Cette collection unique et magnifique installée dans un ancien couvent de la fin du xviie siècle, en Provence, est le fruit d’une longue fréquentation du pays et d’une amitié profonde pour le peuple papou. Fascinant.

C’était au milieu des années 1980. Marie-José Guigues venait de passer cinq ans en Chine, à X’ian, pour y créer, avec succès, un atelier de sculpture en terre cuite reproduisant les fameux guerriers du tombeau de Quin Shuang. Après les événements de la place Tian’anmen, elle décide de quitter le pays. Pour aller où ? En Papouasie.  » J’avais vécu en Afrique et la beauté des pièces rituelles avait été un éblouissement qui, tout naturellement, m’a conduit à m’intéresser à l’art océanien. Le Musée du quai Branly à Paris n’existait pas encore, les arts premiers n’étaient pas à la mode. Lorsque j’ai monté mon premier voyage, la Papouasie était (et d’ailleurs, reste) une terre difficile d’accès. « 

Qu’importe ! Marie-José Guigues n’a pas peur de grand-chose : elle est chaleureuse et volontaire, cultivée et raffinée. Elle aime les rencontres et l’aventure. Mais lors de la première expédition, elle n’en mène pas large… Climat étouffant et paludéen, brouillard permanent, marches interminables sac au dos, dans la forêt humide infestée d’insectes piqueurs et d’arbres vénéneux, peur des crocodiles… Sans oublier les campements sans eau ni électricité, la gêne de se laver à l’unique source du village, sous le regard des Papous. La curiosité et l’inquiétude qu’on allume dans le regard des autres et sa propre inquiétude en retour. Sa narration témoigne des difficultés rencontrées… Mais la voyageuse raconte aussi le bonheur qui l’a fait courir si loin. Par bribes. Les oiseaux de paradis entraperçus à Tari dans la lumière de l’aube, un langage auquel on s’initie en s’amusant des sonorités répétitives, le spectacle de la fête dite sing sing, au cours de laquelle les clans rivalisent par la beauté de leurs parures. Et puis aussi : prendre son temps, faire connaissance des lieux, des gens et parler sans jamais poser de questions frontales. À partir de 5 heures du soir, un grand cercle se forme à même le sol et tout le monde fume des grosses cigarettes roulées dans les feuilles de bibles laissées par les missionnaires : le tabac ici crée le lien social.

Elle, l’étrangère, partage, c’est une coutume, tout ce qu’elle a dans sa besace : thon en boîte, Nescafé, médicaments, et reçoit en échange du riz cuit dans le kai-kai, cocotte en terre cuite, que l’on mange avec les doigts. D’expédition en expédition, quinze en tout, Marie-José s’ouvre toujours davantage à cette culture des origines, et découvre la beauté des objets usuels ou des pièces rituelles. Tout un univers plastique, spirituel et magique qu’elle trouve fascinant, futil aux yeux du non initié à la fois chargé, impénétrable et inquiétant.  » Tout ce que je voyais était sublime au-delà de mes espérances. La collection que j’ai rassemblée a pour unique but de témoigner d’une civilisation en grand danger. Je ne suis pas une marchande : mon seul désir est de donner à voir. Le mystère et les puissants symboles de cette civilisation doivent être sauvés. Par exemple, cette  » maison

des esprits  » de plus de 12,50 mètres de hauteur, que j’ai rapportée pièce par pièce, en espérant pouvoir l’exposer ici en France ou à l’étranger, c’est l’une des rares à ne pas avoir été détruite par l’humidité et la modernité. Mais que pouvais-je leur apporter en retour ? La question est centrale en ethnologie aussi bien qu’en amitié. J’ai choisi de réaliser des documentaires pour les musées nationaux et de les offrir aux Papous avec pour ambition de replacer les objets dans leur cadre. Afin qu’ils conservent des repères et des traces de leurs villages et de leurs traditions, quand je suis arrivée chez eux. Ainsi peuvent-ils se souvenir et transmettre… Le vrai voyage, c’est s’approfondir soi-même, se frayer un chemin dans la culture de l’autre et s’y reconnaître. Les Papous m’ont beaucoup donné : je me dois de le leur rendre. « 

Isabelle Forestier Photos : Christine Soler

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