L’été se dessine entre jupons et capelines, avec de faux airs hippies et une allure de gitane insouciante. Frais et léger, ce revival des Seventies est remanié avec art et hommages par les créateurs d’aujourd’hui. Un style engagé, à nous rendre baba !

Oubliez les petits tops étriqués et les jupes moulant les fesses : l’été 2005 préfère un volume aérien où les robes virevoltent autour du corps. Un brin d’Esmeralda, des foulards dans les cheveux, des franges à qui mieux mieux… Le look gitane est en effet la tendance incontournable du moment. Chef de file du mouvement, Jean Paul Gaultier fait danser ses jupons sur la cheville de bohémiennes infiniment féminines, tandis que les capelines dégoulinent sur le regard chez Rykiel et chez Dior. Sur le podium de Sportmax, l’allure est tout aussi folk et métissée, comme chez Kenzo où Antonio Marras brouille les pistes avec un savant mix de broderies orientales, de fleurettes rétro à l’anglaise, d’imprimés africains et autres bijoux en perles. Même chose chez Zucca avec tuniques indiennes et autres saris. Sans parler des fameux mocassins indiens qui fleurissent, en technicolor, dans toutes les boutiques. Cet esprit au folklore est tout droit dans la lignée des années septante. A l’époque, on rejoignait Katmandou et on s’habillait dans les surplus militaires. Aujourd’hui, on investit les souks et redécouvre les plaisirs d’une pièce vintage. Et l’idée est toujours la même : mixer, mélanger et inventer, pour ne pas ressembler.

Flash-back : fin des années 1960, on clame partout une certaine anti-mode. Adieu costumes guindés et silhouettes bien rangées. Les garçons adoptent les cheveux longs et les filles grimpent sur des semelles compensées, portés par un esprit contestataire. Robes tuniques, jupons virevoltants, caftans multicolores, manteaux afghans, châles à franges ou chemisiers en dentelle, les jeunes de l’époque piochent dans le vestiaire oriental et réhabilitent un certain romantisme gitan en rejetant en vrac tous les codes établis. Les plus idéalistes d’entre eux sont les fameux hippies qui s’insurgent contre le bon goût et clament qu’il est interdit d’interdire. Utopistes, ils rêvent d’un retour à la nature et d’un corps libéré. Désinhibé.

A cheval entre les décennies soixante et septante, le mouvement hippie part du quartier de Haight Ashbury, à San Francisco. Mais il s’empare très vite de toute la sphère occidentale. A Londres, Paris ou New York, la contestation est d’ailleurs adoptée par les créateurs de mode. Et donc officialisée. Quand la rue revêt le col Mao, la robe tunique ou les manteaux afghans, les collections les réinterprètent à leur manière. Yves Saint Laurent introduit ainsi saharienne et caftans dans les garde-robes, et dessine, pour l’homme, une nouvelle version du dandy. Le symbole de ce mâle moderne ? Mick Jagger, en veste de velours et chemises en soie imprimée. Quand les hippies chinent et ramènent de voyage des costumes orientaux, richement brodés, les techniques artisanales reviennent sur le devant de la scène. Pour l’été 1969, Christian Dior propose ainsi un look gitan avec gilets brodés, ceintures-bijoux à breloques et pantalons en velours aux coloris flashy. A Saint- Tropez, puis à Saint-Germain-des-Prés, le couturier Jean Bouquin ouvre une boutique pour hippies chics portée par une mode franchement orientaliste et richement brodée. A Londres, c’est Biba qui fait des émules avec ses jupons longs et sa mode romantico-décadente.

Et quand les hippies rêvent de retour aux sources et de nature, les créateurs s’en inspirent tout autant. Laura Ashley dessine d’ailleurs des collections rétro et fleuries, à mille lieues des révolutions de la minijupe.  » A partir de 1966, cette rêverie évanescente pour demi-vierges préraphaélites en capelines se traduit par d’efficaces collections, raconte François Baudot dans  » Mode du Siècle  » (éd. Assouline, 1999). Mauve, mièvre, fleuri, pudique, campagnard, le style Laura Ashley fera un triomphe en ville : longues robes bordées de broderies anglaises, textiles d’ameublement, accessoires dominés par le grand cabas de paille.  » Et François Baudot d’expliquer encore que  » la mode, de tous temps, se montre particulièrement habile à récupérer les courants nouveaux. Y compris ceux qui prétendent abolir son système « .

A regarder d’un peu plus près ces collections Seventies, il y a comme un petit air de déjà-vu. La capeline de Laura Ashley, le jupon long de Biba ou les broderies chez Dior ? Pile-poil ce que l’on retrouve cet été dans nos garde-robes ! Un peu gipsy, un peu hippie, on mélange les genres et les influences. Pour les hallucinations, on abandonne le LSD et on se concentre sur les imprimés. Les motifs psychédéliques rappellent les collections Pucci des premières années, tandis que les fleurettes désuètes et les impressions cachemire se marient aux broderies. En tête de ce mouvement ? John Galliano chez Dior. Le couturier britannique dessine une collection libertaire et légère. Broderies flower power, semelles compensées, treillis strassés et autres jupons légers se chargent de réhabiliter le style hippie. Le couturier n’en est d’ailleurs pas à ses premières armes de pacifiste : il déclinait déjà  » No war  » sur des tee-shirts au tout début de la guerre en Irak en 2003.

