2013, BELSPO, l’organisme gouvernemental responsable des politiques scientifiques au niveau fédéral, lançait CLICK, la première étude à grande échelle en Belgique sur les ados et l’usage problématique de l’ordinateur et d’Internet. On y découvrait que pas moins de 99 % des 12-17 ans ont accès au Web à la maison. Qu’ils soient en Wallonie ou en Flandre, les teen-agers peuvent surfer sur l’équipement familial. Ils sont même une écrasante majorité à posséder leur propre laptop. Quant aux mobiles intelligents, ils sont en pleine expansion, atterrissant dans la poche de plus de 60 % des Belges issus de cette génération Z. Une connexion à portée de main, 24h/24, quel que soit l’endroit, à condition d’avoir de la batterie. Mais que font-ils en ligne ? On le sait, ceux qui ont toujours connu les technologies de l’information et de la communication ont leur péché mignon : les réseaux sociaux. Près de 90 % d’entre eux ont un profil sur une ou plusieurs des plates-formes, toujours selon CLICK. Partager les moments importants de son existence ou surexposer sa vie privée, il est toutefois difficile de trouver le juste milieu car qui dit publications dit réactions, et parfois, elles sont tout sauf élogieuses.

HATERS GONNA HATE

Rumeurs, pressions, critiques, menaces, l’intimidation peut prendre différentes formes, qu’elle se passe à l’école ou dans le monde numérique. Selon l’Unicef, le cyber-harcèlement serait la cause de dépression la plus importante chez les jeunes. En Belgique, un tiers d’entre eux ont déjà été victimes d’agressions personnelles en ligne. Et on dépasse 75 % lorsqu’on leur demande s’ils ont déjà été témoins de cette pratique. Dans sa dernière campagne, l’organe de l’ONU a mis en scène des élèves qui exécutent un camarade à l’aide de leur téléphone dernière génération. Leur slogan :  » Utilisez votre smartphone à bon escient, ne tuez pas l’estime personnelle des autres.  » Des images qui interpellent pour une problématique qui mobilise, à tous les niveaux.

Kylie Jenner, la petite dernière de la famille Kardashian, est bien placée pour savoir que l’opinion publique n’est pas toujours clémente. Parmi ses millions de followers, on ne compte pas que des admirateurs. Elle a fait part de son mal-être, en juin dernier :  » Je suis martyrisée depuis mes 9 ans. Parfois j’ai l’impression de l’être par le monde entier.  » Un témoignage qui amène à réfléchir sur ce que l’évolution d’Internet peut induire, les objets connectés assurant la continuité des critiques, à toute heure du jour et de la nuit. C’est pourquoi la cadette du clan Kardashian a décidé de lâcher un peu les selfies au profit d’une bonne action. Celle que beaucoup de teens admirent a lancé, en septembre dernier, une campagne Instagram nommée #iammorethan. Tout juste majeure, la demoiselle aux 37 millions d’abonnés utilise sa notoriété pour mettre à l’honneur des victimes 3.0. Ainsi, sur son profil, des personnes collectionnant les injures lui volent la vedette. Initialement prévue sur six jours, la campagne de la starlette pourrait bien se prolonger, au rythme d’une publication par semaine.

