Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Brushing géant, make-up unisexe, couleurs flash, claviers plastifiés : les eighties ne cessent de célébrerleur éternel retour. Avec La Roux, Little Boots, Empire Of The Sun ou Lady Sovereign, la nouvelle vague s’annonce méchamment rétro. Même que Spandau Ballet revient pousser la bleuette à Forest-National. La faute aux synthés ?

Les filles sont largement déshabillées et les garçons refusent de transpirer dans leurs costards en lin deux-pièces cravatés. De part et d’autre, des permanentes affolées et des cocktails, rose fluo ou jaune canari, assez loin du bio. Sur l’eau turquoise du lagon forcément tropical, passe un saxophoniste qui nous offre une longue version de cuivre rugissant. On est en 1982 et le clip Rio de Duran Duran nous garantit qu’il fait 35 ° à l’ombre, même au c£ur du crachin belge.

Pour ceux qui ne les ont pas vécues, les années 1980 semblent réduites à une armée de (beaux) garçons coiffeurs façon Duran Duran. La réalité est plus nuancée, bien sûr. Si la décennie débute comme une fin de comète punk/new wave – on fait le plein d’énergie londonienne et new-yorkaise -, il s’y produit assez vite un Big Bang qui aboutit à la galaxie décolorée des Spandau/Duran/Gary Numan. MTV, créée le 1er août 1981 aux Etats-Unis, balance en ouverture de chaîne Video Killed The Radio Star des Buggles. Syndrome d’une génération de synthétiseurs d’avant le digital, c’est-à-dire d’avant le déluge.

L’arrivée ultérieure des sonorités numériques – plus domptables, plus nuancées – contribuera à rendre nombre de disques de ces années-là affreusement démodés. Tellement, qu’ils sont redevenus au goût du jourà Un répertoire au visuel discutable puisqu’il tutoie volontiers le grotesque ( Klaus Nomià). Alors pourquoi y revenir maintenant avec une telle volupté ? Parce que le clinquant, la débauche, le fun, ont toujours la vertu supposée d’enterrer les soucis. C’est le Prozac® en format radiophonique. Vu l’actuel moral charbonneux de la planète, c’est peu dire qu’on est à nouveau désireux de consommer des sucreries.

Impérial Empire Of The Sun

Voici le cas le plus pervers – et le plus délicieux – de décalcomanie des années 1980. Ce duo australien se baptise du titre d’un roman de J.G. Ballard, Empire Of The Sun, autobiographie du fameux écrivain anglais, mais est beaucoup moins inquiétant que l’auteur de Crash. Avec son premier album sorti en octobre 2008 (Walking On A Dream, EMI), le groupe des antipodes propose un produit étonnamment sacchariné sans que le côté retro ne paraisse ringard.

D’où vient ce miracle d’équilibriste ? Sans doute des mélodies, craquantes et volatiles, et puis de l’emballage sonore, frais et léger comme une petite culotte de Madonna des années 80. Que les deux gaillards soient aussi maquillés que des voitures volées et attifés entre La guerre des étoiles et les obsessions militaires d’Adam & The Ants (autre souvenir eighties), donne à l’entreprise un côté opéra comique du plus bel effet. Pour la toute première fois, ce duo de studio devrait tourner internationalement à l’automne prochain en compagnie de La Roux et Lady Sovereign (aucune date belge n’est encore fixée).

Une Cure de Lady Sovereign

Le deuxième morceau du Jigsaw (EMI) de Lady Sovereign use un sampling du fameux Close To Me de Cure, paru en 1985. De l’éclatant pop gothique original, Madame génère un mix curieux de chant hip hop, de sautillements naïfs et d’hymne à la joie congénitale. On y retrouve aussi cette brigade de synthétiseurs enfantins ayant connu leur heure de gloire il y a un quart de siècle. Lady Sovereign, Louise Harman, pour l’état civil, adore tellement les accointances sonores des eighties, qu’elle en disperse de grandes vagues goulues. Comme dans Pennies qui ramène un autre truc daté : le  » scratchage  » de disques – de vinyles évidemment – tout en couinements voluptueux et autres  » chikrichikri  » rayés (1). D’ailleurs, la Britannique rappelle aussi le rap féminin du trio new-yorkais black, Salt-n-Pepa, auteur en 1987 de l’énorme tube Push It.