Du coup, c’est à se demander si la mode estivale, version 2005, joue elle aussi les contestations. On jurerait bien que oui. Car cette nouvelle mode hippie vient tout droit d’un mouvement indéniablement contestataire : les altermondialistes. Si les hippies allaient chercher leurs sources en Orient, les révoltés d’aujourd’hui vont piocher aux quatre coins du monde. Dreadlocks importées de Jamaïque sur la tête, sacs ornés de broderies et d’incrustation de miroirs à l’indienne, wax africain détourné en pantalon, pattes d’eph’ chinés dans les friperies et autres jupons longs aux allures de gitane… Les looks qui défilent et circulent à Porto Alegre jouent à fond les patchworks. Dans ces influences multiples, une seule vraie règle s’impose : on puise dans l’ancien et dans l’ailleurs pour ne pas sacrifier au nouveau. Et sans être un grand militant, on prône volontiers un certain retour aux sources. On mange bio, on s’habille bio et on achète éthique. Ce n’est donc sans doute pas un hasard si ces nouvelles consommations et les néo-hippies font leur retour en parallèle.

Pour épouser au mieux la tendance, il convient de saisir aussi l’esprit romantique. Alors que les hippies réclamaient un corps totalement libéré, l’été 2005 réhabilite, quant à lui, l’érotisme soft. On oublie le porno chic de ces dernières années pour lui préférer des évocations  » hamiltoniennes « . Les jupons longs et blancs, le macramé, le crochet, la dentelle anglaise et les blouses transparentes se chargent en effet de dessiner une silhouette légère et naïve. Elle n’est pas sans rappeler les héroïnes de  » Bilitis « , film culte tourné par David Hamilton en 1976. Le photographe, qui jouait les réalisateurs pour la première fois, y raconte les ébats amoureux d’une jeune pensionnaire d’école privée. Et si le scénario ne marque sans doute pas l’histoire du cinéma, l’esthétique est en revanche toute particulière, baignée par cette lumière floue si chère à Hamilton. Un flou qu’on retrouve, en 2005, dans les jupons froufroutants, le crochet et les sages dentelles anglaises déclinés par Karl Lagerfeld chez Chanel ou encore par Isabel Marant. La créatrice décline d’ailleurs des visuels à l’ambiance floue pour sa dernière campagne de pub, tout comme Morgan reprenait l’été dernier des clichés d’Hamilton.

Dans la même lignée, Veronique Branquinho choisit elle aussi de rendre hommage à l’héroïne sulfureuse  » Emmanuelle  » pour le défilé de sa collection été 2005. Les mannequins aux boucles longues tombant sur les épaules ont, en effet, pris la pose dans le fameux fauteuil en osier du film érotique. Côté mode, le blanc revient en leitmotiv et la sensualité est toute suggestive. Combinaison blanche en crêpe, maillots lamés or, robes portefeuilles et châles frangés dessinent une silhouette pleine d’allure, tandis que jupes, robes et pantalons flottent presque invariablement sur la cheville. Autre univers, autre inspiration cinématographique : Judith Milgrom, la créatrice de la griffe parisienne Maje, choisit de son côté le film  » Elle  » de Blake Edwards comme point de départ de sa collection. Tourné en 1979, ce film a révélé Bo Derek en véritable sex-symbol et reste dans les annales pour sa scène finale où Bo Derek et Dudley Moore font l’amour sur la musique du Boléro de Ravel.  » Bo Derek y incarne une certaine femme sauvage et naturelle, sexy au soleil avec sa tunique mouillée en sortant de l’eau, précise Judith Milgrom. Du coup, la collection reprend ces tons en demi-teinte, comme délavés par le soleil. Les soies sont froissées et délavées, le voile de coton s’assortit au macramé. C’est un univers indéniablement très Seventies, féminin mais pas chichiteux, avec des jupons mélangés, des touches de lingerie et beaucoup de sautoirs. Tout a l’air d’y avoir vécu, les tissus, les couleurs… Et si nous avions fait des santiags, elles seraient vieillies par des heures de marche. Car le ton est à la bohème voyageuse.  »

Un peu hippie, un peu gipsy, la musique redécouvre aussi ces inspirations gitanes. Le jazz manouche û mariage de la musique tsigane et du jazz des années 1930 û revient sur le devant de la scène avec des musiciens issus du clan de Django Reinhardt. Et en grand manitou de ce retour, on trouve Thomas Dutronc,  » fils de  » et amoureux des ambiances gitanes de Clignancourt. Pour la musique tsigane, il faut opter pour un long jupon et pour les airs années 1930, choisir une cascade de perles et sautoirs. Car mode et musique jouent sur le même accord. Et la griffe Maje est pile-poil dans le ton : Les robes longues adoptent le macramé, les blouses sont légères, les petites capes brodées se posent sur les épaules et les tons varient du vert amande au rose vieilli.  » Le style gipsy, conclut la créatrice Judith Milgrom, c’est sans doute cette indépendance du voyage, cette petite exubérance assumée, avec des mélanges de matières et d’inspirations. C’est surtout une mode où le mouvement n’est pas entravé où le jupon virevolte et le vêtement dessine une certaine sensualité.  » Plus  » gipsy queen « , tu meurs.

Amandine Maziers

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