Jadis confinée à des codes très précis, l’allure au masculin se décline aujourd’hui en un spectre de nuances où émerge toutefois un certain culte du confort et de la nonchalance. Zoom sur l’homme moderne, tiraillé entre sport, raffinement et  » métrosexualité « .

F aites le test. L’air de rien, posez la question suivante à votre entourage :  » Qui incarne le mieux, selon vous, le nec plus ultra de l’élégance masculine ? » Brad Pitt ? David Beckham ? Tom Ford ? Sean Connery ? Il y a fort à parier que les réponses fusent dans tous les sens et que le débat se déplace ensuite vers l’aspect strictement vestimentaire entre les défenseurs et les opposants du traditionnel costume trois pièces. Car le c£ur de l’argumentation tiendra forcément dans ces quelques mots : faut-il nécessairement porter cette pièce  » essentielle  » du vestiaire masculin pour avoir de l’allure en l’an 2004 ? Il y a un siècle, la réponse ne faisait aucun doute. La prestance du mâle s’articulait autour d’une seule et même référence symbolisée par le triomphe indiscutable du costume-cravate. La sobriété était le maître mot et les couleurs se contentaient alors des tonalités sombres pour placer l’homme sous le signe d’une élégance discrète. Clair, net, précis. En quelques décennies, la donne a été complètement bouleversée à un point tel qu’il est désormais impossible de définir un même modèle à suivre. Bref, on ne parle plus de mode masculine, mais bien de modes masculines où chacun est invité à composer son vestiaire idéal.

Bien sûr, le costume fait toujours partie des incontournables en matière de séduction classique, mais force est de constater aujourd’hui qu’il joue davantage la carte de l’audace et de la décontraction raffinée. Finie la tendance du costume uniforme ; place à l’inspiration plurielle qui libère l’homme de son carcan séculaire et le met sous le feu de coupes et de matières explorées à l’extrême. Un mot joue toutefois l’élément fédérateur dans cette logique d’une élégance plus traditionnelle : le confort. Car après des décennies de rigueur convenue, l’idée consiste désormais à joindre l’utile à l’agréable. En clair : on peut vouloir en imposer tout en se sentant très à l’aise (ce qui semblait presque contradictoire il y a cent ans à peine !) Depuis quelques années déjà, les grands apôtres de l’allure ont donc placé le costume sous la bannière du décontracté chic, histoire de ne plus imposer son port comme un véritable calvaire. La nonchalance qu’il dégage désormais est non seulement le fruit de réels progrès techniques (au fil du temps, les matières se sont considérablement allégées), mais surtout le résultat d’une nouvelle approche en matière d’élégance masculine : un esprit casual directement hérité du sport. Intraduisible, ce terme anglophone souligne en effet l’aspect volontairement détendu et insouciant d’une tenue, histoire d’insister un peu plus sur la libération du corps.

Concrètement, le sport s’est urbanisé depuis les années 1980 et a fini par faire voler en éclats les dernières barrières qui existaient entre le stade et la ville. Aujourd’hui, l’homme mixe donc, pour son plus grand confort, des pièces de vêtements classiques avec des éléments jadis considérés comme exclusivement sportifs tels que, par exemple, des pantalons de jogging ou des sweats à capuches molletonnés. De ce mariage  » contre nature  » émerge une silhouette plus fluide qui affiche une décontraction certaine sans perdre pour autant son assurance ni son raffinement. Ainsi, sur les trottoirs, les baskets sont rois et les tissus intelligents servent la cause d’une attitude qui mise autant sur l’esthétisme que sur la fonctionnalité. C’est d’ailleurs l’une des plus grandes révolutions en matière de mode masculine : le vêtement moderne a progressivement perdu en représentation sociale ce qu’il a gagné en confort et en pragmatisme. Dans ce combat légitime, les nouvelles matières ont le champ libre et servent plus que jamais une silhouette qui se veut délibérément légère. Cette légèreté, au sens propre comme au figuré, est d’ailleurs au centre de la nouvelle allure au masculin que l’on associe désormais au néologisme  » metrosexual « . Audacieuse, cette contraction des termes anglais  » metropolitan  » (métropolitain) et  » heterosexual  » (hétérosexuel) décrit un citadin 100 % hétéro qui revendique toutefois sa part de féminité, prend soin de son corps et de son apparence, et adapte surtout son comportement d’achat en conséquence.

