Une expo événement retrace les 45 ans de carrière de l’un des esprits libres de la mode japonaise. L’occasion de pousser la porte de quelques-uns des lieux qu’il aime et qui, comme lui, font vibrer Tokyo.

Il ne voulait pas d’une rétrospective, le mot lui-même avait quelque chose de momifié, de trop statique. Surtout aux yeux d’un homme mu toute sa vie durant par l’envie de repousser chaque jour un peu plus les limites de l’ingénierie du vêtement, cet art dont il ne cesse de bousculer les règles. Lui qui n’aime guère les flash-backs a su prendre le temps, pourtant, de se replonger dans ses archives, une après-midi par semaine, dépliant lentement des milliers de pièces soigneusement conservées depuis la première heure du Miyake Design Studio, ouvert à Tokyo en 1970. Une aubaine pour les nouvelles recrues qui travaillent aujourd’hui à ses côtés autant qu’un retour aux sources vivifiant pour tous ceux et celles qui l’accompagnent depuis le début de l’aventure d’une griffe aux multiples profils – l’une des rares aussi à avoir su rester indépendante – devenue l’un des marqueurs essentiels de l’histoire de la mode.

De ce long travail d’inventaire, Issey Miyake a extrait une centaine de silhouettes rassemblées jusqu’au 13 juin prochain au National Art Center de Tokyo, qui consacre ici sa toute première exposition à l’oeuvre d’un créateur de mode. Un parcours en trois sections ayant pour traits d’union l’innovation, moteur sacré de toutes les recherches menées par le studio tant dans la mise au point de nouveaux tissus que dans l’invention de techniques de fabrication.  » Issey Miyake a toujours cherché l’inspiration dans la vie de tous les jours, rappelle Midori Kitamura, présidente du Miyake Design Studio et proche collaboratrice du créateur. Il a toujours voulu habiller les  » vrais gens « , tout en prenant des distances par rapport à la manière traditionnelle dont se faisaient les vêtements.  »

C’est à Paris, au coeur même de l’ébullition de Mai 68, alors qu’il fait ses gammes de couturier dans les salons d’Hubert de Givenchy, qu’il se détache peu à peu d’une vision de la mode qui se contenterait de penser le vêtement en termes de coupe et de montage, à charge pour le corps qui devra le porter ensuite de s’y adapter. Il s’intéresse de près au mouvement, tout en se posant sans cesse la même question : comment  » emballer  » un corps par nature tridimensionnel dans un morceau de tissu plat sans perdre de vue que ce corps doit pouvoir bouger.  » Pour lui, une robe posée à plat n’est qu’une abstraction, ajoute Midori Kitamura. Elle ne révèle sa raison d’être qu’une fois portée et l’espace entre le corps et le vêtement revêt lui aussi la plus grande importance.  »

Dès le départ, comme l’illustrent les premiers modèles regroupés dans la salle A, Issey Miyake jette des ponts entre tradition et modernité, s’appuyant sur les savoir-faire ancestraux qu’il cherche encore à protéger pour inventer sans cesse de nouvelles manières de se vêtir. Habité par l’idée même de liberté, il imagine une étonnante combinaison  » tatouée  » – le motif représente les profils mêlés de Janis Joplin et Jimi Hendrix – ressemblant à s’y méprendre à une seconde peau. Il dissèque aussi les techniques de fabrication des kimonos et des vestes de judo pour créer des manteaux qui reprennent vie sur d’étonnants mannequins constitués de 365 pièces de carton coupées au laser avant d’être assemblées. Dans la deuxième pièce, on découvre les premiers essais de conceptions de vêtements à partir de matières totalement étrangères au monde de l’habillement, comme ces bustes moulés en résine synthétique que l’on dirait tout droit sortis d’une imprimante 3D et ces surprenants corsages en rotin et bambous. Un peu plus loin, le tissu se drape et se plisse à même le corps grâce à une injection de silicone….