Lady/Louise – toutes ces filles ont un nom d’emprunt – n’a que 23 ans, mais a déjà vécu plusieurs vies. Elle grandit dans les immeubles chauds de Chalkill Estates, au nord de Londres, et quitte l’école à 15 ans. Son premier trip musical professionnel d’envergure se passe aux Etats-Unis : en 2005, Jay-Z, star considérable du rap, la signe sur son label Def Jam. Elle vit plusieurs mois entre New York et Los Angeles mais finit par jeter l’éponge devant une culture qui n’est pas intégralement la sienne. La revoilà donc, plus anglaise, plus culottée, dans une entreprise qui sonne 2009 mais s’ancre très nettement au c£ur de ces années-là. D’où ce parfum de femme venue d’ailleurs, ou plutôt d’avantà

La Roux coiffe tout le monde

Ce qui frappe d’abord, c’est la volupté de la mèche de cheveux. Un défi à la pesanteur de teinte jaune/orange qui prolonge le dessus de la tête à la manière d’un cacatoès royal. On est impressionné. Et l’on pense vite à la coiffure du chanteur de A Flock Of Seagulls : dans les années 1980, Mike Score était orné d’une sorte de champignon blond tellement énorme (et ridicule) qu’il donnait l’impression d’avoir deux têtes. Miracle de la laque, on ne parlait pas encore de trou dans la couche d’ozone.

L’argument capillaire appartient ici à une jeune Anglaise de 21 ans à peine, Elly Jackson, auteur d’un premier album éponyme (Universal) sous le nom de La Roux. Le producteur et co-auteur du disque, Ben Langmaid, partage son goût pour des claviers  » primitifs  » qui labourent l’ensemble de l’album à la manière de petits tracteurs électroniques chargés de faire fructifier les mélodies. Evocateur de groupes tels que Human League ou Heaven 17, la chose est même trop ancienne pour qu’Elly/La Roux ait pu l’entendre à l’époque. D’ailleurs, l’enfance de cette fille d’actrice d’une fameuse série british ( The Bill) est bercée par Carole King, Joni Mitchell et Nick Drake, plus troubadours acoustiques que militants électroniques.

En adoptant ces résonances synthétiques, La Roux a placé ses In For The Kill ou Bulletproof dans le haut des classements britanniques. Elle y raconte des histoires de sensibilité, d’invincibilité, de fragilité, bref des histoires d’amour que n’auraient pas renié Yazoo. Mais vu la façon dont elle interprète tout cela, laissant percer une sensualité éloignée de l’accompagnement mécanisé, La Roux pourrait décrocher un avenir plus proche d’Annie Lennox que des chanteuses oubliées de l’Angleterre de Madame Thatcher.

Little Boots ira loin

Dans sa vidéo de New In Town, Little Boots se promène au milieu de SDF et de leurs charrettes désespérées : au refrain, voilà tout ce beau monde dans une chorégraphie avancée de vagabonds en folie. Michael  » Thriller « Jackson n’aurait pas fait mieuxà Sinon, Little Boots écrit des chansons sur l’amour et les mathématiques, dopées par des carcasses synthétiques elles aussi en import direct des eighties. Jusqu’aux nappes dont la volupté électronique n’échappera à personne ( Love Kills).

Mélange de candeur extrême et de groove charmeur, le premier album de Victoria Hesketh fait recette : sorti en juin, Hands (Warner) a grimpé jusqu’à la cinquième place des charts, anglais, comme elle. Née dans le Lancashire il y a vingt-cinq ans, notre petite  » booteuse  » est aussi une pratiquante maniaque d’instruments rares ou déclassés. Ainsi, cette musicienne formée au piano jazz et classique, utilise le stylophone, mini-synthé grand comme un plumier d’école. Inventé en 1967, le bébé électronique est entré dans l’histoire de la pop via le premier tube, Space Oddity, de Bowie, il y a maintenant quarante ans. Mais sur son premier album, c’est avec une autre star anglaise que duettise Little Boots : Phil Oakey, chanteur de Human League, l’un des plus célèbres utilisateurs de synthés des années 80. La boucle – électronique – est bouclée.

(1) La technique consiste à faire passer le vinyle en dessous de l’aiguille d’avant en arrière, ou inversement, d’où le nom scratch.

Philippe Cornet

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