Elles ont tout pour elles : la beauté, la jeunesse, l’argent, les voyages et même dans certains cas la gloire. A croire que les dieux avaient quelque chose à se faire pardonner le jour où ils se sont penchés sur leur berceau… Sauf que les mauvaises langues ajouteront perfidement qu’en contrepartie de cette plastique avantageuse et de ce statut social 24 carats, les top models héritent en prime automatiquement du gène de la frivolité, d’une dépendance chronique au sucre impalpable (sic) et, pour compléter le tableau, d’une cervelle de canari. Comme si les mêmes dieux, craignant sans doute qu’elles leur fassent de l’ombre, avaient été soudain pris de remords…

Une fois de plus, les clichés ne font pas dans la dentelle. A fortiori s’agissant de créatures exposées à tous nos fantasmes. Et toutes nos frustrations. Car si elle laisse rêveur, leur perfection souligne aussi au crayon gras tous nos petits défauts, qui passeraient presque pour des infirmités. Du coup, même si on les convoite, même si on les adule, même si on brûle, secrètement ou non, de leur ressembler un peu, on adore aussi les détester. Et railler l’insoutenable légèreté supposée de leur être.

Ni anges, ni démons

Qui se cache réellement derrière les ombres filiformes qui défilent sur les catwalks et hantent les magazines comme les rêves de milliers de jeunes filles ? D’insouciantes brebis écervelées prêtes à se jeter dans la gueule du premier loup qui passe ? Pour en avoir le c£ur net, nous avons sondé l’âme de quelques-uns de ces êtres magnétiques. Cinq exactement. Quatre filles et un garçon. Ils s’appellent Inge van B, An Oost, Jennifer Massaux, Charlotte Collard et Maxime Bocken. Tous sont belges. Et tous évoluent au plus haut niveau, au sein de cette élite mondiale de la mode que rejoindra peut-être la lauréate de notre concours  » Top of Weekend 2006  » (*). Ils sont donc bien placés pour nous parler des arrière-cuisines de la profession.

Première (demi) surprise. Aucune arrogance dans leurs propos, aucune morve dans leur attitude. A force de côtoyer – c’est une image – les mannequins vedettes des années 1980 et 1990, les Naomi, les Cindy, les Linda, etc., on s’attendait à voir débouler des starlettes, entourées de leur cour et précédées de leurs petits caprices. Mais rien de tout cela ici. Question de tempérament sans doute, mais aussi de génération. L’époque des stars est révolue. Qui peut citer cinq noms de mannequins qui ont défilé à Paris, en février et mars dernier ?

Oui, le métier offre d’indéniables avantages, reconnaissent nos interlocuteurs. Notamment l’argent, les voyages, les rencontres. Mais tout n’est pas rose pour autant, insistent-ils. Ah ah, nous y voilà enfin ! De la drogue ? Du sexe à gogo ? Sodome et Gomorrhe ? Non. Juste du travail, de la sueur, du stress et beaucoup d’ennui et d’attente. Un cocktail somme toute assez banal. Très loin, en tout cas, du triptyque strass, paillettes et glamour. Justement, pour y voir plus clair, reprenons un par un ces lieux communs qui collent aux basques des tops.

Décollage en douceur

L’âge des filles. On entend souvent dire que des filles très jeunes, de plus en plus jeunes même, se retrouvent propulsées aux avant-postes du mannequinat. Alors qu’elles sont encore tout à fait immatures et très loin d’avoir terminé leurs études. Si c’est vrai pour certaines candidates qui viennent des pays de l’Est et d’Amérique du Sud, en particulier du Brésil, souvent parce que c’est le seul moyen pour elles d’échapper à la misère, ce n’est pas le cas en Belgique, à de très rares exceptions. La plus connue étant Jade (une fille particulièrement précoce qui a fait ses premiers pas dans le métier à l’âge de… 13 ans). Les lois y sont d’abord plus strictes concernant le travail des enfants. Et puis surtout aussi les directrices d’agence ne souhaitent pas précipiter les choses. Si une jeune recrue voit sa cote immédiatement grimper en flèche, elle sera accompagnée, dans un premier temps, par ses parents.  » Jusqu’à mes 18 ans, ma mère me suivait partout « , témoigne Charlotte Collard (agence New Models), aujourd’hui 23 ans.

