La haute couture n’a plus beaucoup de maisons à son service : les temps sont durs pour le summum du luxe vestimentaire. Mais ceux qui restent et ceux qui naissent lui font encore voir l’avenir en rose. Voici l’ÈRE des mousquetaires, des princesses et des stars

(1) Source : Journal du Textile du 31 mai 2004. (2) Source : Le Figaro du 8 juillet 2004. (3) Edition du 7 juillet 2004. (4) Source : Libération du jeudi 8 juillet 2004.

Q uestion participants, la haute couture parisienne se serre la ceinture : pour cet automne-hiver 04-05, Emanuel Ungaro, Versace et Balmain se sont fait porter pâles. Le motif le plus souvent invoqué ? Difficultés financières, restrictions budgétaires et repositionnement de l’activité couture vers un prêt-à-porter haut de gamme, plus vendable, davantage dans l’air du temps et censé répondre mieux aux attentes des clientes du XXIe siècle. Car il est devenu risqué, aujourd’hui, de s' » éclater  » dans un savoir-faire certes somptueux, mais aussi terriblement coûteux et éphémère.

Ainsi, la maison Versace, qui proposait chaque saison sa collection Atelier en haute couture (chiffre d’affaires annuel : 6 à 8 millions d’euros), a décidé de ne plus participer à la manifestation semestrielle. Son activité couture ne sera cependant pas abandonnée, l’atelier de Milan continuant de travailler pour une quarantaine de clientes dans le monde (1). Ungaro, lui, qui présentait ses modèles couture depuis trente-neuf ans, préfère désormais plancher sur une ligne à mi-chemin entre le prêt-à-porter et le sur mesure. Chez Givenchy, c’est le studio de création qui s’est occupé de concevoir la vingtaine de tenues inspirées par la route du thé, la maison n’ayant toujours pas trouvé de successeur à l’Anglais Julien Macdonald. Quant à la Japonaise Hanaé Mori (78 ans) qui avait fait du papillon son emblème, elle a clôturé plus de cinquante années de création à l’hôtel Bristol de Paris avec un show particulièrement émouvant : la propre petite-fille de la couturière nipponne arborait d’ailleurs la robe de mariée, au final du défilé.

Restait donc, en compétition, un florilège de noms fameux tels que le très polyvalent Jean Paul Gaultier, l’inoxydable Karl Lagerfeld chez Chanel, le toujours glamour John Galliano pour Dior, Christian Lacroix, Valentino, Scherrer, Dominique Sirop, Adeline André, etc. A cela s’ajoutent des électrons plus ou moins libres venus s’accrocher à la queue des géants du glamour, comme la jeune Stéphanie Coudert (29 ans), parrainée par Sydney Toledano, PDG de Christian Dior. Primée, en 1999, au Festival d’Hyères dans la catégorie collection féminine et propriétaire de sa propre structure, Silent Fair, lancée en 2001, Stéphanie a séduit par son approche originale, assez conceptuelle et non ostentatoire de la haute couture. Cette virtuose du volume, passionnée par le new-look de feu Christian Dior, se distingue par une maîtrise de coupe épatante et vend déjà ses créations au Japon et au Canada (2). Une jeune artiste à suivre absolument et dont nous reparlerons bientôt

En évoquant Dior, la collection couture de Galliano nous en a, une fois de plus, mis plein les mirettes : couronnes de diam’, bijoux royaux, broderies au fil d’or, drapés somptueux, tailles minuscules annonçant des ampleurs maximales, décolletés généreux, volumes virtuoses… La femme Dior, comme le souligne le quotidien français  » Le Figaro  » (3) est une créature royale, vouée à l’apparat, évoquant une néo-Sissi et les grandes impératrices du Nord. Normal, Galliano a fait le plein d’idées lors d’un récent voyage en Autriche. Ici, la haute couture mime une royauté plus théâtrale que princière, et qui plonge, en trompe-l’£il, au-delà des bonnes manières.

S’il y a quelqu’un qui brille de mille feux au firmament de la mode, c’est bien Jean Paul Gaultier : à la tête de sa propre griffe, chez Hermès où il a livré une collection sublime ou du côté de la couture, il tient en haleine toutes les élégantes de Paris et de la planète. Doté d’une capacité magistrale à se renouveler au fil des saisons et dans ses diverses lignes, Gaultier va, au grand galop, sur la route du succès. Contournant habilement les clichés et l’effet falbalas qui pourraient surgir de ce genre d’inspiration, il a envoyé sur le podium des mousquetaires de charme, généreusement chapeautées, gantées et bottées. Pour ces jolies émules de d’Artagnan, il réalise des tuniques à capuche en cotte de maille ou en velours, des burnous à la belle amplitude, des blouses d’une finesse impeccable, des capes où s’exerce son savoir-faire de tailleur… sous une pluie de paillettes, de broderies délicates et de bijoux qui s’accrochent aux ceintures.