Et puisque le cyber-harcèlement n’épargne personne, même l’homme le plus influent des Etats-Unis a accepté de jouer le jeu en participant à l’émission Mean Tweets de Jimmy Kimmel en mars dernier. Le concept qui a fait la renommée de ce programme est accrocheur : la célébrité invitée découvre des messages négatifs à son sujet via Twitter et peut réagir, face caméra.  » Ses cheveux sont devenus gris ces derniers jours. J’ai du mal à voir pourquoi, vu qu’il ne semble pas se soucier de ce qu’il se passe « , lit Barack Obama, ne pouvant retenir une grimace. Cette personne aurait-elle dit la même chose face au président ? Michael Stora, psychologue et co-fondateur de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines (OMNSH), insiste sur un des paradoxes du Web :  » Derrière leurs écrans, les gens se désinhibent. Le fait de ne pas se trouver physiquement en confrontation avec la personne peut développer une facilité à exprimer des remarques qu’ils n’auraient pas faites dans la réalité, ou qu’ils auraient nuancées.  » L’expert est formel, si cette nouvelle pratique est bien en corrélation avec ce qu’on constate offline, elle est aussi liée à la susceptibilité des internautes. Pendant l’adolescence, on parle souvent de fragilité narcissique, qui rime avec une image de soi dévalorisée et des doutes sur ses capacités à être aimé. Cependant, hors de question de dramatiser, à en croire l’expert :  » Le harcèlement a toujours existé, c’est sa forme qui évolue. Il ne faut pas oublier qu’à cet âge-là, on se taquine, on fait des blagues de mauvais goût. S’y confronter n’est pas une mauvaise chose en soi.  » Parfois, ce sont les parents les plus inquiets, largués par ces procédés qu’ils connaissent mal. Mais pas de raison de se faire un sang d’encre, il existe des innovations pensées pour les rassurer.

RÉFLÉCHIR PUIS ÉCRIRE

Si les cas extrêmes sont encore minoritaires, le phénomène d’intimidation en ligne peut parfois conduire à la mort. En septembre dernier, suite au drame d’une fillette de 11 ans poussée au suicide par l’acharnement des internautes, est né Rethink. Ce programme informatique a pour objectif d’endiguer le lynchage virtuel. A seulement 15 ans, Trisha Prabhu, lycéenne dans l’Illinois, a créé ce software permettant aux internautes malveillants, plus connus sous l’appellation de haters, de réfléchir à deux fois avant d’envoyer quelque chose de blessant. L’étudiante, touchée par l’histoire de celle qui aurait pu être sa camarade de classe, a voulu agir. Le principe est simple : une fois installé, le logiciel reconnaît les commentaires haineux via un filtre. Juste avant que l’un d’entre eux soit publié, une alerte apparaît sur l’écran et demande à son auteur s’il est certain de vouloir écrire ce contenu. Et il s’avère efficace puisque ceux qui l’ont testé se sont réfutés à 93 %. Le message n’est donc pas envoyé et le mal est évité.

Pour Anne-Sophie Bordry, présidente du think tank Objets connectés et intelligents, en France, cette démarche n’est cependant pas la plus efficace :  » Les systèmes de blocages comme ceux-ci, ça ne fonctionne pas, car ils traitent le texte, mais pas forcément la répétition. Donc si quelqu’un envoie à une ado, tous les jours à 8 heures du matin, un texto insultant, cette solution ne marche pas.  » Pour aller plus loin, l’entrepreneuse a créé une appli se basant sur le principe que c’est surtout l’entourage qui compte. A travers Stop Bashing, la passionnée de nouvelles technologies a voulu rétablir le lien parent-enfant.  » Mon idée c’est que le jeune puisse se confier à un proche, plus facilement que lors d’un face-à-face. Les insultes proviennent souvent des amis, c’est pour cela qu’elles font mal. En parler, c’est essentiel « , explique-t-elle. Pour cela, elle a mis au point un moyen pour qu’adultes et ados puissent échanger de façon simple et ludique. Une photo dégradante ou un commentaire humiliant repéré ? Le jeune peut faire une capture d’écran et l’envoyer à un proche par le biais de Stop Bashing. L’aîné voit alors de quoi il s’agit et répond au travers d’émoticônes tricolores. Vert : acceptable. Orange : parlons-en. Rouge : danger.  » Le dialogue par l’image est efficace, c’est beaucoup plus simple pour la victime de sauvegarder une photo plutôt que de mettre des mots sur un mal-être qui peut s’avérer complexe. On peut alors réagir rapidement, sans passer par des explications orales « , développe-t-elle. La spécialiste rappelle la véritable fracture générationnelle et, selon elle, pour que le soutien soit efficace, il est nécessaire de réduire la distance au sein de la famille. C’est l’analyse du problème qui est fondamentale. Ici l’innovation se trouve dans la combinaison de savoirs techniques et de relations humaines.