Les autres  » élues  » ont mis le pied à l’étrier plus tard. Jennifer Massaux, 20 ans, est dans le circuit depuis ses 16 ans mais s’est contentée de faire des petits boulots à gauche et à droite au début. Ce n’est que depuis quelques mois, à la faveur de son arrivée à l’agence Dominique, que sa carrière a pris un nouvel élan.  » C’était important pour moi de terminer mes humanités, explique-t-elle. Car j’ai bien l’intention de reprendre des études après.  »

Quant à Inge van B (New Models) et An Oost (Dominique), elles ont toutes deux été repérées par hasard. Inge par un scouter (un chasseur de tête) dans un bar à Anvers, An directement par la directrice de l’agence Dominique lors d’un défilé de fin d’études de La Cambre. Elle avait accepté de prêter sa longue silhouette à un ami étudiant, José Enrique Oña Selfa (qui a depuis fait son petit bonhomme de chemin et qui, pour la petite histoire, a de nouveau fait appel au top pour le dernier  » Mode c’est Belge  » de Weekend dans lequel il signait une carte blanche). L’une et l’autre avaient autour de 20 ans quand elles se sont retrouvées embarquées dans l’aventure. Sans vraiment y croire au début.  » J’avais des doutes sur ce que me racontait ce bonhomme dans ce bar à Anvers quand il me disait ce que je pouvais gagner par jour « , précise Inge. An de son côté n’a même pas cru à sa chance. Elle ne se trouvait tout simplement pas assez jolie.  » Je faisais des petits jobs mais rien à fond « , enchaîne-t-elle. Ce n’est que quand le photographe Mario Testino a posé son objectif sur elle que les événements se sont enchaînés. Dans la foulée, elle a été embauchée en exclusivité par Gucci. Depuis, elle n’a plus arrêté, alternant défilés, catalogues, campagnes (comme Banana Republic) et éditos (le jour même de l’interview, elle s’envolait pour la Sardaigne pour un shooting commandité par le  » Elle  » britannique).

Toutes reconnaissent cependant qu’il y a une tendance aujourd’hui à choisir des filles de plus en plus jeunes. La demande émane des clients, donc des marques. Les agences n’ayant souvent d’autre choix que de donner aux clients ce qu’ils veulent sous peine de les voir aller faire leur marché ailleurs. Les intermédiaires peu scrupuleux, en particulier à l’Est, ne manquent pas…

Un scénario bien rodé

La vie de palace. A nuancer très fort à entendre les intéressés. Déjà, il faut avoir la santé pour courir aux quatre coins du monde tout au long de l’année. La disponibilité est, en effet, l’une des clés du succès. Si on prend ses distances, qu’on refuse quelques boulots pour convenance personnelle, la sanction risque d’être immédiate : on est remplacé dans l’heure, on tombe dans l’oubli et il y a peu de chances pour qu’on refasse surface. Il faut donc être sur le pont quasiment pendant toute la période que dure la carrière, qui peut être fulgurante mais aussi s’étaler sur une bonne dizaine d’années.

D’autre part, s’il y a ici et là les hôtels 5 étoiles, surtout pour les campagnes de pub et les catalogues (qui constituent en fait le gros des revenus des mannequins, les éditos et les défilés servant surtout à construire leur image mais rapportent nettement moins), il y a aussi les défilés, qui sont souvent synonymes de solitude, d’épuisement et d’inconfort.  » Pendant la période des défilés, qui dure grosso modo trois mois et nous conduit de New York à Milan en passant par Paris et Londres, on partage souvent des appartements avec d’autres filles. La journée est rythmée par les castings, où se pressent parfois 200 à 300 filles, les séances d’essayage, les défilés, et ce du matin jusque tard le soir. Et rebelote le lendemain « , raconte Charlotte, qui bosse notamment aux Etats-Unis pour L’Oréal et Revlon. Attentes interminables, refus à répétition et solitude sont le lot des filles. Comme quoi, le quotidien du mannequin n’a pas tous les jours la saveur de la vie de château. Hormis bien sûr pour les quelques divas – Naomi Campbell ou Kate Moss, par exemple -, mais qui sont tout autant stars que mannequins. On les compte d’ailleurs sur les doigts d’une main. Toutes les autres, même les habituées, doivent se plier à l’épreuve éreintante des castings.  » Au début, on prend personnellement les refus, c’est comme une blessure narcissique, se remémore Charlotte. Puis avec le temps, on finit par être plus détachée, on se dit simplement qu’on ne correspond pas au profil recherché. Sans se poser trente-six questions sur ce qui cloche dans notre physique.  » D’où là encore l’importance de l’encadrement, familial mais aussi de l’agence, surtout pour les plus jeunes…

