Avec érudition et drôlerie, Juliette Nothomb nous livre chaque semaine ses recettes, tours de main et réflexions culinaires. Tout un art, brodé à petits points avec un humour bien de famille.

S’il est bien un consensus que je ne m’explique pas, c’est cette espèce de décret proclamé par tous les consommateurs concernant la Granny Smith et affirmant, du grand chef au plus humble croqueur, que cette aimable pomme serait… acide !

Sucrée, croquante, juteuse, je veux bien… mais je me répète, acide ? Bon, et si vraiment vous y tenez, à peine acidulée, mais rien de plus. Pour vous en persuader, croquez donc dans une Reine des reinettes ou risquez vos quenottes dans une belle de Boskoop – et là, si votre langue se tortille au fond de son palais comme une jeune fille intimidée, je comprendrai !

Ce malentendu (ou plutôt, ce  » malgoûté « ) doit sans doute provenir de la physionomie de notre petite  » grand-mère  » : impossible, avec une couleur pareille, de prétendre à un statut de lénifiante saveur. Un peu comme si on demandait à Clint Eastwood de jouer les jeunes premiers… Et puis, rappelez-vous donc la fable de La Fontaine, lorsque le renard postillonne à l’encontre des raisins  » qu’ils sont trop verts et bons pour les goujats  » ! Là, vous y êtes ? Fruit vert = acide comme E = mc.

Accompagneriez-vous en effet votre plateau de fruits de mer d’une bouteille de  » vert de verts  » ?  » Et pourquoi pas du détartrant pour canalisations, tant qu’à faire !  » rouscailleraient vos convives avec effroi…

Personnellement, je ne raffole pas de la Granny Smith et je ne m’explique l’engouement qu’elle suscite que par sa couleur fluo qui, j’en conviens, est réjouissante. Ceci étant, je reconnais malgré tout qu’elle a une saveur particulière et surtout que sa beauté plastique fait merveille dans les salades sucrées-salées ou les macédoines de fruits – à condition, bien entendu, de ne pas lui faire la peau ! En tout état de cause, je vous déconseille de la cuire, elle y perdrait son âme… Finalement, sa meilleure dégustation reste le 10 heures de l’écolier de 8 à 88 ans. Sinon, préservez son goût spécifique en l’acoquinant avec des saveurs aussi douces et peu agressives que sa chair blanche : mixez 1 Granny, pelée ou non et coupée en morceaux, avec 2 dl de lait bien glacé et une boule de glace vanille, en chapeautant d’une pointe de cannelle ou en parfumant d’une cuillère à café de miel d’acacia si cela vous chante. C’est bête comme chou mais, si vous êtes un aficionado de l’aïeule toujours verte, vous retrouverez sans peine son parfum légèrement musqué dans cette boisson-dessert rafraîchissante. Je terminerai en évoquant l’extraordinaire sorbet à la pomme verte que confectionne un tout grand restaurateur situé au c£ur de Bruxelles, 3-étoiles au Michelin (bon, j’peux pas le citer mais là, vous avez compris…) qui a l’unique particularité de restituer la couleur d’origine du fruit mais surtout son goût intact. Je m’explique : la Granny a la fâcheuse tendance de brunir à la vitesse Mach 3, ce que tout cuisinier un peu au courant évite en la plongeant avec sadisme dans un bain de jus de citron (voyez ma remarque ci-après), avec pour résultat une couleur immaculée mais un goût complètement naze… Donc, pour le fameux sorbet en question, mystère et boule de pomme ! l

(*) Juliette Nothomb est aussi l’auteur de La Cuisine d’Amélie, 80 recettes de derrière les fagots (Albin Michel).

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