Recycler, c’est bien vu. Upcycler, autrement dit faire du chic, du pointu, avec ce qui, jusqu’il y a peu, était voué à la poubelle, c’est encore mieux. La nouvelle attitude design séduit aussi les industriels. Un livre de trucs et astuces vous encourage même à faire pareil.

Avant, récupérer de vieux meubles pour les rafistoler avec un petit twist perso, on appelait ça de la débrouille. Crise et changements climatiques obligent, le bon plan est devenu philosophie, à mi-chemin entre design et nécessité. Toute une génération de créateurs semble s’être donné pour mission de ressusciter le rebut. Mais surtout d’offrir à ces objets ou ces matériaux recyclés une deuxième vie encore plus belle que la première.

 » Tout le monde a intégré aujourd’hui qu’il fallait être attentif à ce que l’on consomme, souligne Jean-Luc Colonna d’Istria, directeur du pôle maison du concept-store écolo-chic Merci, à Paris. Au début, on se contentait de transformer des bouteilles en plastique en sacs-poubelle. C’était tirer le produit vers le bas. L’upcycling implique de lui donner de la valeur, tant en termes de style qu’en termes d’usage. « 

La démarche est en réalité moins neuve qu’on ne le croit. En 1957 déjà, les frères Castiglioni s’amusaient à fabriquer un tabouret à partir d’un siège de tracteur.  » Ce qui est nouveau, c’est la généralisation du phénomène, ajoute Jean-Luc Colonna d’Istria. Partout dans le monde, de jeunes designers cherchent à affronter la question du développement durable. Et la diversité des réponses est particulièrement intéressante. « 

Ces objets débrouillards qui titillent aussi nos envies de fait main, de frugalité, rappellent les créations souvent teintées d’humour du collectif néerlandais Droog Design – fondé en 1993 par Gijs Bakker et Renny Ramakers – et basées, elles aussi, sur l’économie de moyens et la réutilisation des ressources. La Rag Chair de Tejo Remy, constituée de vieux vêtements sanglés avec du ruban métallique, tout comme sa commode Chest of Drawers montée à partir de tiroirs dépareillés assemblés au hasard sont devenues des pièces de musée. Si l’idée peut être reproduite, le design final n’est jamais identique. L’artisanat n’est pas non plus bien loin. Qui dit fabrication sur demande, dit forcément possibilité d’autoproduire dans son atelier. Du pain béni pour les designers sortis de l’école sur fond de décroissance économique et souvent bien en peine de se trouver un éditeur.

Un kit de réanimation

Dans son studio londonien, Peter Marigold est passé champion dans l’art de changer le karma de vieux cageots de légumes. Ses meubles atypiques, pour la plupart édités en série limitée et vendus dans les plus prestigieuses galeries du monde, ont propulsé le jeune diplômé du Royal College of Art au rang de nouvelle star du design mondial. Les membres du collectif français 5.5 designers avaient déjà beaucoup fait parler d’eux en 2003 en mettant sur le marché un  » kit de réanimation  » de meubles et d’accessoires. Pas question de restauration, ni de détournement : il s’agissait de leur poser des  » prothèses  » en plastique vert vif pour les rendre à nouveau utilisable. Lors du dernier Salon du meuble de Milan, en avril dernier, la petite bande sortait son premier livre de recettes : feuilleté de livres, velouté de lumière, patères en croûte, tabouret façon tatin, fondant de bougiesà Le but ? Fabriquer des objets à la maison comme on préparerait un bon petit plat.  » Nous voulons encourager l’autoproduction pour réussir à se dégager d’un acte d’achat passif et abrutissant, expliquent-ils. Il ne s’agit en aucun cas de suivre ces recettes à la lettre mais bien de faire à sa sauce. Vos ingrédients sont les objets industrialisés qui vous entourent.  » Libre à vous de vous débrouiller avec ce que vous avez. Ou d’acquérir le set de base, comprenant une pièce en laiton doré qui  » signera  » votre serre-livres ou votre lampe 5.5designers.

On retrouve la même envie d’inventer un nouvel usage – bien pratique au demeurant pour tous ceux qui ont la manie de ne pas se souvenir de l’endroit où ils ont déposé leurs clésà – dans l’amusant Keyplug de la Belge Marina Bautier, inspiré par les bouchons d’évier à l’ancienne que l’on trouve encore dans les vieilles quincailleries. Le Norvégien Alex Hellum a pour sa part choisi de récupérer des pieds magnifiquement tournés de chaises devenues inutilisables pour en faire des portemanteaux. Sa compatriote Amy Hunting, aujourd’hui installée à Londres, sculpte et colle des déchets de bois provenant d’usines danoises pour en tirer des abat-jour, des chaises ou des bibliothèques. Un mobilier sans vis, ni boulons, lui-même entièrement recyclable. Au Canada, Doha Chebib, membre du collectif Loyal Loot, travaille avec des artisans locaux pour tourner, peindre et vernir des troncs et des branches d’arbres endommagés par les tempêtes et sublimés en coupes et coupelles.

Mais l’upcycling, c’est aussi l’art de détourner une matière de son usage premier. Ainsi, à Madrid, les jeunes Espagnols d’Ecoalf fabriquent industriellement un tissé dérivé d’anciens filets de pêche qui servira à créer des sacs ou des blousons. Au Japon, les fondateurs de Cuiora réinterprètent en couleurs les bandes de papier recyclé qui servent à porter les ballots de riz pour imaginer des saladiers ou des coussins. Même les vieilles chambres à air reprennent vie sous la forme de casques de moto signés Hell’s Kitchen.

 » L’impact négatif qu’aurait pu avoir la crise est largement compensé aujourd’hui par la facilité avec laquelle les jeunes créateurs peuvent se faire connaître via Internet, poursuit Jean-Luc Colonna d’Istria. Cela permet à des petits débrouillards d’être repérés beaucoup plus vite qu’auparavant. C’est une génération très réactive, capable de se mobiliser très rapidement. Les produits upcyclés répondent à nos envies de différentiation. Cela encourage les petites séries. Que l’on a tendance à mettre en £uvre près de chez soi. Car cela n’a aucun sens de courir en Chine pour éditer 300 pièces. « 

L’industrie pourtant n’est pas restée en rade. L’Américain Emeco a présenté à Milan, en avril dernier, une version en PET recyclé de sa Navy Chair produite à l’origine en aluminium. Chaque nouveau modèle réutilisera l’équivalent de 111 bouteilles de Coca-Cola. Plus de trois millions d’entre elles éviteront ainsi la décharge chaque année. Sous l’impulsion de Marcel Wanders – un des premiers disciples de Droog Design – l’Italien Magis s’est inspiré des techniques de production des bouteilles d’eau en plastique soufflé pour créer une chaise transparente ultralégère qui ne pèse pas plus d’un kilo.

Parce que l’upcycling est avant tout un état d’esprit, les éditions Thames & Hudson viennent aussi de sortir un guide pratique reprenant à la fois les meilleurs projets du moment mais aussi plein de trucs et astuces pour mettre ces grands principes en pratique à la maison. Cela va du tip tout simple – utilisez donc des vieux magazines pour emballer vos cadeaux – à des constructions plus sophistiquées, plan à l’appui. Page 106, on y apprend même comment se bidouiller une guirlande de Noël avec des balles de ping-pong et de la colle thermofusible. Ça tombe bien, c’est bientôt la saisonà

Par Isabelle Willot

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