Adolescente en colère, l’actrice namuroise Jeanne Dandoy a trouvé dans sa révolte le courage de monter sur scène. Un parcours artistique audacieux qui l’a menée jusqu’aux Oscars, en février dernier, aux côtés de Matthias Schoenaerts. Et la pousse à écrire aujourd’hui. Intensément.

Lors de la prise de rendez-vous, elle avait dit :  » moi, je suis très salon de thé.  » Aussi bien les endroits zen où l’on vous regarde de travers si vous émettez le souhait de mettre un morceau de sucre dans votre infusion de perles de jasmin que  » les trucs à mémère, avec des nappes à fleurs et des petits gâteaux « , précise Jeanne Dandoy. Ce matin-là, dans sa robe légère, une paire d’escarpins rouge sang aux pieds, elle ressemble un peu à ces figurines en biscuit qui ornaient autrefois les buffets cossus des maisons bourgeoises de province. On est loin du profil  » bling-bling « , comme elle dit, de Lucia, la fille de la parfumerie qui faisait tourner la tête de Jacky, alias Matthias Schoenaerts, dans le magistral Rundskop de Michaël Roskam.

L’accent liégeois à couper à la hache qu’elle manie mieux qu’une néenative pendant tout le film a d’ailleurs complètement disparu. Si elle est bien de quelque part – de Namur, en l’occurrence – cette Bruxelloise d’adoption, diplômée de l’École supérieure d’acteurs du Conservatoire de Liège, n’aime pas trop les étiquettes géographiques. Pourtant, la tendresse qui surgit au détour des phrases quand elle évoque  » sa  » ville est bien réelle.  » Je suis née dans une famille d’artistes, rappelle-t-elle. Mon père, Pierre Dandoy ( NDLR : aujourd’hui décédé) était un photographe renommé. Du côté de ma mère, Isabelle Pajot, ils étaient musiciens. Mon arrière-grand-père, Ernest Montellier, était chef d’orchestre. C’est à lui que l’on doit les arrangements de Li Bia Bouquet(rire).  »

Jeanne Dandoy se place d’ailleurs au confluent de ces deux influences qui ont marqué son enfance, à l’image de la Sambre qui se fond dans la Meuse.  » J’ai longtemps refusé d’habiter Bruxelles, parce que c’est une ville sans rivière « , note-t-elle. Le goût des embruns qui vous salent le visage, des cheveux qui giflent à tout vent la pousse aussi, très souvent, vers la mer.  » Mon rêve, ce serait d’avoir une maison en Bretagne, face à l’océan, où je me retrancherais pour écrire, confesse-t-elle. Il me faut des marées. C’est mon côté Emily Brontë. « 

Les pages qu’elle noircit ces jours-ci sont pourtant moins tourmentées que les récits mélancoliques de la romancière britannique. Déjà auteure de plusieurs pièces de théâtre, la jeune femme s’est lancée dans la rédaction d’un premier roman.  » Une histoire qui, au début, n’était pas drôle du tout, reconnaît-elle. Même si j’ai gardé la trame, j’ai changé le regard que je portais sur ce qui arrivait à mes personnages.  » Sous le titre provisoire de Koekelberg-Hollywood, il y est question d’acteurs, bien sûr, réels et imaginaires, de glamour et paillettes aussi et des relations parfois compliquées entre Flamands et francophones sous fond de crise gouvernementale interminable.  » Rien à voir avec ce qui s’est passé sur le tournage de Rundskop, insiste-t-elle. Michaël Roskam, le réalisateur, est vraiment quelqu’un d’extraordinaire, de brillant. Sur le plateau, nous étions en face d’un vrai chef, sans pour autant être cloués au mur.  »

Si l’aventure l’a menée, le 26 février dernier, jusqu’aux portes du célèbre Kodak Theater de Los Angeles, pour la prestigieuse cérémonie des Oscars 2012, dans une robe signée Jean-Paul Lespagnard, accessoirisée de bijoux Wouters & Hendrix et d’un sac Delvaux –  » une parfaite synthèse de la Belgique, non ? « , plaisante-t-elle – c’est bel et bien à Namur que l’envie d’un jour monter sur scène est née.  » Adolescente, j’étais extrêmement en colère, raconte Jeanne Dandoy. Je pense que mon besoin d’écrire est venu de cette colère. Mais les mots sur papier ne suffisaient pas. Il fallait que cela passe par le corps, par la voix. Il fallait que je monte sur un plateau. « 

Ce sera d’abord celui du Tap’s (théâtre d’amateurs de la province de Namur), alors dirigé par José Bellefroid. Elle y croisera la route de ses deux fils, Yannick et Bernard ( NDLR : devenu depuis lors cinéaste). D’une certaine Cécile de France, aussi.  » Namur a la réputation d’être une petite ville bourgeoise, ironise Jeanne Dandoy. L’énergie adolescente y est contenue. Un peu comme si on la muselait avec un couvercle. Ce n’est pas pour cela que cela ne va pas exploser un jour. Ce n’est pas un hasard si c’est de ce terroir qu’est sorti un film comme C’est arrivé près de chez vous. J’avais 16 ans.  »

Gamine, elle fait aussi la connaissance d’un autre talent namurois : le cinéaste Benoît Mariage est alors photographe, comme Pierre Dandoy.  » C’était un peu le protégé de mon père, il a même pris des photos de lui, sourit-elle. Ma s£ur et moi, on les observait, en douce.  » C’est à ce papa qui aurait voulu qu’elle soit peintre que Jeanne Dandoy doit aussi sa passion pour les glaces –  » toutes simples, même vanille, pourvu qu’elles soient bonnes  » -, dégustées chez Capri, à un jet d’encre du journal La Meuse pour lequel il travaillait.

Également conférencière à l’École supérieure d’acteurs du Conservatoire de Liège où elle a elle-même étudié, la comédienne y a retrouvé un de ses anciens compagnons de jeu, Nathanaël Harcq, Namurois comme elle, et désormais directeur de l’ESACT.  » Une belle personne, intègre, ce qui est rare dans notre métier, martèle-t-elle. Dans cette école, on vous donne des armes pour jouer du Feydeau mais aussi pour monter des projets plus engagés.  » Ce que Jeanne Dandoy n’a jamais manqué de faire depuis le début de sa carrière. Seule en scène parfois, comme dans Jane – sorte de peep-show théâtral durant lequel la jeune femme livrait ses textes derrière un miroir sans tain face à un seul spectateur à la fois -, aux côtés de ses étudiants – à l’occasion notamment de la création collective, avec Fabrice Murgia et Vincent Hennebicq de Je ne veux plus manger, présenté en 2005 à la Manufacture pendant le Festival d’Avignon – et pourquoi pas demain, derrière une caméra.  » Ma petite (demi-)s£ur Lucie Goderniaux est anthropologue, explique-t-elle avec fierté. Elle s’est spécialisée notamment dans les problèmes de violence conjugale et la manière dont celle-ci se transmet presque inconsciemment de génération en génération et ce dans tous les milieux sociaux. Elle lutte aussi contre les mariages forcés. Je voudrais travailler avec elle, plancher sur des scénarios de courts métrages qui évoquent, entre autres, tout cela en images, de façon poétique aussi.  » Et, qui sait, fouler un jour un autre tapis rouge, celui de Cannes, peut-être, en total look Jean-Paul Lespagnard, bien sûr…

PAR ISABELLE WILLOT

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