Mais c’est dans la dernière salle, la plus grande, que le verbe  » faire  » – le préféré du créateur – acquiert vraiment tout son sens, face à la machine à plisser où prennent forme sous vos yeux les vêtements de la ligne Pleats Please prêts à poursuivre leur existence nomade de parfaits compagnons de voyage, forts de ces plis permanents piégés à jamais dans le tissu par une chaleur brûlante. Une invention rendue possible par les recherches menées sur tous les types de fibres naturelles – le crin, le raphia, le papier traditionnel japonais appelé washi – autant que synthétiques, comme ce fil de polyester recyclé utilisé par les jeunes chercheurs du Reality Lab. Dirigée par Issey Miyake qui suit les travaux de très près, l’équipe est à l’origine de la ligne 132 5. ISSEY MIYAKE basée sur l’étude de modèles mathématiques appliqués à de nouvelles manières de plier du tissu pour faire naître des volumes 3D dès que la pièce est étirée à la verticale. Des vêtements origamis sculpturaux composés d’angles aigus et de triangles qui, une fois rangés, ne prennent pas plus de place qu’un pull ou un tee-shirt. Il y a de la magie dans ce travail qui ne doit rien au hasard. Et qui a su s’affranchir des tendances pour penser une mode à jamais hors du temps.

The Work of Miyake Issey, National Art Center, à Tokyo, www.nact.jp Jusqu’au 13 juin prochain.

21_21 DESIGN SIGHT

Depuis son ouverture en 2007, ce lieu unique dédié à la promotion du design, sans posséder pourtant la moindre collection en fond propre, a déjà accueilli plus d’un million de visiteurs et trente expositions. Convaincu de la nécessité pour Tokyo de disposer d’un tel espace, Issey Miyake, d’ordinaire plutôt discret dans la presse, avait publié une carte blanche sur le sujet dans le très influent quotidien Asahi Shimbun en 2003. Un plaidoyer qui le mena, quelques années plus tard, à la codirection de ce musée atypique, aux côtés de Taky Satoh et de Naoto Fukasawa. Le bâtiment de béton et d’acier, oeuvre de l’architecte Tadao Ando, vaut à lui seul le déplacement. La structure enfouie à 80 % dans le sol se fond harmonieusement dans le parc qui l’entoure tout en attirant inévitablement le regard. Comme l’indique son nom,  » A Piece of Iron Sheet « , en référence à la plaque d’acier de 54 mètres de longueur qui en constitue le toit, cette construction s’inspire d’une réflexion similaire à celle qui sous-tend dès 1998 le lancement par Issey Miyake de A-POC, acronyme de  » A Piece of Cloth « , une ligne révolutionnaire de vêtements à confectionner soi-même en suivant les lignes prédécoupées dans un tube de tissu. Jusqu’au 5 juin prochain, s’y tient une exposition poétique consacrée aux  » zakka « , le terme japonais choisi pour désigner les petits objets utiles souvent, jolis à regarder, parfois, qui peuplent notre quotidien. L’endroit abrite également le Canoviano Cafe, un restaurant de cuisine bio italienne très apprécié du créateur.

9-7-6, Akasaka, Minato-ku, Tokyo 107-6290.

SASHA KANETANAKA

Sans doute l’un des secrets les mieux gardés de Tokyo, ce restaurant qui ne compte que 42 couverts se cache à l’arrière du tout nouveau complexe de béton construit par l’architecte Kenzo Tange. Issey Miyake aime y donner rendez-vous à ses proches pour déguster, dans une ambiance zen conçue par l’artiste et photographe japonais Hiroshi Sugimoto, une cuisine traditionnelle japonaise sophistiquée qui privilégie la découverte des saveurs au fil de petites portions savoureuses tellement joliment présentées dans une vaisselle épurée que l’on ose à peine y plonger ses baguettes. L’une des longues tables sans vis-à-vis, idéale pour les convives venus en couple ou non accompagnés, fait face au jardin de pierres et de bambous qui invite au lâcher-prise.

2F Oak Omotesando, 3-6-1, Kitaaoyama, Minato-ku, Tokyo, 107-0061.