Etonnant ? Pas vraiment. Flash-back : jusqu’au milieu du xxe siècle, la vision masculine était plutôt claire et limpide. L’homme assumait pleinement son image de mâle dominant, rassuré par des modèles cinématographiques aussi déterminés que Jean Gabin, John Wayne et Humphrey Bogart. Avec la libéralisation des m£urs dans les années 1960 et l’avènement d’un féminisme frondeur dans les années 1970, la citadelle virile s’est peu à peu fissurée et l’homme a commencé à douter. La crise économique ambiante n’a rien arrangé et le mâle tout-puis- sant s’est donc fragilisé. Indice révélateur : à l’aube du xxie siècle, l’image renvoyée par la publicité et les médias n’était plus celle d’un homme infaillible et sûr de lui, mais bien celle d’un être déboussolé et ambigu. Bref, après des années de machisme bien lourd, la gent masculine s’est découvert, petit à petit, des valeurs féminines telles que la sensibilité, l’écoute et la tendresse, sans renier pour autant sa virilité.

Dans cette nouvelle prise de conscience, le mâle a commencé à s’intéresser davantage à son corps et à ses vêtements, soucieux de redéfinir sa façon d’être. Une nouvelle génération de mensuels pour homme a alors vu le jour et le marché des cosmétiques masculins s’est mis à bouillonner allègrement. Bien sûr, la communauté gay a fortement participé à cette redistribution des cartes esthétiques, mais l’hétéro de base n’a pas attendu le feu vert des homos pour partir à l’assaut de cette forme inédite de séduction. Aujourd’hui, grâce à des icônes du courant  » metrosexual  » telles que David Beckham ou Justin Timberlake qui se la jouent branché et raffiné, l’homme de l’an 2004 peut traîner, sans rougir, dans les magasins de fringues et se tartiner de crèmes de soin pour les beaux yeux de sa copine. Pas étonnant que Jean Paul Gaultier ait lancé aussi, l’année dernière, à son intention, une ligne de beauté baptisée Tout Beau Tout Propre avec, entre autres, une poudre pour le visage et des sticks protecteurs pour les lèvres…

Assumant pleinement sa part de féminité contrôlée, l’homme de ce xxie siècle naissant joue donc les funambules entre assurance et sensibilité, performance et fragilité, nonchalance et virilité. Dans les collections de l’été 2004, cet état de fait est d’ailleurs perceptible puisque le mâle hésite entre la dégaine mesurée d’un cow-boy revisité (Gucci, Ralph Lauren, Fendi, Cerrutti…), la pureté rassurante d’un costume immaculé (Gianfranco Ferré, Tommy Hilfiger, Donna Karan, Comme des Garçons…), la douce folie des imprimés fleuris (Paul Smith, Olivier Strelli, Exté, Roméo Gigli…), le sex-appeal d’un Marcel réhabilité (Calvin Klein, Missoni, Vivienne Westwood, Yves Saint Laurent Rive Gauche…), ou encore la beauté graphique des rayures tous azimuts (Giorgio Armani, Versace, Dolce & Gabbana, Hermès, Dries Van Noten…)

De même, pour l’hiver qui s’annonce, les podiums masculins persistent dans cette vision éclatée d’un homme soumis à plusieurs modes, mais toujours avide de confort chic et de séduction choc. Ainsi, si l’on constate un retour en force du tailoring chez la grande majorité des créateurs (à savoir un costume impeccablement taillé mais assorti, ici et là, de quelques notes d’humour), les lignes sportives n’en sont pas moins gommées des collections de l’hiver prochain (Dirk Bikkembergs, Gaspard Yurkievich, Bernhard Willhelm…), tout comme les clins d’£il à d’autres lieux et d’autres époques (le courant ska pour Yohji Yamamoto, les années New Beat pour Raf Simons, la Russie nostalgique pour Ozwald Boateng, l’Ecosse des châtelains pour Pringle of Scotland ou encore les années 1970 pour Tom Ford à la fois chez Gucci et chez Yves Saint Laurent Rive Gauche). Bref, l’homme dispose, plus que jamais, d’une immense palette de choix vestimentaires pour dompter ses envies d’élégance, à moins qu’il n’opte, in fine, pour la première collection masculine d’un John Galliano caricaturant à outrance la notion même du metrosexual. Rigolo, mais rien à voir avec la véritable allure des hommes. Des vrais hommes.

Frédéric Brébant

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