L’E-DUCATION

Si l’application devrait être disponible sur l’Apple Store et Google Play belge dans les prochains mois, l’ancienne chargée des affaires publiques Europe du Sud de Facebook pense que les établissements scolaires ont aussi un grand rôle à jouer. Peu importe la méthode, ce qui est primordial, c’est la sensibilisation et elle passe forcément par l’enseignement.  » Les écoles se rendent compte que le numérique prend une place de plus en plus importante et qu’il faut établir des règles « , confie Olivier Bogaert, commissaire de la Computer Crime Unit de la Police fédérale de Bruxelles. Le cyber-harcèlement en Belgique est un phénomène de plus en plus répandu, et selon lui, la prévention est indispensable.  » On se retrouve dans des situations où dès qu’il y a un problème, il prend des proportions énormes, regrette le policier. Avec les nouvelles technologies, le souci devient permanent, il ne s’oublie pas si facilement.  » A travers ses séances d’infos dans le secondaire, le gradé tente de venir en aide aux professeurs et aux élèves, via des vidéos, des présentations, des fiches pour les enseignants ou des groupes de parole. Une conscientisation nécessaire, car les ados ne se rendent pas toujours compte du mal qu’ils font.  » Souvent, ils sont dans le jeu, dans la provocation. La plupart du temps il n’y a pas de réelle volonté d’atteindre au bien-être de l’autre, observe le spécialiste. Mais la petite blague peut vite devenir un enfer pour celui à qui elle était destinée, surtout à cet âge-là.  »

L’officier évoque l’idée qu’une harmonisation des sanctions à l’échelle nationale serait inefficace et que c’est bien au niveau local qu’il faut établir les mesures à prendre. Actuellement, ce sont les établissements qui décident des conventions du numérique au sein de leur propre règlement intérieur.  » Au moins c’est clair pour tout le monde. Les règles sont signées par les parents en début d’année et correspondent à des conséquences précises « , décrit-il. Et parfois, la solution peut même venir du problème lui-même. Olivier Bogaert a déjà vu des harceleurs changer de camp. Se rendant compte qu’ils étaient allés trop loin, ils deviennent les défenseurs de ceux à qui ils ont fait du mal.  » Les choses bougent ! Mais ce n’est que le début, il faut continuer « , conclut-il.

Depuis avril, la police belge lutte contre le cyberbullying sur Facebook : elle se bat contre les différentes violences virtuelles ayant lieux sur la plate-forme, afin que le respect ne s’arrête pas là où les écrans s’allument. Et c’est Sylva Polfliet, qui travaille au sein de la police d’Asse, Merchtem, Opwijk et Wemmel, en Brabant flamand, qui a été choisie pour devenir la première netcop du pays. Sa mission ? Répondre aux questions des étudiants du secondaire par le biais de son profil conçu pour l’occasion. Un simple message privé sur sa page permet d’entrer en contact. Elle analyse ensuite le degré de l’intimidation, puis conseille la victime sur les démarches à suivre. Elle apporte aussi des outils pour maîtriser les paramètres de confidentialité.

Mais si la technologie a donné naissance à de nouveaux problèmes, Anne-Sophie Bordry souligne qu’il ne faut pas en oublier les avantages.  » Internet c’est génial pour les jeunes, c’est un accès à la culture et au savoir exceptionnel. En ligne on peut apprendre à coder ou à faire de la physique par des jeux « , s’enthousiasme-t-elle. Les réseaux sociaux ont même déjà sauvé des vies, selon l’experte. Dans les pires situations, le mal-être peut être repéré en ligne grâce au groupe d’amis, qui eux, avertissent un adulte.  » Les psychologues peuvent alors agir avant qu’il ne soit trop tard. Les social media peuvent créer une entraide qui n’est pas à sous-estimer « , affirme- t-elle. Cette génération Z, aussi appelée génération silencieuse, n’a pas fini de faire parler d’elle. Encore faut-il se donner les moyens de la comprendre.

PAR LUCIE JACQUEMET

Pendant l’adolescence, on parle souvent de fragilité narcissique, qui rime avec une image de soi dévalorisée et des doutes sur ses capacités à être aimé.

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