MEIJI JINGU

Véritable bulle de sérénité en plein coeur de Tokyo, ce sanctuaire dédié aux âmes de l’empereur Meiji et de sa femme l’impératrice Shoken, les arrière-grands-parents de l’empereur actuel Akihito, est le plus imposant monument religieux de la ville et le plus grand lieu de culte shintoïste du pays. Niché dans une forêt artificiellement composée de plus de 100 000 arbres venus des quatre coins du Japon, le temple, posé à la lisière des quartiers de Shibuya et Omotesando, accueille en été tous ceux qui cherchent à échapper à la chaleur humide qui s’abat alors sur la cité. Mais c’est surtout le jour de l’An que la foule se presse en file bien ordonnée pour prier et faire un voeu au son de la petite cloche qui rappelle aux esprits de regarder en bas. Impossible de ne pas se laisser submerger par la paix qui se dégage de ce lieu où il n’est pas rare de croiser, même en semaine, un couple de jeunes mariés et sa suite d’invités.

1-1, Yoyogikamizonocho, Shibuya, Tokyo 151-8857.

GONPACHI

Tout sauf confidentielle, cette adresse mondialement connue attire son lot de  » gaijins  » (étrangers) pressés de s’attabler sur les lieux de tournage de l’une des scènes les plus violentes du film Kill Bill. Là où l’on pouvait voir Uma Thurman dans son mythique jumpsuit jaune dégommer ses ennemis à coups de sabre s’alignent désormais de grandes tablées susceptibles d’accueillir jusqu’à 350 couverts lorsque l’établissement affiche complet. Dans le couloir de l’entrée sur les murs duquel trônent des photos de  » people  » venus déguster la cuisine somme toute assez simple de cet izakaya où l’on peut voir les cuisiniers à l’oeuvre, un tonneau de saké ouvert en guise de bienvenue attend le visiteur dont la table n’est pas encore prête. Ici, les serveurs vous salue à l’encan d’un  » irasshai  » tonitruant ! On y vient pour l’ambiance avant tout.

1-13-11, Nishi-Azabu, Minato, Tokyo 106-0031.

DAINI’S TABLE

Situé dans la  » rue Miyake  » comme la surnomment les Tokyoïtes, ce restaurant propose une cuisine chinoise moderne et savoureuse servie en portions plus que généreuses dans de la vaisselle contemporaine. L’équipe du Miyake Design Studio y a ses habitudes depuis plus de trente ans. Ici, le patron, qui parle couramment français, vous attend en sous-sol dans un décor simple où domine le vert céladon.

6-3-14, Minamiaoyama, Minato-ku, Tokyo, 107-0062.

LE QUARTIER D’AOYAMA

Dans ces petites rues, la mode est reine mais sans l’ostentation que l’on peut observer le long des larges artères de Ginza. Issey Miyake fut le premier à investir le quartier, non pas en construisant un flagship store à la Prada – marque également implantée dans les environs depuis 2003 avec sa tour de verre signée Herzog et de Meuron – mais en essaimant une succession de boutiques à taille humaine, chacune dédiée à l’une des lignes de la griffe. Il suffit de déambuler de l’une à l’autre pour appréhender les différents univers qui tous à leur manière combinent l’idée que l’on se fait de l’artisanat japonais avec des avancées technologiques souvent révolutionnaires. Ouverte en 2013, l’enseigne Reality Lab. regroupe sur trois niveaux les vêtements, objets et accessoires les plus innovants du moment. C’est ici que l’on retrouve notamment la collection 132 5. ISSEY MIYAKE qui s’inspire de travaux mathématiques pour créer des objets tridimensionnels à partir d’une simple feuille de tissu tissé dans une fibre de polyester recyclée. Un peu plus loin, la boutique de la ligne  » me  » présente également les pièces de la collection capsule créée à partir des dessins de l’artiste Ikko Tanaka (photo). D’autres grands noms internationaux – Rick Owens, Stella McCartney, Maison Kitsuné… – mais aussi les incontournables locaux – Comme des Garçons, Sou-Sou, A Bathing Ape… – installés aux alentours contribuent à faire de ce coin de Tokyo un hotspot du shopping hype.

PAR ISABELLE WILLOT

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