Chez Chanel, Karl Lagerfeld voue un culte particulier au tweed, comme dans sa collection prêt-à-porter d’ailleurs. Mais il zoome également sur la dentelle brodée, la mousseline et le tulle via des vêtements qui s’emboîtent, se superposent et se démultiplient. Un savant et surprenant exercice de style intitulé  » Duo  » et des prouesses techniques qui consacrent la capacité de Lagerfeld à rebooster, chaque saison, les codes et l’allure faussement stricte, chers à la Grande Mademoiselle.

Pour Valentino, la couture est et reste bellissima ; ses silhouettes virginales et somptueuses (fourrure blanche, cristaux et perles…) iront vêtir les épaules des stars de cinéma. Le couturier romain se fend également de nombreuses robes manteaux et tailleurs, tel cet ensemble en velours surpiqué jaune safran orné de perles. Chez le Français Dominique Sirop, dont la sobriété stylée séduit notamment les clientes américaines, les vestes des tailleurs, la robe-chemisier, le pantalon cigarette, etc., présentés en demi-mesure, sont des modèles de pureté.

Roi de la couleur qui déménage, Christian Lacroix s’amuse à métisser et superposer ses créations : teintures étonnantes, collants rose fluo, escarpins canari, manteaux améthyste ou orange vif, touches toniques de fuchsia, de violet et de turquoise… L’Arlésien a le soleil dans la tête et au bout de son crayon, comme pour cette robe du soir façon 1940 en satin gris perle et dont les manches accueillent un florilège de tons grisés et grisants. A cette palette polychrome, il joint cependant des silhouettes épurées, en noir et blanc dont l’effet tranché apporte à l’ensemble du défilé une élégante nervosité. Pour Torrente, le styliste maison Julien Fournié s’est inspiré de l’Art nouveau et des héroïnes d’Henry James, réveillant, avec une féminité exacerbée, les fastes de la Belle Epoque.

Le créateur libanais Elie Saab, lui, utilise le vecteur de la haute couture pour célébrer la beauté des femmes, gracieuses et graciles odalisques contemporaines qu’il  » habille  » de paillettes, de perles et de mousseline, pour une représentation diurne des Mille et Une Nuits !

Au service de la griffe Scherrer, Stéphane Rolland s’inspire des femmes de tête d’autrefois, comme Helena Rubinstein, l’écrivain Colette ou l’inoubliable rédac’chef du  » Vogue US « , Diana Vreeland. Sur fond de surréalisme et d’allures de diva très 1940, le créateur propose des modèles décolletés en c£ur et froncés aux manches, des tailleurs jupe ou pantalon très réussis, qui sculptent la silhouette.

N’oublions pas les jeunes talents qui se bousculent au calendrier  » off « , le programme non officiel de la haute couture, et tentent, avec parfois trois francs-six sous, de pénétrer les arcanes de cet exigeante discipline où priment le geste artisanal, la patience, l’imagination tous azimuts et l’excellence technique. Pour Didier Grumbach, président de la Chambre syndicale de la Couture et du Prêt-à-Porter, il n’est plus possible de se lancer directement en haute couture : il faut d’abord développer un prêt-à-porter. Ainsi, Anne Valérie Hash a présenté, en avant-première pour l’été 2005, une collection de prêt-à-porter léchée, où elle  » trashe  » habilement une silhouette de petite fille modèle à coup de volants de tulle que l’on croirait déchirés et de tutus flottant autour de la taille (4). C’est comme cela qu’a aussi procédé l’Américain Ralph Rucci, qui défile à Paris depuis 2002 mais présente, depuis vingt ans à New York, son prêt-à-porter et ses vêtements sur mesure. Apparemment, la formule est gagnante puisque le créateur d’outre-Atlantique a défilé au Ritz, là même où auparavant, s’affichait la collection Atelier de Versace. Au menu, pas d’extravagances ni d’extrême pétillance, mais des vêtement bien tournés et admirablement finis (tailleur en cachemire double face, manteau bordé de zibeline, jupe en alligator, robes du soir en satin duchesse peintes à la main…).

Coup de chapeau, enfin, à notre compatriote Gerald Watelet qui redéfile à Paris depuis l’an passé, dans ses propres salons de la rue François Ier. Cet émule d’Yves Saint Laurent (il a d’ailleurs réengagé la majorité du personnel qui £uvra, jusque fin 2001, pour le maître incontesté de la couture) rend hommage à la quintessence de l’élégance et de la féminité ; une notion que le couturier belge maîtrise bien et qui, en outre, représente la tendance majeure du prochain hiver dans quasi toutes les collections de haute couture et de prêt-à-porter.

Marianne Hublet

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