Pas de fumée sans feu…

La drogue et le sexe. Ni l’un ni l’autre à en croire nos témoins. Même si les deux existent.  » Bien sûr, il y a pas mal d’hommes qui tournent autour des filles pendant les défilés, constate Inge van B. Mais libre à chacun de refuser ce jeu-là. On voit des filles qui sont prêtes à tout pour décrocher un contrat. De nouveau parce que c’est souvent leur seule planche de salut. Ce n’est pas le cas des tops qui viennent de Belgique. Nous sommes donc à la base moins concernées par ce problème. Quant à la drogue, je n’en vois pas. J’ai l’impression que la mode des soirées arrosées de coke appartient aux années 1990.  » Le besoin de se préserver évite par ailleurs de céder aux sirènes de la nuit.  » C’est bien simple, si vous sortez tous les soirs, comment voulez-vous être frais et dispos le lendemain sur les podiums ? « , demande An Oost. Ce qui les aide aussi à éviter de tomber dans le panneau des plaisirs faciles, c’est qu’elles font bien la distinction entre le boulot et la vie privée. La plupart ont d’ailleurs une vie affective stable en Belgique. Même si ce n’est pas simple tous les jours, en particulier pour ceux qui restent à quai.  » J’emmène parfois mon copain avec moi « , glisse Inge van B.  » Je filme ma vie au jour le jour pour mes proches, pour leur montrer l’envers du décor « , confesse Jennifer Massaux. Et puis, il y a celles qui voient les avantages de la distance.  » L’éloignement renforce les liens « , tranche An Oost.

Les garçons moins bien lotis

L’argent.  » Je vis comme une princesse « , avoue Inge van B, qui vient de tourner un spot pour Coca-Cola Light en France. Aucune ne s’en cache, elles gagnent très bien leur vie. Le tarif journalier en Belgique varie entre 500 et 3 500 euros pour une prise de vue classique, par exemple pour un catalogue. A cela s’ajoutent des droits de reproduction qui peuvent s’envoler si les clichés sont utilisés dans des pays comme la France ou les Etats-Unis. Cela dit, d’après nos informations, seule une vingtaine de filles belges empochent plus de 50 000 euros brut par an. Il faut dire qu’elles ne travaillent pas tous les jours, que certains boulots (défilés et shootings pour les magazines par exemple) paient nettement moins, et que tous les frais, de déplacement notamment, sont à leur charge. De plus, leur temps est compté. Et la conversion pas toujours simple après des années de vie par monts et par vaux. Sauf quand, comme Inge van B, on peut s’appuyer sur une formation de danseuse. Elle tourne d’ailleurs en ce moment avec la troupe Need Company de Jan Lauwers. Pour elle comme pour les autres, le mannequinat est un moyen, mais pas une fin en soi. Une sorte d’Erasmus à l’échelle mondiale où l’on vous paierait pour apprendre la Vie avec un grand V. Force est toutefois de constater que peu d’entre elles ont vraiment une idée très précise de ce qu’elles feront ensuite. An a ouvert un Bed & Breakfast du côté de Gand et repris des cours à l’université, Charlotte se verrait bien monter son affaire dans les produits de luxe et Jennifer ne sait pas encore trop ce qu’elle fera de l’argent économisé.

Et les garçons ? Sont-ils logés à la même enseigne que leurs cons£urs ? Oui et non. Comme le rapporte Maxime Bocken de l’agence Dominique, qui cumule les casquettes de mannequin (notamment pour Dior et Levi’s) et de photographe, les garçons gagnent nettement moins bien leur vie. En tout cas au début.  » On commence en général par les défilés. Mais il est difficile d’en vivre à cause de tous les frais qui incombent au mannequin. Il faut donc envisager cette étape plus pour le plaisir de voyager ou comme une opportunité d’apprendre les langues. Ce n’est que plus tard qu’on peut espérer basculer, si du moins on a les traits classiques, du côté plus commercial où se concentrent les gros clients comme Armani et toute l’activité autour des catalogues et de la pub.  » Pour le reste, les aléas du métier ressemblent fortement à ceux auxquels sont confrontées leurs voisines de palier.

En résumé, même s’ils ne sont pas représentatifs de l’ensemble de leur corporation, nos cinq top models esquissent les contours d’un univers certes trépidant mais nettement moins glamour et sulfureux que le colporte la légende.  » Je n’ai jamais rien vu de gravissime se passer en coulisses « , confirme Etienne Tordoir, un vieux briscard de la photo qui suit la caravane de la mode depuis des lustres. Une expérience moins constellée de paillettes que prévu donc mais aussi plus enrichissante sur le plan humain, chacun estimant avoir tiré parti de l’aventure pour se libérer d’un manque de confiance en soi chronique, s’ouvrir aux autres ou simplement muscler son tempérament. Bref, un alliage de bons et de moins bons côtés.

Le prochain défi pour eux sera de négocier au mieux leur sortie.  » Il faut quitter le mannequinat avant qu’il ne vous quitte « , conseille lucidement Maxime. Mais ça, c’est une autre histoire.

(*) En collaboration avec Dominique Models Agency,  » Weekend Le Vif/L’Express  » lance un grand concours pour dénicher la prochaine Elise Crombez. La lauréate se verra offrir une inscription dans l’agence Dominique, une séance de photos et un shooting publié dans Weekend. Inscription avant le 15 juin 2006 à l’adresse we@dominiquemodels.com en précisant votre âge, votre taille, vos mensurations, vos coordonnées et vos motivations et en n’oubliant pas de joindre trois photos de bonne qualité.

Laurent Raphaël

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